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La
Révélation
de
Jean
:
toujours
d’actualité
?

Dans cette traduction commentée de l’Apocalypse selon Jean par l’auteur, théologien et prêtre orthodoxe Jean-Yves Leloup, aux éditions Albin Michel, découvrez le sens intrinsèque du terme apocalypse. Ce texte fondamental et souvent vecteur d’angoisses aurait une portée autrement universelle et spirituelle.
La Révélation de Jean : toujours d’actualité ?
Savoirs ancestraux

L’Apocalypse aujourd’hui


Apocalypse now. Quand on parle aujourd’hui d’apocalypse, on évoque un certain nombre d’événements ou de menaces qui sont déjà arrivés, ou qui vont arriver « bientôt » : menaces terroristes, économiques, écologiques, tempêtes solaires, éruption de volcans, inversion magnétique des pôles terrestres, guerres, épuisement des ressources de la planète, épidémies liées aux virus, séismes, tremblements de terre, tsunamis, explosion d’étoiles, choc avec d’autres planètes ou astéroïdes, déluges, sans parler des corruptions au niveau éthique, politique, financier, etc.

On assiste à une dégradation accélérée de différents plans du Réel, ce qui fera dire à certains, pas seulement à des médiums suspects ou à d’authentiques prophètes, mais aussi à de rigoureux scientifiques tels qu’Hubert Reeves, Albert Jacquard ou encore Jean-Marie Pelt, qu’une « fin » est inéluctable et proche et que nous traversons une « crise » que notre planète et notre humanité n’ont jamais connue auparavant. Le lien entre les événements actuels et le texte de l’Apocalypse de Jean paraîtra à certains évident – en jouant parfois consciemment avec les mots (tchernobyl en russe veut dire « absinthe », nom de l’étoile mentionnée au verset 8, 11). On ne manquera pas également de proposer des dates pour cette « fin » ou cette « mort annoncée ».

La fin du monde a déjà été annoncée de nombreuses fois au cours de notre histoire. Si la « grande terreur de l’an mil » est, pour beaucoup d’historiens, un mythe inventé des siècles plus tard, en revanche la famine de 1033 suscita des inquiétudes, d’autant qu’elle coïncidait avec les mille ans de la mort du Christ. En 1533, le prédicateur anabaptiste allemand Melchior Hoffmann annonça le retour du Christ à Strasbourg pour le quinzième centenaire de sa mort ; il mourut en prison sans avoir vu le règne de Dieu sur terre. En 1843, le prédicateur méthodiste américain William Miller annonça l’apocalypse pour le 3 avril, puis pour le 7 juillet, puis pour le 21 mars 1844 et enfin pour le 22 octobre de la même année. Cinquante mille personnes se rassemblèrent pour attendre le retour du Messie. Les adeptes donnèrent à sa non-venue le nom de « Grande Déception » ; ceux qui continuèrent de croire formèrent les diverses Églises adventistes, c’est-à-dire qui font du retour du Christ sur terre (advent) l’axe central de leur foi. En 1910, le retour imminent de la comète de Halley créa la panique dans le monde entier : on annonça qu’elle allait frôler la Terre et l’on parla de la présence d’un gaz toxique, le cyanogène, dans sa queue. Le jour dit, la comète fut à peine visible dans le ciel… En 1914, leur prédiction antérieure (en 1874) ne s’étant pas vérifiée, les témoins de Jéhovah prédirent la bataille d’Armageddon pour l’année en cours. Une prophétie qui se réalisa d’une certaine façon, puisque ce fut le début de la Première Guerre mondiale. Par contre, personne n’avait rien prédit pour 1939, qui vit le début de la Seconde Guerre mondiale, l’événement le plus « apocalyptique » que le monde ait connu au XXe siècle. Diverses prophéties prédirent la fin du monde pour le 11 août 1999 : on attribua l’erreur à l’éternel coupable, Nostradamus. De même, on avait tout prédit pour le passage au troisième millénaire : pannes informatiques monstres, entraînant le chaos économique, et même une guerre nucléaire du fait de la défaillance des systèmes d’alerte. Tout s’est passé sans encombre… le plus sage est peut-être de nous rappeler la parole de l’Évangile : « Nous ne connaissons ni le jour ni l’heure… et aucun ange ne peut nous le révéler, pas même le Fils – seul le Père ; “et le Père est silence” » (cf. Mt 24, 36).

