Quelle toile mystérieuse relie les souffrances humaines et les opportunités de guérison ? Après de nombreuses années dans le domaine médical, Claire Marie se lance dans une exploration profonde de l’esprit des maladies, combinant sagesse chamanique et principes thérapeutiques occidentaux.
Elle avait commencé une carrière de psychologue clinicienne, formée à l’ethnopsychiatrie, et travaillé pendant une vingtaine d’années en Grande-Bretagne en milieu hospitalier, dans des domaines aussi variés que les addictions, la psychiatrie, la psychologie du travail et les douleurs chroniques. En 2006, elle rencontre le chamanisme. Initiée à la médecine traditionnelle aztèque, mais aussi au bouddhisme, elle associe depuis les principes de la médecine chamanique avec ceux de la thérapie occidentale par la parole.
Après six années de recherches, de pratiques avec les patients et de voyages, elle témoigne dans son dernier livre de sa rencontre avec ce qu’elle nomme l’esprit des maladies. Comment des états modifiés de conscience, au cours desquels Claire Marie tente d’avoir des informations concernant ceux qui la consultent, ont-ils pu enrichir son regard et son apprentissage sur la trame énergétique qui sous-tend la maladie ? Qu’est-ce que ce chemin singulier a pu lui apprendre, et comment associe-t-elle cette approche avec une patientèle occidentale ? Ce sont toutes ces questions qui façonnent son avancée et ce qu’elle peut apporter aux personnes qui souffrent. Elle travaille aujourd’hui en indépendante entre la France et l’Angleterre, à l’hôpital et en soins individuels.
Comment avez-vous découvert l’existence d’un « esprit des maladies » ?
Au cours de mes nombreuses années de pratique en service de management de la douleur, ou après en oncologie, j’ai ressenti au fur et à mesure des entretiens qu’il apparaissait quelque chose comme une compagne à la maladie physique, une forme d’énergie qui s’attachait à la vie des gens, comme si la maladie avait en elle-même une histoire indépendante de la vie du patient.
Mais pour explorer ces aspects de l’invisible, j’ai bien compris que les concepts psychologiques étaient trop limités. Je me suis alors abandonnée à mon métier de chamane et j’ai dû entrer en état modifié de conscience avec mes patients pour aller questionner les maladies. Le concept d’esprit des maladies est très complexe à définir. On pourrait le décrire comme « tout phénomène invisible attaché à la manifestation d’une maladie ». Cela peut être la mémoire ancestrale d’un grand-père, la colère qu’on développe envers un parent, la douleur que l’on porte pour le monde ou l’énergie de mots que nos grands-mères n’ont pas pu prononcer… il y a tant de possibilités.
Vous expliquez dans votre livre qu’il y a aussi un champ potentiellement guérisseur que vous appelez « la Toile ».
Oui, durant mon travail les maladies me sont apparues comme des vibrations qui relient les êtres souffrant d’une même maladie dans une toile. Cette Toile, j’y mets même une majuscule, n’est pas dénuée de douleur, mais elle est aussi tissée par l’amour, la reliance, l’espoir, le soutien, les dieux, les médicaments, les rêves… C’est une vision très forte qui est revenue souvent. Je pense qu’on pourrait l’utiliser comme un outil pour aider les patients à communiquer entre eux, et je suis persuadée qu’elle a un immense potentiel guérisseur. Mais il faut faire attention aux mots que l’on emploie, en français « guérir » veut dire « se soigner » ; ce verbe contient une idée de finalité, la maladie doit disparaître. En anglais, on utilise le verbe
to heal qui se réfère à l’unité : sans pour autant en guérir physiquement ou entièrement, on peut beaucoup apprendre d’une maladie, se transformer et donc devenir « entier » grâce à son processus.
Cette Toile de connexion dont je parle est nourrie par les énergies qu’on y met. Par exemple, durant la pandémie, on a nourri la Toile par la peur. La société a entretenu nos peurs, elle était une des formes de l’esprit du Covid, mais on aurait pu choisir de se laisser prendre par la luminosité de ce que la maladie a amené de positif entre les gens, de générosité, de connexions nouvelles, de transformation.
Suivant l’énergie de notre réponse, on influence la Toile et la manière dont la maladie va
évoluer et se répercuter sur nous, nos
proches et le monde. Ce que je décris se rapproche de l’enseignement bouddhiste : en vérité, on ne peut pas éviter la douleur, elle fait partie de la vie, comme les maladies. Mais on a le choix de ne pas créer plus de souffrance, il y a quelque chose de cet ordre-là avec la Toile des maladies.
Votre méthode consiste aussi
à créer un va-et-vient entre le corps du patient, son histoire, sa maladie et l’espace. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Traditionnellement, on dit que le rôle du chamane est de communiquer avec les esprits pour les vivants. Le chamane entre en état modifié de conscience et traduit en images l’information qui se trouve dans l’inconscient collectif. Un jour, le cancer m’est apparu dans un voyage chamanique sous la forme d’un maître zen, extrêmement discipliné, très rigoureux, pas très rigolo, mais bienveillant. Il disait à ma patiente, qui était pourtant guérie du cancer depuis des années : « Si tu n’apprends pas à t’aimer toi-même, je reviendrai. » La maladie n’apparaît pas toujours aussi clairement, mais la démarche clinique de simplement l’interroger possède une force particulière qui invite le patient à faire confiance à l’invisible, pourrait-on dire, une force qui ouvre le patient et lui permet parfois de conceptualiser que sa maladie puisse être hors de son corps. Voilà, c’est cela, le va-et-vient : je suis la chamane qui « descend l’information », mais ce faisant, j’ouvre le patient à une autre attention, et ensemble, nous cocréons de nouvelles histoires qui vont donner sens à sa souffrance différemment.
L’appel
de l’esprit des maladies m’a forcée à
« assouplir » mon identité de psychologue.
(...)