Qu’est-ce qu’un chaman ? « L’homme qui sait »

Le chamanisme n’est pas du folklore. Il est, au contraire, la pratique la plus ancienne de guérison du corps et de l’esprit, notre héritage direct du fond des âges, muni de principes de fonctionnement identiques à travers le monde. Selon les continents, le terme « chaman » signifie « l’homme qui saute », « l’homme qui sait », « l’homme d’en haut », « l’éclaireur de pouvoir », ou « le guerrier pacifique ». Ce guérisseur du groupe, de la tribu, chante et joue de ses instruments afin de contacter le Monde invisible : les esprits, entités organisatrices de l’harmonie dans le monde, porteuses d’informations et de guérisons.

Le chamanisme est une certaine vision du monde qui implique un art de vivre, un cheminement et ses pratiques, des outils d’auto-guérison physique, mentale et énergétique, mais aussi une superbe méthode de développement personnel. Il utilise les potentiels du cœur, du mental et de l’esprit.

Sorcier ou sage, le chaman est un homme d’une connaissance souvent inaccessible aux citoyens ordinaires. Son arme secrète : la transe, état de conscience altérée ou élargie qui conduit parfois à l’extase. Le tambour et le hochet dominent dans l’équipement sonore chamanique. Leurs rythmiques en boucle, régulières et prolongées emportent la Conscience comme le permet aussi la prise de plantes psychotropes ou hallucinogènes : l’Ayahuasca d’Amazonie ou l’Iboga du Gabon, pour les plus célèbres. Le jeûne ou l’expression corporelle libérée par la danse œuvrent dans le même sens.

Les pouvoirs du chaman ne sont pas comparables avec les doctrines religieuses et la morale classique du bien et du mal. Le chaman possède une vue globale, reliée au Monde de l’invisible, le Monde des esprits, qui gère les énergies subtiles d’équilibre des humains.

La transe, porte d’entrée pour contacter les esprits

La transe est le moyen de transport obligé pour passer d’une réalité dite « ordinaire » à une autre dite « non ordinaire ». Cette potentialité de nos cerveaux déclenche des modifications telles que nous percevons plusieurs types de réalités.
La transe – cet état de Conscience élargie – nous invite à quitter notre conscience analytique, notre cerveau-lobe gauche, notre outil rationnel et intellectuel, notre Monde ordinaire, pour nous déplacer en notre seconde conscience : l’intuitive, celle de l’au-delà des neurones, notre cerveau-lobe droit, notre vecteur spatial, notre outil analogique, qui nous embarque au-delà des dimensions physiques d’espace et de temps.

Le chaman utilise la transe pour entrer dans le Monde des esprits. Une fois la passerelle installée entre le Monde d’en haut et le Monde d’en bas, la Conscience du chaman quitte sa pensée mentale active, afin de laisser libre cours à un lâcher-prise. Suit un vide mental. Puis une pensée non consciente s’installe. La transe se configure et la captation des informations se modifie : le « changement de chaînes » s’effectue ! Le chaman peut alors entrer en contact avec des êtres démunis de leurs corps physiques : les esprits. Ils séjournent dans les réalités et plans parallèles qui reçoivent ponctuellement l’humain. C’est le Monde invisible.

Notons que sans ce Monde de l’invisible, le visible n’existerait pas. Tout commence à partir de l’invisible.

Accéder à une autre vision du monde
Les états modifiés de conscience provoqués par les plantes psychotropes et hallucinogènes sont de formidables outils de son exploration. Les différents niveaux de réalité ne sont pas objets de curiosité. Le chaman, prêtre et guérisseur, ritualise la prise sacrée des produits qui conduisent en territoire inconnu, et maintient un cadre sérieux pour un retour sain et sauf. Les buts et intérêts sont divers mais la démarche demeure encadrée et l’objectif est unique : accroître considérablement la perception.
En transe, le corps ouvre ses limites et ses portes, dissout sa périphérie, l’acuité s’envole vers des performances incroyables, le temps et l’espace ne sont plus des repères. La Conscience, bousculée, modifie son organisation et sort de la boîte logique oui/non et vrai/faux. Le cognitif, la façon de « voir la vie », varie et autorise une autre vision, l’accès à une autre connaissance, en ligne directe.
Les chamans, par leurs rituels, invitent à réfléchir sur la question de la localisation de la Conscience : se trouve-t-elle à l’intérieur de nous, localisée, ou ailleurs et partout, non localisée, ou bien encore remplit-elle notre intérieur et occupe-t-elle aussi tout notre extérieur, tout l’Univers?

Le chaman, un médiateur pour atteindre la sagesse

Le chaman vit et pratique cette sagesse que nous souhaitons tous. Messager et médiateur par ses facultés de communication avec les hommes, la nature et les différents plans de conscience et de réalités, le chaman s’installe en intermédiaire de premier ordre. Il est l’origine du thérapeute et du coach ; il guide et conseille, oriente et parfois induit.

Il est aussi un excellent médium que les apparences ne peuvent berner. Il se déplace hors de la ligne du temps : le passé et l’avenir demeurent pour lui une lecture simple. Sa vision ressemble à celle de la mouche : il voit dans toutes les directions simultanément ; il appréhende toutes les dimensions et tous les paramètres d’une personne ou d’une situation.

Les chamans sont les gardiens de la Terre et les intermédiaires entre les humains et le Monde des esprits. Ils soutiennent la sagesse, le bon sens et le discernement. Leurs variations d’états de conscience offrent l’accès à des réseaux d’information qu’ils ne pourraient pas atteindre en situation mentale de conscience ordinaire.

Ainsi, ils joignent tous les esprits, considérant que chaque être et chaque chose en possèdent un : esprits de défunts, d’animaux, d’arbres, d’éléments comme l’eau ou le feu, de forêt, de montagnes et de rivières, mais aussi de leur tambour. Selon leur méthode personnelle, ces explorateurs, par leur méditation ou leur transe, se déplacent dans leurs réalités, bien plus large que notre unique réalité tronquée et mentalisée.

La vérité se détermine plus solidement. Cette vérité implique que chaque règne du vivant respecte les autres sans interférer, de force et sans leur demande, dans le déroulement de leur existence, par intérêt, bêtise ou cruauté gratuite, d’aucune façon et dans quelque dimension matérielle, émotionnelle ou subtile que ce soit. Ce respect de base installe la sagesse et la survie de notre Humanité ! Ses fondements datent d’il y a cinquante mille ans et occupent tous nos continents.


Gérard Grenet, Secrets de chaman urbain, éd. Leduc.s, p.52-56