Les scientifiques ont d’abord envisagé l’existence de deux mondes : le niveau classique et le niveau quantique. Ainsi, les lois découvertes par la physique de l’infiniment petit ne se seraient appliquées qu’au niveau subatomique. Cependant, dans les années 1930, le mathématicien américain d’origine hongroise John von Neumann montre qu’il n’y a aucun moyen de placer une frontière au-delà de laquelle le monde cesserait d’être quantique pour devenir classique. Les mécanismes mis en évidence par cette nouvelle science semblent se retrouver à notre échelle ! « La supraconductivité, la superfluidité, parmi un tas d’autres phénomènes macroscopiques, montrent bien que cette limite est abstraite », note Marc Henry, professeur de chimie, chercheur associé au CNRS. Il serait même possible de montrer que les lois classiques de Newton ou de Maxwell sont déductibles des lois quantiques. Et c’est sans compter les dernières découvertes en biologie qui mettent en évidence des procédés quantiques au cœur de nos cellules. « Notre regard est biaisé parce que nous avons découvert la physique quantique à partir des lois classiques. Mais le monde est quantique à toutes les échelles ! », affirme Marc Henry. Voilà qui est dit.

Les mystères de l’eau

Rappelons-le : nous sommes des êtres hydriques. 70 % de notre poids et 99 % des molécules qui composent nos cellules sont de l’eau. Son importance dans le maintien de toute forme de vie est primordiale. Or l’eau semble poser deux problèmes à la biologie. D’une part, « il est stupéfiant de voir combien les biologistes oublient de prendre en compte le rôle de l’eau ! », signale le Pr Marc Henry, spécialiste de l’eau. D’autre part, de nombreuses propriétés de l’eau ne peuvent se comprendre que par le biais d’explications quantiques qui incluent l’électromagnétisme et les fluctuations du vide. En effet, selon les lois classiques, l’eau devrait être un gaz. Pour expliquer qu’elle reste liquide, il est dit qu’une liaison hydrogène maintient ses molécules ensemble. « Quantiquement parlant, cette liaison ne s’explique pas. C’est quelque chose que nous rajoutons au niveau classique mais qui ne reflète pas la réalité. Une explication beaucoup plus plausible est que l’eau est liquide parce qu’elle exploite les propriétés du vide par des procédés quantiques », soutient le professeur. Si l’eau est quantique, forcément, la physique moderne doit apporter un éclairage majeur en biologie. Encore faudrait-il que l’eau soit prise en compte.

Une nouvelle biologie

La photosynthèse est l’extraordinaire capacité des plantes à transformer la lumière qu’elles absorbent en matière organique. Aucun dispositif artificiel ne peut prétendre à une telle optimisation énergétique. Cela a-t-il à voir avec quelque procédé quantique ? En 2007, le chimiste Graham Fleming, fournit « les premières preuves que la vie sur terre se conduit selon les lois de la physique quantique », informe Lynne McTaggart dans Le Lien quantique. Sa recherche sur la photosynthèse des bactéries, publiée dans Nature, montre que les photons capturés par la plante sont dans des états superposés. Ils peuvent ainsi emprunter plusieurs routes simultanément puis, une fois la connexion établie avec le lieu de réaction, choisir le trajet le plus efficace. « L’énergie repère son trajet rétroactivement ! », s’exclame la journaliste. Depuis, de nombreux autres procédés quantiques – dont l’étrange effet tunnel qui permet à des particules de passer des obstacles – ont été identifiés au cœur de la biologie. Ils expliqueraient l’activité enzymatique, la stabilité de l’ADN et même le sens de l’orientation et l’odorat. Ainsi, certains de nos composants savent être à deux endroits en même temps, disparaître quelque part pour réapparaître ailleurs, communiquer entre eux des informations plus rapidement que la lumière. Moquée il y a encore peu de temps, une biologie quantique est progressivement valorisée. Nous permettra-t-elle d’aller vers une nouvelle médecine ?

Un cerveau branché sur le vide

Le grand mystère que les neurosciences cherchent à élucider est celui de savoir comment notre conscience apparaît au cœur de notre cerveau. Des mécanismes quantiques seraient-ils à l’œuvre ? C’est ce que soutient le Pr Roger Penrose, physicien britannique auteur de Les Ombres de l’esprit, accompagné de Stuart Hameroff, directeur associé du Center for Consciousness Studies de l’université d’Arizona. L’idée est que la réduction quantique – les particules qui passent d’états superposés à un seul état – entrerait en jeu au cœur même de nos neurones, dans les microtubules. En manifestant un état spécifique, celles-ci feraient émerger un état de conscience particulier. Penrose et Hameroff soutiennent ainsi que la conscience est le résultat d’un effet de la gravité quantique dans les neurones – qui fait appel à de l’information provenant du vide. Ainsi, alors que les neurosciences partent du principe que la conscience est un pur produit du cerveau, certains physiciens suggèrent qu’elle résulterait d’un procédé certes physiologique, mais capable de puiser des informations… dans le vide quantique. Le contenu de notre conscience pourrait provenir d’une dimension au-delà de nos neurones. La découverte de vibrations quantiques au niveau des microtubules en janvier 2014 par le National Institute for Materials Science, au Japon, semble confirmer l’hypothèse des deux chercheurs.

Une médecine innovante ?

Progressivement, la biologie découvre qu’il lui faut inclure les procédés quantiques dans sa compréhension du vivant. Le corps médical doit-il envisager de s’approprier ses mécanismes et les technologies qui en découlent pour soigner ? « La marge de progression est encore grande. La biologie et le corps médical peinent à intégrer les nouvelles données scientifiques à leur vision moléculaire qui date du XIXe siècle. C’est étonnant, comment pouvons-nous encore considérer que nos corps sont transparents aux forces électromagnétiques ? C’est comme dire que nous ne respirons pas d’air ! Cependant nous voyons apparaître les prémices d’une médecine innovante capable de prendre en compte ne serait-ce que la dimension électromagnétique du vivant – qui obéit en partie aux lois quantiques », constate le Pr Marc Henry. Ainsi, des « thérapies quantiques », en provenance de Russie et des États-Unis, sont apparues sur le marché. Sont-elles spécifiquement quantiques, et sont-elles efficaces ? Ce qui est sûr, c’est que nous devons faire appel à des mécanismes de l’infiniment petit pour comprendre le vivant et que nous savons développer des technologies quantiques performantes – comme le laser. Il n’est donc pas impensable d’imaginer que des dispositifs puissent être utilisés dans le domaine de la santé.