Du bouffon du roi au Joker en passant par Zavatta ou même Coluche, le clown a souvent été relégué au rang d’idiot, de fauteur de trouble, voire de figure effrayante… Et pourtant, malgré sa bêtise apparente et son étrangeté déroutante, il semblerait que le personnage du clown soit doté d’une sagesse guérisseuse.
Santé corps-esprit
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Barth Vitorino Russo faisait déjà le pitre sur les bancs de l’école. Celui que ses copains appelaient Barth a compris tôt qu’il avait un pouvoir magique : faire rire. « Ça me stimule de pouvoir parler avec des gens et de déclencher un rire ! Tu peux me mettre n’importe où, avec n’importe qui, et je vais y arriver. Il suffit de dire quelque chose qui n’est pas adapté, quelque chose de décalé… », explique Barth, 21 années de clowneries à son actif pour l’association Le Rire médecin, et artiste percussionniste dans sa compagnie Décalèou, à travers laquelle il développe des projets autour du lien social et de la joie dans la société. « Je suis souvent interpellé par le manque d’échanges dans les lieux publics », déclare-t-il. Alors il s’attache à créer des « bulles de joie » partout où il passe : en établissement de soin comme dans la rue, il a pour intention de « créer l’inattendu », le rire et la joie suivent. « C’est un truc dont j’ai besoin », dit-il.
Cet artisan du rire, né d’un père handicapé et secoué par les difficultés de la vie, affublé à la naissance d’un prénom porteur d’une lourde responsabilité – Vitorino Angelo Salvador, entendre « Vainqueur Ange Sauveur » – a su transcender le poids de son héritage par la légèreté, refusant de rentrer dans les lignes lui étant prédessinées. C’est à travers l’humour et le jeu qu’il incarne finalement cette mission, celle de guérir par le rire. « Prendre soin des autres a pansé mes plaies », dit-il, convaincu que la fantaisie, le rêve et l’imaginaire peuvent servir de médicament et transporter chacun au-delà de ses souffrances. Mais à l’hôpital, « on vient pour soigner ce qui va bien », précise-t-il en évoquant une scène qui l’a marqué, celle d’une maman assise dans le couloir attend que sa fille sorte du bloc opératoire, et sa partenaire clown qui, devant la triste mine de la dame, mise tout instinctivement sur son sens du rythme et sa joie contagieuse. En un instant, la dame se retrouve debout à danser au son du ukulelé, car malgré le chagrin, il reste toujours une part d’insouciance en nous, et c’est cela que vient réveiller le clown.
Le rire chrétien
C’est plus tard, vers 30 ans, que Philippe Rousseaux, comédien, bibliste et fondateur de l’association Clown par foi a rencontré son clown intérieur. Élevé dans une famille athée possédant un faible bagage culturel, il trouve un sens aux questions qui, jusqu’ici, demeuraient pour lui sans réponse par la découverte du clown, puis de la foi chrétinne.. Seul en scène, il transmet aujourd’hui ses questionnements existentiels en incarnant un clown surprenant, qui se joue de sa tristesse. Le spectateur, face à un homme sans artifice, en proie au doute sur la vie, l’amour, la mort, « se moque finalement de son propre reflet ! » Paradoxalement, « il faut être très sérieux pour faire rire », car en fin de compte, « la tragédie et le rire, c’est très proche », déclare Philippe Rousseaux. C’est tout naturellement qu’il a lié spiritualité et pratique du clown, les deux étant pour lui « un formidable outil pour devenir plus humain ». Faire l’expérience du clown, c’est « enlever tout ce qu’on sait ; on est tout nu, sans fioritures, on redécouvre les bases de l’humanité. Le clown est quelqu’un qui tombe et se relève, qui échoue, mais remonte toujours plus haut », explique Philippe Rousseaux. En s’exposant en situation de vulnérabilité, il cherche alors à nous reconnecter à notre propre humanité : « rire des murs vers lesquels on se jette éperdument », accepter l’échec comme un passage nécessaire vers la réussite.
