« Dans mon rêve, une foule très en colère, portant des masques jaunes, déferle dans les rues de Paris, saccageant des monuments historiques. Je me réveille en sursaut, ça semblait si réel », raconte la psychanalyste Marie-Laure Colonna. Quelques semaines plus tard, lors d’une manifestation de Gilets jaunes, la dégradation de monuments fera la une des journaux. Dans son roman prophétique écrit en 1980,
Les Yeux des ténèbres, Dean Koontz évoque un dangereux virus chinois, le Wuhan-400, qui sévit aux alentours de 2020 ! Ces deux événements en apparence distincts contiennent pourtant un mystérieux point commun, qui soulève bien des questionnements : les prémonitions, ou perceptions extrasensorielles d’un événement futur. Considéré par les anciennes traditions comme un don naturel réservé à des élus, le concept de prémonition recèle encore bien des secrets. Ces informations surgissent à notre insu, le plus souvent dans les rêves, ou encore dans des productions artistiques, révélant des événements qui ne se sont pas encore produits. S’agit-il d’épisodes précognitifs, de perceptions extrasensorielles, de simples intuitions ? Ont-elles un rôle spécifique ?
À l’origine
Au sens littéral, prémonition, du latin
pre « avant » et
monere « avertir », est
« un avertissement, d’origine inexplicable mais qui s’impose à la conscience, d’un événement à venir », selon le Larousse. Cette aptitude à anticiper l’avenir était pratiquée et vénérée par les anciennes traditions. Dans la Grèce antique, l’oracle de Delphes informait les gouvernants, qui s’en remettaient à ses prophéties pour prendre des décisions. En Chine, sous la dynastie Shang (XVI-XI
e siècles avant J.-C.), les questions portaient sur les récoltes ou l’opportunité d’une chasse ; les ancêtres auxquels s’adressaient les demandes étaient consultés sur des domaines politiques et militaires. Ainsi, les anciens semblaient détenir une vérité que nous avons oubliée : le lien entre le passé, le présent et l’avenir, la clé de compréhension des prémonitions. Comme le rappelle le docteur Larry Dossey, expert renommé aux États-Unis dans le domaine de la spiritualité et la médecine, dans
La science des prémonitions, les anciens
« maintenaient le lien avec le passé par la tradition orale, les rites, les mythes et les histoires […]. Leur relation avec le futur se constituait à travers la prescience, qui passait à leurs yeux pour une évidence parfaitement démontrable. »
Si autrefois, le mystère enveloppait de son voile sacré la notion de prémonition, où la lecture du futur était réservée aux mages, oracles et chamanes, il en va tout autrement aujourd’hui. Après l’avoir reléguée au rayon des superstitions et autres fariboles, experts en parapsychologie et scientifiques se sont penchés sur son berceau ; hypothèses et études ont passé au crible ce phénomène. Pour l’ethnobotaniste Romuald Leterrier :
« C’est une perception qui mobilise l’être humain dans sa globalité, tant du point de vue cognitif que somatique. » À la différence des flashs, qui sont des impressions intuitives, des sensations fugaces, les prémonitions, ou encore « épisodes précognitifs », comme les appelle Larry Dossey,
« comportent des images visuelles réalistes, qui apparaissent le plus souvent en rêve ». Elles s’inscriraient donc dans le registre des perceptions extrasensorielles, tout comme différents types de phénomènes répertoriés, à savoir la télépathie, la voyance, chacun présentant des spécificités. Dans les grandes lignes, la télépathie se définirait par une communication d’esprit à esprit, la voyance serait une conscience directe d’événements physiques objectifs. Quant à la prémonition, ou précognition,
« elle serait la prescience d’un événement futur qui n’est obtenue ni par les sens ni par la déduction », définit notre expert.
Cette aptitude à anticiper l’avenir était pratiquée et vénérée
par les anciennes traditions.
Le rêve : voie royale des prémonitions !
Tout au long de l’histoire et dans toutes les cultures, les hommes se sont intéressés à leurs rêves. Des Égyptiens qui pensaient avoir reçu la nuit une visite des dieux aux Grecs qui ont édifié des temples où les rêves étaient interprétés pour servir d’oracle… Comment s’étonner alors que le rêve soit une voie royale pour la prémonition ? Dans la Genèse, le premier livre de la Bible, chapitre 41, on peut lire :
« Il advint que Pharaon eut un songe : il se tenait près du Nil et il vit monter sept vaches de belle apparence et grasses de chair, qui pâturèrent dans les joncs. Mais voici que sept autres vaches montèrent du Nil derrière elles, laides d’apparence et maigres de chair, et elles se rangèrent à côté des premières […] et les dévorèrent. » Pharaon venait de rêver des sept années d’abondance et de famine qui ont frappé l’Égypte. Le rêve prémonitoire apparaît ici comme annonciateur, une mise en garde en quelque sorte. La nature et l’origine des rêves prémonitoires n’en finissent pas d’interroger les experts. Nos rêves seraient-ils porteurs d’informations venant du futur ? En 1927, l’ingénieur aéronautique britannique John Dunne donne un début de réponse suite à son rêve sur l’éruption de la montagne Pelée en Martinique. Dans son livre
An Experiment With Time, il expose que
« les rêves puisent dans le futur aussi librement que dans le passé ».
