Conception, grossesse, accouchement, post-partum et petite enfance : de nombreuses jeunes mères témoignent de la sensation d’être dépossédées de ces moments essentiels de leur vie. Un vol organisé de la puissance des femmes ?
Y a-t-il un malaise autour de la maternité, et plus largement, de la parentalité ? Depuis la libération de la parole enclenchée par le mouvement #metoo, des voix se sont élevées pour dénoncer un sentiment global de dépossession des grandes phases de la maternité. De la conception à l’accouchement, les critiques visent une surmédicalisation du suivi, une surinformation dénuée de sens, pour finalement traverser ces bouleversements avec peu d’accompagnement et de soutien sur l’essentiel. Quant à l’après-accouchement, le post-partum est délaissé, les yeux sont rivés sur le bébé, et les femmes font face à une solitude immense creusée par nos modes de vie individualistes.
Pourtant, ces phases sont fondatrices dans la construction personnelle, notamment pour nourrir une estime de soi bénéfique qui rejaillira à travers les relations à l’enfant, au conjoint et, finalement, de manière globale. En termes d’identité, les femmes jouent gros durant ces phases de leur existence.
Autrefois, et encore aujourd’hui dans certaines cultures, devenir mère n’était pas une formalité, mais un rite de passage. Une initiation qui nécessitait une préparation pour la femme, entourée et soutenue par l’entourage et le collectif. Selon les circonstances, le contexte et le parcours intime de la mère, l’arrivée d’un enfant résonnait parfois comme un miracle, une bénédiction, mais aussi comme une charge supplémentaire. La grossesse était donc fortement reliée à des croyances, des prémonitions, des signes, des sensations corporelles qui devenaient le support d’interprétations... Dans ce paysage, la sage-femme était une matrone du village sollicitée pour son charisme et son savoir, elle venait soutenir et parfois faciliter la mise au monde. Aujourd’hui, on parle de « parcours de grossesse ». Un parcours marqué par des interventions médicales multiples, où l’écoute et le dialogue font souvent défaut, si grande est la croyance que les femmes ne savent pas accoucher par elles-mêmes.
Un environnement surmédicalisé
Dès 1962, les travaux du docteur Michel Odent ont pourtant révélé que les conditions hospitalières d’accouchement entravaient la physiologie naturelle de la mise au monde. Au contraire des murs froids et aseptisés, un lieu silencieux et intime, la pénombre, une température de l’air suffisamment élevée libèrent les hormones favorables à l’accouchement. Actuellement, la formation médicale aurait tellement tourné le dos à la physiologie de l’accouchement que les sages-femmes ne sont plus formées à l’accompagnement d’un accouchement naturel. Nina Narre est la réalisatrice du film documentaire indépendant
Faut pas pousser, fruit de sept ans de recherches. D’après elle, «
les sages-femmes ont une formation très pointue, elles sont des mini-gynécologues avec une connaissance de la pathologie encyclopédique, mais une connaissance de la physiologie quasi nulle. Aujourd’hui, on ne sait plus que mettre bébé au sein quand il vient de naître favorise la délivrance du placenta, que la position décubitus dorsale
(la position allongée sur le dos, les jambes sur des étriers) est la pire des positions, alors que la clé est la verticalité et le mouvement. Une petite minorité a toutefois les ressources pour s’y intéresser et mener des recherches. »
C’est à 37 ans, lors de sa première grossesse, que naît l’intention à l’origine de son film : «
Beaucoup de choses ne me convenaient pas : le ton, la prise en charge, le fait de faire flotter constamment la pathologie ; je me sentais prise pour une idiote. Alors que j’avais pleinement confiance en mon bébé et en moi. Ce processus de la naissance avait fait ses preuves depuis des milliers d’années. J’ai eu envie de creuser cette histoire, de voir si ces protocoles étaient des automatismes absurdes ou s’ils s’appuyaient sur une réalité tangible. Je sentais que c’était un moment essentiel de la vie d’une femme ; en faire une opération chirurgicale était terriblement triste. » Forte de ce constat, elle poursuit ses recherches et comprend que pour accompagner un voyage de naissance, déconstruire des peurs profondément ancrées et des mythes greffés est nécessaire.
Le fruit de son travail est un documentaire de deux heures et demie. «
Je reçois des messages de femmes qui retrouvent confiance en elles. Elles ont pu éviter un déclenchement ou la pose d’une péridurale. L’intérêt du film est de rappeler qu’en tant que femme, je suis capable. » À l’inverse, en médicalisant à outrance, on impose une «
chape de plomb sur la conscience des femmes lors de ce moment clé qu’est l’accouchement », explique la professeure de yoga spécialiste du féminin, Uma Dinsmore-Tuli, dans son livre
Yoni Shakti. La sage-femme Chantal Birman va jusqu’à affirmer que «
les techniques ont remplacé le personnel. C’est un vol organisé de la puissance des femmes (1). » Alors que l’accouchement serait justement un moment de transcendance de la peur de la mort, un état de conscience modifiée laissant une empreinte indélébile, donnant aussi la force nécessaire pour plonger dans la maternité.
Les techniques ont remplacé
le personnel. C’est un vol organisé de la puissance des femmes.
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