C’est cet apprentissage qu’il s’engage à mettre en avant dans ses stages de clown. À travers la légèreté apparente des pratiques, les participants « aboutissent à des prises de conscience profondes et ressortent avec une plus grande compréhension de l’humain en eux ». Ils retiennent presque tous un sentiment de libération, qui passe par le droit de rater, d’être eux-mêmes, dans toute leur imperfection. « Si on se protège de l’échec, on vivote », clarifie Philippe Rousseaux, « par peur d’avoir mal, on s’anesthésie, et on vit au rabais… » Les participants au stage, par l’analyse de leurs insuccès lors des exercices, finissent par comprendre qu’ils étaient coincés dans leur ego.
Détruire les masques
C’est cela, la force du clown : il détruit les masques, « il vient faire exploser l’identification excessive à l’ego », exprime Éric Sunfox Marchal, chamane spécialiste du Clown sacré, une figure emblématique des traditions ancestrales amérindiennes. Le Clown sacré, ou Heyoka, était un rôle très respecté par les peuples lakotas d’Amérique du Nord. Personnage décalé, mais doté d’une sagesse rare, il n’était jamais là où on l’attendait. Il faisait tout à l’envers, ou de travers. Il pouvait dire « au revoir » en arrivant, et « bonjour » en partant. Et ceci dans le seul but de perturber, de bousculer les esprits. Mais il ne le faisait pas exprès : être Heyoka, c’est d’abord une « attitude inconsciente ». Plus tard, il prendra conscience de ce pouvoir et pourra ainsi savamment le diriger. Par la justesse de ses perceptions et ses comportements hors cadre, le Clown sacré était probablement le seul à pouvoir, par exemple, permettre à un chamane « un peu trop attaché à son rôle d’autorité de remettre en question ses acquis » et de s’interroger sur les jeux de pouvoir auxquels il adhère inconsciemment.
C’est en ce sens que l’image très menaçante du clown que l’on peut retrouver dans la culture contemporaine devient intéressante. « Le clown nous montre que toutes les protections qu’on s’est construites en réalité nous empêchent de vivre, nous emprisonnent, nous asphyxient. En ce sens, il peut faire peur », explique Philippe Rousseaux. « Ce sont les mécanismes de maltraitance envers nous-même qui sont mis en danger face au clown », précise-t-il. Le détachement face à l’ego, voilà une expérience que Barth Russo connaît bien derrière son nez rouge : « À l’hôpital, comme on est toujours en duo, parfois l’enfant a un préféré. Si c’est toi, alors on va s’organiser pour que tu m’en mettes plein la tronche. » Le clown assume donc ce rôle presque sacrificiel, il crée un espace cathartique qui donne à l’enfant la possibilité de se décharger de ses mauvais sentiments. À travers le jeu, « tout est prétexte pour faire circuler les émotions », explique-t-il. « Tout ce qu’on fait en clown n’est qu’un prétexte : ça ne marche pas ? Tu prends le bide. Mais tu le prends avec sincérité, tu ne peux pas mentir ! Le bide, c’est quoi ? C’est montrer sa fragilité au public. Et ça, ce n’est pas facile, car c’est contre les valeurs prônées par notre société… »
Le rire pour exister
Philippe Rousseaux acquiesce : « Que le meilleur gagne ! Place au fort ! Moi d’abord : on va droit dans le mur, dans une société à ce point individualiste. » Il poursuit : « Le rire valorisé dans nos sociétés est un rire plutôt moqueur, qui dénigre, un rire de mépris. Or, le clown rit de quelqu’un d’autre, mais en lui disant “c’est trop bon que tu existes, continue !” » Le rôle spirituel du clown serait donc de déranger à tel point que les systèmes et les structures trop rigides sont bousculés et mis en perspective. « On a besoin d’eux pour ne pas se prendre trop au sérieux », simplifie Éric Marchal. Par sa présence originale et son apparente sottise, le clown a le pouvoir de rebattre les cartes. Un rôle fortement rejeté dans notre éducation aujourd’hui, que nous gagnerions tous à endosser de temps en temps… « On est tous clowns, certains le savent, d’autres non », rappelle Philippe Rousseaux. Apprenons à revaloriser le clown afin de le laisser éclore en nous. « Le rire est important. Quand on vieillit, le risque, au fil des événements de la vie, c’est de devenir aigri… », déplore Éric Marchal. « Je crois qu’il faut beaucoup de sagesse pour continuer à rire. »
Laura est étudiante en journalisme, pigiste, et passionnée d’ésotérisme. Elle intègre cette vision holistique dans ses œuvres artistiques, parallèlement à ses activités rédactionnelles. ...
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