Certains « chamanes » occidentaux se sont formés à l’étranger auprès de praticiens traditionnels. Pour quels besoins et quels sont les risques ? Existe-t-il un chamanisme
universel ? Que dire d’un tel chemin en devenir ?
De prime abord, si nous, Occidentaux, sommes attirés par le chamanisme c’est parce que nous en serions dépourvus. La religion catholique et ses inquisiteurs ont détruit notre héritage celte, ainsi que les enseignements des druides, et les sorcières, qui étaient sans doute des équivalents de chamanes européens. Et même si aujourd’hui, un certain néo-druidisme a fait son apparition grâce à des textes retrouvés en Irlande, nous sommes très loin de pouvoir faire revivre les pratiques ou même les savoirs en matière de soin, de divination ou d’accompagnement spirituel tels qu’ils étaient pratiqués à l’époque.
Alors, que pouvons-nous dire de ces expériences menées par des Occidentaux, tant ceux qui se forment au chamanisme que ceux qui pratiquent des rituels et sollicitent des soins de par le monde ? Le chamanisme est-il dissociable de sa culture ? Existe-t-il un chamanisme universel ? Avec quoi reviennent ceux qui se sont formés et comment appliquer leurs nouvelles capacités ici en Occident ? Toutes ces questions sont en devenir car le phénomène reste récent, depuis Castaneda l’un des pionniers, jusqu’à Michael Harner, des enseignants de « chamanisme occidental » ou « universel ». Cependant quelques pistes de réflexions se dessinent, et quelques idées reçues ne demandent qu’à être tordues gentiment.
Le mythe des ténèbres persistantes
L’un des facteurs qui amènent les Occidentaux à tenter des expériences chamaniques, c’est le sentiment de « déracinement », et par conséquent l’attrait pour une lignée de transmissions ancestrales qui seraient garantes de quelque chose d’authentique et de sacré. Ce besoin réel de se reconnecter à des valeurs essentielles, du corps, de la terre, de la nature et de quelque chose de solide qui viendrait de la nuit des temps, apportant des réponses quant à un malaise lié à une société qui perd ses repères, est légitime. Mais les sociétés traditionnelles connaissent aussi de grandes mutations et leur savoir ancestral évolue, soumis à de nouveaux questionnements. De plus, même s’il y a bien une transmission, notamment de rituels et de cosmogonie – les référentiels avec lesquels les chamanes expliquent le monde et les maux – ainsi que des « gestes » pour se soigner et se prémunir, «
chacun revendique son droit à l’improvisation et la singularité absolue de sa pratique, tout entière inspirée par son entrée en “contact direct” avec ses esprits, conçus comme rivaux de ceux des autres chamanes », rappelle la spécialiste Roberte Hamayon. Ainsi le chamane fait évoluer tout ce qu’il a reçu, et développe ses propres outils et techniques tant au regard de sa société qui mute – souvent vers une occidentalisation d’ailleurs – que de ses éventuelles rivalités. Rappelons qu’en Mongolie par exemple, pendant de nombreuses années les chamanes ont été persécutés par les bouddhistes et les communistes, et le renouveau est relativement récent. Le chamanisme connaît de plus un essor phénoménal grâce au tourisme et la vie moderne, qui comporte aussi des souffrances et mène les Mongols à consulter. Ainsi, la transmission authentique et millénaire, tout comme l’aspect immuable de ces savoirs qui en garantiraient l’efficacité, ne sont pas si vraies.
Elima Dely Mputu est un chamane congolais qui a été initié à deux types de danses, issues de deux lignées familiales. Il a cependant passé sa vie à associer ces deux savoirs pour en tirer sa propre danse : le
longo, qui sert à « se rencontrer », créer une ouverture pour la guérison dans un espace d’extase. Missionné par ses pairs pour dimensionner une pratique spirituelle actualisée, il a passé de nombreuses années en France. Il témoigne de son cheminement dans une société en perpétuelle évolution. «
J’ai été surpris lorsque je suis revenu au pays, j’avais laissé une prêtresse dans chaque quartier. Maintenant les gens n’en veulent plus, elles sont devenues pasteurs évangélistes. Mais les jeunes sont quand même attirés par ma transmission qui n’est pas aussi traditionnelle ou vieillotte, mais issue d’un héritage tout en étant quelque chose de plus contemporain. Je suis une sorte de pont, on est quelques-uns d’ailleurs. C’est aussi plus facile pour les Européens de comprendre mon enseignement, mais aussi pour
les jeunes de mon pays qui
sont un peu plus dans le cérébral aujourd’hui. C’est comme
un truc nouveau, alors que c’est aussi un truc ancien ! »
Ainsi, si le chamanisme est en perpétuelle évolution,
c’est qu’il est adaptable aux
situations culturelles et géographiques, même si cela prend quelques décennies.
Entre-temps, les différences de lieux où il est pratiqué sont très importantes à prendre en compte.
Chacun revendique son droit à l’improvisation et la singularité absolue de sa pratique, tout entière inspirée par son entrée en « contact direct » avec ses esprits.
Différences culturelles, attention, danger
À l’origine, chaque chamanisme ne peut être dissocié
de la culture à laquelle il appartient. Cependant, avec le
brassage récent des populations et la mixité des cultures occidentales/traditionnelles,
les frontières s’amenuisent. (...)