Dans Fusion, Laurent Huguelit nous convie à un cœur à cœur spirituel inédit. Méditant vipassanā et praticien chamanique, il offre un tour d’horizon initiatique et poétique de ce qui unit ces deux voies d’ouverture de conscience. Accompagnons-le, avec les esprits tutélaires de la nature et des mondes spirituels, sur le noble « octuple sentier » de Bouddha...
Lorsqu’au début des années 1950, Ajahn Chah (moine bouddhiste et maître de méditation de la Tradition de la forêt, Thaïlande) se voit offrir quelques hectares de forêt près de son village natal, les villageois le préviennent que ce lieu, qui allait devenir le monastère Wat Pah Pong, est hanté par les tigres et les esprits. Il déclare alors : «
C’est parfait ! C’est exactement ce dont nous avons besoin pour développer attention et sagesse. » Ce n’est pas un hasard si le nouveau livre de Laurent Huguelit s’ouvre sur cette merveilleuse histoire
(1). Dans cette époque férocement dissonante qui a tout d’une jungle,
Fusion trouve là le terreau idéal pour éveiller nos consciences et aiguiser la sagesse ! Alors que le monde se fracture de toute part, Laurent Huguelit signe un ouvrage profondément réconciliateur, à cheval entre les mondes «
innombrables, illimités et infinis » (
sic) du bouddhisme et du chamanisme. Ce méditant bouddhiste et enseignant en chamanisme au tambour dans la tradition du
Core Shamanism(2) voue un respect et un amour communicatifs à ces deux spiritualités anciennes et vénérables, d’une surprenante modernité. Profondément connectées à la nature, elles nous enseignent force et clarté, ancrage et éveil de conscience, des qualités essentielles à cultiver pour traverser et transcender les défis actuels, qu’ils soient écologiques, sociétaux ou personnels.
Point de fusion
Chamanisme et bouddhisme coexistent de longue date sur le chemin de vie de Laurent Huguelit. En 1996, il a tout juste 20 ans lorsque la lecture des ouvrages de Carlos Castaneda éveille son intérêt pour les plantes chamaniques et leur utilisation en contexte traditionnel. En écho, il souhaite apprendre à manier ces outils d’expansion de conscience. Un peu plus tard, alors qu’il étudie la philosophie, il se familiarise avec le bouddhisme et prend refuge en 2001, dans le cadre d’une session de méditation vipassanā. Ces spiritualités vont se côtoyer au cœur de son existence jusqu’à fusionner, d’où le titre de son livre. « Fusion
est une invitation à faire un vaste tour de roue existentiel, avec pour compagnons d’équipée spirituelle les deva, boddhisattva, esprits bouddhas et tutélaires qui m’ont inspiré l’intégralité du contenu de cet ouvrage au cours d’une diète d’écriture de plusieurs mois », partage celui qui est aussi l’auteur de
Mère, ouvrage fondateur dans lequel il transmet l’étincelle spirituelle de la forêt amazonienne. Le point de fusion entre chamanisme et bouddhisme se retrouve dans les thématiques égrenées en fil rouge de cet ouvrage : la vision initiatique, la clarté des intentions qui en découle, le pouvoir créateur de la pensée, des paroles et des actes, ou encore l’importance de l’éthique de vie.
De natura profundis
Transcendance et altruisme convergent dans ces deux voies qui ne s’arrêtent pas au travail sur soi, comme pourraient nous le faire croire certains courants contemporains du chamanisme et du bouddhisme, mais ont pour but ultime d’aider l’humanité. D’où leur brûlante actualité ! Selon Laurent Huguelit, chamanisme et bouddhisme sont les deux spiritualités les plus à la pointe de la connaissance de la structure subtile de la réalité, ou de ce qu’il appelle plus poétiquement « la nature profonde ». Si l’on remonte aux origines, le chamanisme est la plus ancienne spiritualité du monde, entièrement inspirée par la nature, «
viscéralement reliée à elle », dit-il, alors que le bouddhisme s’appuie sur le
dhamma (ou
dharma, « la loi universelle »), l’enseignement de Bouddha. «
Par définition, le chamanisme – plus ancien que le bouddhisme et présent partout sur Terre, dans toutes les cultures – est une spiritualité de guérison et de connexion à la nature, alors que le bouddhisme est un raffinement de la conscience qui permet une libération : c’est l’éveil », explique-t-il. Or, s’allier avec les forces de la nature et éveiller sa conscience sont sans nul doute les enjeux phares pour affronter les multiples crises qui ont cours.
Une alliance féconde
L’espace de rencontre naturel de ces spiritualités incarnées est le cœur, découvre-t-on au fil de ce livre. «
Être dans le cœur, c’est voir les choses avec profondeur et pas seulement en surface, de manière mentale ou rationnelle », confie Laurent Huguelit. Certes, la raison est un outil formidable, mais sans le cœur, elle n’est qu’une machine sans âme, aime-t-il à dire. «
Lorsqu’il s’agit de réenchanter notre être et notre rapport au monde, le chamanisme est une voie royale, parce qu’il redonne sa place à l’âme, partout présente autour de nous, dans tout ce qui est. Tout est vivant d’un point de vue chamanique, tout est intelligent, et comprendre cela, le sentir avec son cœur, c’est une profonde guérison. Le bouddhisme vient alors ancrer la conscience dans cette perception d’interdépendance, de manière à “l’établir dans le cœur”, pour utiliser une expression bouddhiste que j’affectionne. » C’est ce cœur à cœur fécond entre l’approche bouddhique et chamanique, expliqué clairement, écrit poétiquement pour nous emmener au-delà du mental et illustré précisément avec de multiples points d’ancrage dans ces traditions, qui m’ont transportée. Une ouverture de conscience en soi. Même si, nous le rappelle notre méditant chamane, rien ne vaut l’expérience directe...
Pratiquer Samma Vaca
Et si nous pratiquions la parole juste ? Voilà qui est bienvenu en ces temps où circule à flots une parole vénéneuse, tissée de mots à maux qui divisent... La parole juste, première expression extérieure offerte au monde, suit de très près l’intention juste. « Si je devais résumer la parole bouddhique en quelques mots, je dirais qu’elle est faite de douceur et de vérité. C’est une parole limpide, pleine de lumière et de cœur. C’est la “bénédiction” qui guérit et soigne les maux, à l’inverse de la “malédiction” qui atterre et meurtrit », précise Laurent Huguelit en soulignant que les mots déposés sur une page ou un écran sont tout autant des paroles. « Chamanes et méditants doivent faire particulièrement attention à leurs paroles, parce qu’ils possèdent une force psychique qui renforce l’action de celle-ci sur le monde. Une parole maîtrisée constitue un critère de maturation sur la voie spirituelle – et sur toute voie dans laquelle on interagit avec d’autres “corps-cœurs-esprits”. » À bon entendeur...
(1) Jeanne Schut,
La Tradition de la forêt, éd. Sully, 2019.
(2) Le
Core Shamanism, développé par l’anthropologue Michael Harner, plonge à la source, au cœur du chamanisme : la Mère-Forêt amazonienne. Le tambour y fait office de « destrier multidimensionnel », dixit Laurent Huguelit, pour accéder aux réalités les plus subtiles.