Si la forêt amazonienne parlait, qu’aurait-elle à cœur de transmettre ? Chamane, auteur, enseignant, Laurent Huguelit partage, dans son ouvrage Mère, l’enseignement qu’il a reçu d’elle. Et en cette période incendiaire, il est temps d’écouter a à ce qu’elle a à nous dire...
En Amazonie, on appelle la forêt la
Madre – la Mère. Nos cultures l’ont oublié, mais la nature est notre mère à tous. «
Humble, humus, humain, viennent de la même racine : la terre », rappelle le chamane suisse Laurent Huguelit, également responsable pour la France de la
Foundation for Shamanic Studies, dans son dernier livre. Qu’avons-nous fait de la relation sensible et sacrée qui nous reliait à la forêt ? Déjà auteur des
Huit circuits de conscience et coauteur du livre
Le chamane et le psy, il retranscrit dans
Mère le ressenti qu’il a eu de la présence de la forêt amazonienne au Pérou et transmet son enseignement. Par ses mots, et grâce aux illustrations signées Angéline Bichon, il partage son regard. Et si là était le sujet : réapprendre à voir ?
Voir le vivant, voir en nous-mêmes, voir à travers les autres... Et retrouver une vision à même de faire émerger une nouvelle conscience et de nouveaux comportements. «
Vibrer en harmonie avec le monde est l’une des clés du sauvetage qui se prépare », rappelle Laurent Huguelit. Un appel vibrant qui nous invite à revenir au cœur de ce que nous sommes et d’où nous venons.
D’où est venue l’impulsion de votre voyage au Pérou ?
J’y suis allé sans intention particulière, mais a posteriori, j’observe que c’était une façon de boucler une boucle sur mon chemin de vie. J’exerce le chamanisme depuis la fin desannées 1990. À cette époque, je travaillais beaucoup avec les plantes. Puis, en raison de ma pratique bouddhiste et d’une recherche de sobriété, le tambour est arrivé comme une évidence. Depuis plus d’une décennie, je me dédie à son usage et à son enseignement, dans le cadre de la
Foundation for Shamanic Studies fondée par l’anthropologue Michael Harner. En 2015, j’ai été très touché par les attentats perpétrés à Paris et j’ai eu besoin de faire un break ; Angéline, ma compagne, souhaitait retourner au Pérou, où elle avait vécu il y a quelques années. Plusieurs amis m’avaient recommandé le chamane Yann Rivière, si bien que nous nous sommes retrouvés chez lui, accompagnés de Walter Martinez Guimaray, un
maestro shipibo.
Était-ce votre premier voyage au Pérou ?
Oui, j’y suis allé en parfait débutant. J’ai vécu ma première diète amazonienne, la plus importante de ma vie – et la dernière également ! La forêt m’a expliqué que c’est justement parce que j’étais un
outsider, avec ce zeste d’innocence, qu’elle a souhaité travailler avec moi à la rédaction de
Mère. En fin de séjour, elle m’a très clairement dit, sans négociation, que les plantes d’Amazonie, c’était terminé pour moi – et un ordre de la forêt, ça se respecte... C’est durant cette diète traditionnelle que j’ai « reçu »
Mère, l’enseignement de la Mère-forêt, sur ce que l’on peut faire pour préserver ce qui est naturel – et donc sacré – sur Terre.
La grande réunification du spirituel et du naturel se trouve là,
au pied d’un arbre.
L’esprit de la forêt vous a interpellé dès la première cérémonie...
Rien n’était prémédité. À cette époque, ma pratique chamanique était connectée à des esprits liés au cosmos et aux lois de la physique, plutôt qu’à la Terre-Mère et aux questions de féminité, d’écologie, de respect du vivant.
En arrivant au Pérou, je ne m’attendais pas à ce que la forêt amazonienne s’adresse à moi. Je me suis assis dans la maloca, les chamanes se sont mis à chanter, et elle m’a parlé. J’ai entendu sa voix très distinctement : elle m’a tout de suite dit que nous allions écrire un livre ensemble, qu’elle avait besoin d’une plume humaine pour se faire entendre. La surprise s’est changée en évidence. Au lendemain des cérémonies, je prenais des notes, je répétais les paroles de la forêt sur un dictaphone. Je sentais que je devais transmettre ses phrases les plus fortes telles qu’elle les avait dites. S’en est suivi un long travail de rédaction, qui a finalement duré trois ans. J’ai vite compris que ce livre n’était pas le mien, mais celui de la forêt : tout cela était bien plus intelligent que le petit
Homo sapiens Laurent Huguelit !
Comment décririez-vous ce que vous avez perçu et qu’est-ce qu’un « esprit » ?
La forêt souhaite être entendue, toucher le cœur de ses enfants. Son enseignement est universel, pour tout le monde, et elle insiste sur ce point : pas besoin de croire aux esprits, pas besoin d’être dans un questionnement sur la véracité du spirituel, pas besoin d’être féru de traditions. Dans le chamanisme, il y a ce principe fondateur selon lequel tout ce qui nous entoure a une intelligence, une mémoire : les minéraux, les plantes, les animaux... Même les objets. Tout ce qui existe a un esprit, une âme. Quand un chamane contacte un esprit, il se relie à l’essence de cette mémoire, de cette intelligence. Dans le livre, la forêt explique clairement que lorsqu’on parle de monde spirituel, on fait référence à quelque chose qui a sa propre existence. C’est une question de fréquences : les plus denses et les plus condensées forment la matière solide, mais il en existe d’autres, plus subtiles, qui constituent des « mondes » dans lesquels il est possible de voyager et de rencontrer des êtres invisibles tout aussi réels que nous. Dans cette perspective, l’esprit de la forêt est l’un des gardiens de la Terre-Mère ; c’est la réunion de la grande intelligence du vivant, une intelligence qui nous aime, nous éduque et nous protège.
La voix de la forêt amazonienne était-elle différente
des autres ?
Oui, de la même manière que les êtres humains sont tous différents, mais tous réunis par une généalogie ancestrale. Les forêts sont sœurs, elles partagent la même famille. Et les forêts primaires sont, littéralement, les mères de toutes les forêts. Quand l’esprit de la forêt amazonienne vient me parler, je sens sa force particulière, son amour, qui est éblouissant. Chaque forêt a sa voix, son chant. Quand je suis dans la forêt de mon enfance, en Suisse, je me connecte aux arbres locaux : les hêtres, les chênes, les pins... À travers eux, je peux contacter toutes les forêts du monde – car tous les arbres sont reliés, comme des antennes relais. Je peux également toucher l’esprit de la Mère-forêt, que je perçois comme une matrice végétale. Certains lieux remarquables, tels que le parc Yasuni en Équateur, ou le parc de Manú au Pérou, sont le refuge de cette matrice. Ce sont des sanctuaires qu’il faut préserver à tout prix. Tant que ces espaces existeront, la Mère de toutes les mères existera.
(...)