Premier volet de la trilogie Shaman, publié chez Mama Éditions par Tigran, La Quête est le récit d’un jeune Français parti s’initier au chamanisme en Mongolie. Une aventure spirituelle et amoureuse parsemée d’épreuves, à cheval entre deux
mondes… Extrait.
Savoirs ancestraux
Mama Éditions
Foudre et tonnerre
Tsenek me regarde, stupéfait. La foudre m’a frôlé, et il sait. L’orage est passé, mais le vent souffle encore sur la steppe illuminée par le retour du soleil. Un éclair a frappé. Tsenek sait ce que cela signifie. La désignation. La guérison. La charge aussi. Et parfois le fardeau. J’ai du mal à cerner son expression tant il a les yeux écarquillés de me voir encore vivant, et non brûlé.
Je me sens à nouveau capable d’articuler.
— Comment... comment vas-tu, petit frère ?
Il me dévisage, éberlué.
— Comment te sens-tu toi, grand frère ? C’est toi qui as été frappé, pas moi !
J’avale ma salive. Nous n’étions pas frères, mais nous le sommes devenus. À force d’allers-retours entre la France et la Mongolie, j’ai fini par y passer plus de temps qu’à Paris. J’ai été pris. Par les chevaux, les espaces, la lumière. Jusqu’à la foudre, aujourd’hui. Qui confirme la transmission et les dires de la doyenne de la tribu, Otharjanat. L’éclair que les quelques cavaliers avec qui je chevauche depuis des mois espéraient toujours voir tomber sur moi, dubitatifs face aux dires de la vieille guérisseuse, pourtant connue et respectée comme le loup blanc à travers tout le pays.
Depuis plus de quinze ans, Otharjanat, ma grand-mère d’adoption, m’enseigne. Elle est chamane(1). Udgan(2). Dès le premier instant, elle m’a vu. Mais les années sont passées, sans initiation majeure. Moi, le Français de trente-cinq ans, un intercesseur qui s’ignorerait, un voyageur entre les mondes ?
Cérémonies au tambour, rituels, transes, visions... tout s’est enchaîné malgré moi à mesure que mes croyances s’écroulaient, et que ces mondes intemporels s’ouvraient. Comment savoir pendant tout ce temps si, au fond de moi-même, j’étais vraiment, comme il se doit, et non devenais, par la force du temps ? Au fil d’apprentissages et d’expériences répétées, j’ai attendu qu’un prodige se produise pour me le confirmer.
Quand aujourd’hui, dans un fracas illuminé, le tonnerre m’a embrassé. Comme pour couper court à toute interrogation, me dégager du passé, transpercer le doute.
Ce matin, je suis comme mort et ressuscité. Et d’un moment, suspendu, à la reprise du temps, tout m’est enfin apparu. Le bagage, l’héritage, les potentiels à venir... tout était déjà là. Sans quoi ces quinze dernières années n’auraient pas été.
« Alors, comment te sens-tu, grand frère ? »
— Je... je me sens comme vieux et bébé à la fois, Tsenek. Vieilli d’un coup, mais aussi régénéré.
— Hmm... Tu vas leur raconter, à ta famille, tes amis, une fois de retour chez toi ?
— Ça n’est plus chez moi, plus vraiment. Et ici, je ne sais pas si cela le sera un jour. Peut-être ma maison se trouve-t-elle quelque part entre les deux. Ou à l’intérieur, en moi... je ne sais pas. L’avenir le dira.
Tsenek me sourit puis tourne les talons. Sans un mot, il empoigne les rênes de son plus jeune cheval et, sans même se retourner, me tend celles de son aîné, Arzan. Il repart vers son troupeau de rennes, avançant au pas pour une fois, comme pour prolonger le moment, sans trop oser me le montrer.
Ma date de retour en Europe approche. Tsenek et les siens vont me manquer.
De l’autre côté de l’eau
Les plaines d’Asie centrale se succèdent comme autant d’étendues arides aux contours infinis. Les montagnes les surmontent, coiffées de neiges éternelles d’un blanc éblouissant, sur fond de ciel bleu vertigineux. Leurs cimes sont si hautes que, les nuits de pleine lune, elles semblent s’aventurer dans l’espace étoilé.
Surgissant entre les nuages, l’aigle royal plane et descend vers les steppes aux teintes minérales et végétales. Espace. Silence. Majesté des collines parsemées de sapins et de mélèzes, traversées de rivières serpentines lancées à la rencontre du fleuve Amour, qui de Sibérie les mènera jusqu’à l’océan Arctique. Entre deux lacs limpides aux reflets vert turquoise, des yacks traversent le plateau pour aller paître au loin, file indienne bien gardée par des cavaliers nomades et leurs chiens. Je respire profondément. Cri de l’aigle. Je frissonne malgré moi. Il va me falloir du temps avant de retourner au campement, tant mon corps tout entier est encore ébranlé par la foudre.
Je me sens ancré et puissant à la fois. Cependant, quelque chose d’autre tremble en moi. Comme un frémissement annonçant l’inconnu.