Face à ces différentes morts annoncées par des religieux, des scientifiques et un certain nombre d’individus prétendant avoir reçu une « révélation », on peut réagir de façons différentes : par la fascination ou le mépris, par la peur, l’angoisse ou la phobie. La peur peut être utile : elle nous avertit d’un danger, d’une menace venant de l’extérieur, et nous invite, si ce n’est à la fuite, à la prudence ou au combat. L’angoisse aussi peut être utile, qui nous avertit d’un danger, d’une menace venant cette fois de l’intérieur : angoisse en présence de l’inconnu, de l’inconscient, où s’originent nos propres pulsions, possessives, agressives ou destructrices, elle nous invite ainsi à davantage de conscience et à une possible transformation ou mutation de nos instincts les plus obscurs. Les phobies, elles, ne servent à rien : menaces intérieures projetées à l’extérieur qui s’ajoutent aux menaces réelles, elles paralysent, inhibent l’action et sont source de maladies psychiques plus ou moins graves. La paranoïa généralisée, « mondialisée » et développée par les médias face au réchauffement climatique, au terrorisme et devant certains virus, en est le symptôme.

Telle n’est pas la fonction d’une apocalypse, et particulièrement de l’apocalypse de saint Jean. Son rôle n’est pas de nourrir nos phobies, ni même d’éveiller une peur ou une angoisse qui face à la situation pourrait s’éprouver comme salutaire ; c’est davantage la révélation d’une issue, l’exercice d’une lucidité non désespérée. Certains diront que tous ces avertissements sont des préparations efficaces à un « accouchement » (traduction également possible du mot « apocalypse ») : anticiper la douleur permet de mieux l’affronter ; apprendre la détente, le lâcher-prise au cœur de l’expérience déchirante permet de la traverser, si ce n’est « sans douleur », moins douloureusement.

La révélation de ce qui arrive, de ce qui vient, peut être vu sous différentes lumières, et c’est à un regard ni résigné ni effrayé devant les événements que nous invite l’Apocalypse de Jean. Ne voir et ne prédire que des catastrophes ne mérite pas le nom d’« Apocalypse », c’est une révélation tronquée : l’affirmation de la nuit sans l’affirmation de l’aurore. Cela nous enferme dans les déterminismes de « ce qui est » sans nous ouvrir à ses possibles. Il y a deux révélations dans le livre de l’Apocalypse : celle du diabolique et celle du symbolique. Révélation du dia–bolos, de « ce qui se jette entre (dia) », de « ce qui divise », déchire, détruit, épuise, consomme et consume. Révélation de ce qui oppose les hommes entre eux, les sépare de l’univers et son Origine. À côté de cette révélation, il y a une révélation du symbolon, « ce qui tient les deux », « ce qui est fait (bla) avec (sym) » : la dualité ensemble, archétype de la synthèse.

Certains médias sont les témoins d’une vision « diabolique » des événements, ils insistent sur les guerres, catastrophes, menaces écologiques ou autres, ce qui n’est qu’une partie de la réalité. Ils ne témoignent que rarement d’une vision symbolique des événements, de la sagesse que découvre l’homme à partir de ses épreuves, de l’amour inconditionnel, désintéressé qui peut naître au moment même où il perd tout ; c’est pourtant un trésor que nul ne peut lui arracher : la pierre précieuse ou philosophale. On parle peu de cette nouvelle conscience, au-delà des attractions et des répulsions de la conscience ordinaire qui se révèle parfois dans les circonstances les plus tragiques. Au-delà des témoignages sensoriels, audio-visuels de la réalité ; au-delà de la pensée philosophique qui analyse, commente, amplifie, réfléchit ces données objectives, les complique parfois, il s’agit de découvrir notre pensée « philosophale », noùs poetikos, intellectus agens, intelligence et imagination créatrice qui « voit » la lumière et transforme toutes choses dans et à partir de celle-ci.