Un postulat qui trouve écho chez les psychanalystes jungiens, dont Marie-Laure Colonna :
« Le rêve prémonitoire propose une version du futur possible, qui va coïncider avec la réalité, ou pas. Seule une expérience de synchronicité dans le présent indique une coïncidence entre des images psychiques intérieures et une forme de réalité. » C’est le souvenir de l’information reçue en rêve, lors de son intrusion dans le réel qui « donne corps » à la prémonition. Comme en témoigne le récit surprenant de Marc, musicien, « rescapé prémonitoire » qui n’a pas pris son avion pour un concert à New York, le 11 septembre 2001, suite à un rêve où il saute avec un parachute qui ne s’ouvre pas. En d’autres termes, pour expliquer ce phénomène :
« La prémonition fonctionne selon un principe de boucle temporelle mémorielle, où la mémoire fonctionne dans les deux sens de la flèche du temps », ajoute Romuald Leterrier. D’autres éléments permettent de reconnaître un rêve prémonitoire, d’après la psychanalyste Marie-Laure Colonna :
« Il se distingue d’un rêve classique par sa profondeur ; il est souvent saisissant de réalité, et s’accompagne de fortes sensations. »
Prémonitions et libre arbitre
« Si les peuples racines accordaient une place importante aux prémonitions, c’est sans doute que cette capacité a été développée pour anticiper l’avenir, dans un objectif de survie », analyse Romuald Leterrier. Le contexte a évolué, bien sûr, notre époque nous offrant davantage de sécurité. Toutefois, nos facultés, même si elles sont enfouies, répondent toujours à des besoins primordiaux, comme préserver notre vie.
« Au regard des histoires relatées autour des prémonitions, celles-ci le plus souvent avertissent d’un drame à venir », a pu observer notre expert. L’hypothèse selon laquelle nous en recevons d’autres plus positives est également vraie, comme les rêves prémonitoires de grossesses, ou encore de rencontres amoureuses, même s’ils sont moins relayés. Quoi qu’il en soit, le phénomène soulève un questionnement important, celui de notre libre arbitre !
Ces prémonitions sont-elles immuables ? Peut-on modifier l’avenir ? Pour la psychanalyste Marie-Laure Colonna,
« le matériel prémonitoire offre un futur possible, non une vérité figée, il est donc possible d’influer ». Ainsi, en tenir compte ou pas n’est pas sans conséquence, comme en témoigne l’anecdote rapportée par Carl Gustav Jung à propos de son patient qui, ignorant délibérément un rêve prémonitoire autour d’un accident d’alpinisme, a une fois de trop cherché à repousser les limites, dans la conquête des sommets… entraînant l’issue fatale, préannoncée. Les physiciens donnent également des éléments de réponse, à commencer par Albert Einstein en 1905 qui, selon la théorie de la relativité générale, décrit la nature mystérieuse du temps sous la forme d’un continuum, où passé, présent et futur coexistent, de façon simultanée. Ajoutons à cette théorie que ce continuum serait flexible et dynamique, selon le principe de la double causalité. Nous pouvons en déduire que le futur existerait sous forme de potentiel et que nous aurions la possibilité d’en recevoir l’information dans le continuum du temps, selon le principe de la boucle temporelle mémorielle, ce qui pourrait expliquer le phénomène prémonitoire.
Au regard de ces hypothèses, nous pouvons émettre celle selon laquelle notre libre arbitre et les choix que nous faisons peuvent changer l’issue révélée par nos prémonitions…
Ainsi, nous aurions potentiellement la capacité de prévoir le futur ! Et si le phénomène des prémonitions était une opportunité de questionner notre véritable nature et nos extraordinaires facultés ?
« Il pourrait s’agir d’un dialogue avec soi-même, à travers le temps, via une instance intemporelle, notre Soi, qui sert de médiateur et transfère l’information du futur », avance Romuald Leterrier. Ou la Divine Matrice, comme l’appelle Gregg Braden,
« le foyer de l’âme qui renferme le passé, le présent, le futur ».
Les premiers philosophes l’évoquaient déjà, dont Aristote, pour qui le rêve était le lieu de l’âme qui, dans le sommeil, ayant recouvré sa nature propre, prophétisait, annonçait ce qui va arriver.
« L’art de la prémonition est à notre portée, affirme Romuald Leterrier,
il nous appartient de fortifier notre faculté à recevoir du savoir du futur émanant du Soi, de nous montrer disponibles à notre onirisme, et d’observer le réel avec une attention flottante. » Ainsi, nos rêves, nos perceptions extrasensorielles et autres prémonitions nous montreraient la voie, celle des possibles éclairant notre avenir.
Et du côté de la science ?
La question se pose immanquablement et continue à faire débat : notre inconscient serait-il capable de percevoir un événement avant qu’il ne se produise ? Une étude publiée le 25 mars 2014 dans le journal Frontiers in Human Neurosciences met en évidence que le corps humain peut détecter des stimuli qui se produisent de une à dix secondes à l’avance. D’autres chercheurs émérites dans ce domaine, tel Dean Radin, docteur (PhD) et parapsychologue, président du Boundary Institute de Los Altos, en Californie, se sont également illustrés dans ce domaine. Ce dernier a mené des expériences en double aveugle, démontrant qu’une perception inconsciente d’événements futurs n’ayant pas encore eu lieu influe sur le système nerveux autonome. En d’autres termes, nous aurions la possibilité de pressentir des émotions futures avant qu’elles ne surviennent. Ces études suggèrent que nous avons la capacité de recevoir des informations, venues d’un temps plus ou moins éloigné, et que nous serions dotés de « perceptions qui transcendent les limites usuelles du temps et de l’espace ».