Mon cheval grège me regarde fixement. Une onde court le long de son encolure, alors que son œil sombre ne me lâche pas. Boule obscure, sphère luisante dans laquelle j’aperçois mon reflet. J’y parais minuscule et voûté, lové sous sa paupière cillée. Son œil semble grandir, sa courbe m’englobe. Impactées par la morsure de l’éclair, mes paupières s’affaissent et je bascule au fond de son regard animal...
Je m’éveille à moi-même, sans corps ou presque, dans un paysage sauvage, d’un calme ineffable. Je vois ma silhouette, mais je ne pèse rien. Partout, la sérénité brille, auréole toute chose. La nature m’enveloppe comme le cocon abrite la chenille en train de devenir papillon. Autour de moi, tout semble plus doux et plus vif à la fois que dans la réalité ordinaire : sensations nouvelles et paradoxales. L’alentour est animé, comme bienveillant
et renforcé, en apparence irisé, présence bruissante. Pour moi, de telles couleurs, entre rose et or, argent et bleu, n’existaient pas. Pas jusque-là. Un tel mélange de force et de paix non plus.
La prairie s’étend jusqu’à la rivière qui ondule entre les monts. De l’autre côté de l’eau, la rive est plus ombragée. Des bois bordent le courant et, de-ci de-là, un croissant de sable clair dessine une petite crique ensoleillée. Tout est étrangement vivant, même les pierres, même le vent. Et là, je le vois. Hiératique et vêtu d’un tissu écru, le vieil homme au grand crâne nu m’observe en silence, comme s’il m’attendait depuis toujours.
Bruit de sabot
Rappelé par un bruit de sabot qui m’extrait de cette incursion en territoire immatériel, je reviens à moi. Le cheval ne me quitte pas des yeux. Je comprends maintenant que son œil est une arche, une porte d’entrée vers cet autre monde, cette autre dimension où j’ai hâte de retourner voir ce grand vieillard énigmatique, tant je m’en sens proche.
Tout s’est enchaîné en quelques instants, l’orage, la puissance des éléments, l’extrême proximité de la foudre et, maintenant, cette vision. Mais l’heure n’est pas au voyage intérieur.
Au loin, j’aperçois Tsenek, à la croisée de la steppe et des premiers contreforts montagneux. Il s’engage dans une montée, avec son troupeau qu’il emmène vers de plus hauts pâturages. [...]
(1) Homme ou femme de connaissances et de pouvoirs qui sait, s’agite, bondit, devine, soulage, guérit, intercède entre le monde ordinaire et le monde des esprits, rapporte depuis les mondes invisibles des réponses et des énergies de guérison.
(2) Chamane de sexe féminin.
Shaman, La Trilogie, Tigran, Tome I : La Quête, Mama Éditions, 2022, p. 15-23.
C’est un or noir qui accompagne l’humanité depuis des siècles dans ses moments les plus intenses et créatifs. Toutefois, les dimensions spirituelles, thérapeutiques et chamaniques sont les grandes oubliées de cette plante de pouvoir...
Qu’il lui ait été transmis par sa lignée ou par le biais d’épreuves inititiatitiques,
le pouvoir du chamane fait rêver autant qu’il est redouté. Opérant dans l’invisible la dérive est vite arrivée et la frontitière ténue entre bon et mauvais pouvoir. ...
Afin de réaliser ses nombreuses missions, le chamane,
quelle que soit sa tribu, a recours à de multiples outils artistiques :
chant, danse, conte, musique… Sa création en devient totale,
un art au service de la passerelle des mondes.
Légende séculaire prenant parfois des formes différentes, tant dans l’idée du Graal que dans l’objet de support, la quête revêt aujourd’hui un sens encore plus singulier. Et si la symbolique pouvait enrichir notre chemin personnel et spirituel ?
Au Nord de l'Europe, à cheval entre Suède, Finlande, Norvège et Russie, vit un peuple autochtone encore trop peu connu : les Samis. Éleveurs de rennes et nomades, ils ont depuis toujours pratiqué le chamanisme. Depuis peu, malgré des siècles ...
Et s’il existait des ponts entre le chamanisme et la psychothérapie ? Certains praticiens formés aux deux chemins proposent des accompagnements grâce à la richesse des soins ainsi déployés.
Dans Fusion, Laurent Huguelit nous convie à un cœur à cœur spirituel inédit. Méditant vipassanā et praticien chamanique, il offre un tour d’horizon initiatique et poétique de ce qui unit ces deux voies d’ouverture de conscience. Accompagnons-le, avec les esprits ...
L’INREES utilise des cookies nécessaires au bon fonctionnement
technique du site internet. Ces cookies sont indispensables pour
permettre la connexion à votre compte, optimiser votre navigation et
sécuriser les processus de commande. L’INREES n’utilise pas de
cookies paramétrables. En cliquant sur ‘accepter’ vous acceptez ces
cookies strictement nécessaires à une expérience de navigation sur
notre site.
[En savoir plus][Accepter][Refuser]