L’Apocalypse est une vision philosophale du Réel, elle situe les événements du monde dans la lumière de Dieu et dans la lumière de l’Agneau, vision à la fois de justice et de miséricorde comme peut l’être tout regard d’amour vrai. J’appellerai donc « Apocalypse » l’avènement ou l’événement de la lumière dans la chair effondrée de notre histoire (personnelle, collective, cosmique) ou encore l’avènement ou l’événement du Sujet (Je suis) dans la chair effondrée de notre ego (personnel, collectif, cosmique) ; j’appelle « apocalypse » l’accouchement du « nouveau » (une tout autre conscience, un tout autre amour) dans le corps douloureux de l’ancien, la chair effondrée de nos mémoires. La venue au jour, toujours bouleversante, de l’Autre que nous sommes, Celui que notre désir appelle, Celui dont la Présence nous fait peur : « l’Être qui est ce qu’Il est » dont notre imagination ou notre angoisse fait un abîme, un abîme qui nous dissout et nous engouffre plutôt qu’un abîme de bonté qui nous sauve et nous absout.

La question à affronter, c’est ce que notre imagination fait de notre abîme ou de notre néant : le lieu de manifestation de la Vie (consciente, aimante, libre) qui se donne ? Ou bien le lieu où rien n’est donné, où tout est englouti, le lieu de résorption de toute vie (consciente, aimante, libre) ? Faisons-nous de l’Apocalypse une révélation de la Réalité (et de la vérité, qui est notre adéquation ou assentiment à ce Réel manifesté) ? Ou faisons-nous de l’Apocalypse une catastrophe, une destruction définitive de ce que nous prenions pour la réalité ? Perte de nos illusions absolument absurde puisque aucun sens, aucune vie véritable, aucun sujet n’en émerge. Il s’agit toujours d’une révélation, d’une mise à nu de ce qui était caché sous le voile des évidences, mais révélation de l’abîme et non de « l’Être qui est et qui fait être tout ce qui est » à partir de ce « rien ». La découverte de notre néant n’est une catastrophe que pour celui qui y résiste. Pour celui qui l’accepte et y reconnaît son identité la plus profonde (non sum), c’est l’occasion (kairos) de rencontrer l’Autre qui contient et féconde cet abîme (Ego sum).

Faut-il résoudre une énigme par une autre énigme ? Un songe par un autre songe ? Une apocalypse par une autre apocalypse ? Ne pas introduire dans les profondeurs de la nuit les langages du jour : seul l’inconscient comprend l’inconscient, les explications conscientes et rationnelles le trahissent plus qu’elles ne le traduisent. De même qu’on n’est délivré d’un amour que par un plus grand amour, on ne découvre l’interprétation d’un rêve que dans un rêve plus profond. Avant de parler de l’Apocalypse de Jean, faut-il alors parler de l’Apocalypse de Job ? Ces deux hommes, en effet, vivent un même effondrement, l’un d’une façon personnelle, l’autre plus collective, l’un comme l’autre endurent l’écroulement ou la disparition de ce qu’ils ont de plus cher, de ce qui les édifiait physiquement, psychiquement et socialement, et c’est au cœur de cet effondrement qu’ils font l’expérience du Réel, de l’Autre inassimilable, de la lumière qui les fondent.

L’Apocalypse de Job comme l’Apocalypse de Jean sont l’effondrement de Dieu comme idole, comme idée, comme « objet », de l’intellect ou de la dévotion. C’est l’effondrement de tous les noms qu’on peut lui donner : le Juste, le Bon (le Bonheur), le Bien, l’Étant… Aucun ne peut le nommer, même pas celui d’Être (l’Être de l’Étant) ou d’Essence. Et si l’amour et la miséricorde sont toujours des noms, il faut encore aller au-delà. Peut-on le signifier autrement que par un silence, quatre consonnes imprononçables (YHWH) ou un point d’interrogation ? Le nommer l’Innommable, n’est-ce pas encore le nommer ? Ni la théologie négative ni la théologie positive ne résistent à une vraie apocalypse qui rend l’homme incapable de penser et donc de nommer ce qui le déborde de toute part. « Je ne te connaissais que par ouï-dire, maintenant mes yeux t’ont vu. Je retourne à mes cendres (ou à ma poussière) » (Jb 42, 5-6), c’est-à-dire à ma légèreté, à mon non-être, car seuls ma vacuité ou mon silence peuvent te comprendre.

Ainsi Jean est-il « le nez dans la poussière » (cette fois, ce n’est plus celle du Thabor, mais celle de Patmos) tandis que s’élabore en lui une « phénoménologie de l’Esprit ».


Jean-Yves Leloup, L’Apocalypse de Jean, éd. Albin Michel, 2011, p. 11 à 17.
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