Montrer et dire au monde que j’existe. Les réseaux sociaux offrent un miroir aux vanités, une scène aux illusions et une vitrine à l’ego. Mais pour autant entravent-ils et pervertissent-ils notre cheminement spirituel ?
N’avait-il pas raison l’artiste Andy Warhol quand il écrivait en 1968 : «
À l’avenir, chacun aura droit à son quart d’heure de célébrité mondiale » ? Un demi-siècle plus tard, smartphones et réseaux sociaux nous ont rendus à ce point visibles et exposés au monde en permanence que l’on peut supposer que dans un futur proche, la quête de la majorité des internautes ne sera plus la célébrité, mais plutôt... l’invisibilité. En attendant, Facebook, Instagram, Twitter et les autres offrent à l’ego une grande vitrine ainsi que des projecteurs et aux anonymes la popularité, la gloire plus ou moins éphémère...
Loin d’une spiritualité vécue dans l’intériorité, les réseaux sociaux prescrivent de s’extérioriser et de s’exposer. Dans le pire des cas, on s’invente des vies et des personnalités, on cherche à être influent avec un discours sans contenu, on cultive le fantasme sans jamais passer la barrière du contact. «
Les liens virtuels plongent ceux qui les entretiennent dans une illusion de relation », déplore Vincent Lauvergne, conférencier et alchimiste, auteur du livre
La magie des égrégores. «
N’importe qui raconte n’importe quoi et se retrouve avec 10, 100 ou 1 000 abonnés qui lui flattent l’ego et lui font croire qu’il révolutionne le monde. Cela nous entraîne vers une dégradation de la pensée, de la culture et une éradication de tout sens critique. »
En conscience
Au lieu de rompre avec les réseaux sociaux, la
speaker, productrice et activiste Leslie Coutterand propose de les utiliser en conscience. «
Nous fréquentons ces médias dans notre lieu de vie où nous sommes vulnérables, notre garde est baissée, il faut donc faire attention à ne pas
trop s’exposer, exposer ses problèmes, ses souffrances... Au-delà de la mise en place de certains rituels comme ne pas naviguer sur ces applications une heure après le lever et une heure avant le coucher, cela implique pour chacun de répondre aux questions : pourquoi et pour quoi ? D’une part, pourquoi j’ai ce besoin par exemple de poster cette photo, est-ce que je vais la poster parce que je suis moins bien, parce que je me sens seul... D’autre part, pour quoi, c’est-à-dire dans quel but, avec quelle intention ? »
Pour aider chacun (particuliers, entreprises, jeunes...) dans cet apprentissage, elle a créé Log Out & Tune In (Déconnecter/ Reconnecter), une plateforme qui organise des stages, ateliers, conférences et consultations. «
Combien de personnes regardent leur téléphone avant de dire bonjour à leur conjoint ? Combien de parents ont leur enfant dans les bras
et regardent leur écran ? Je ne suis pas là pour accuser ni juger, mais je serais curieuse de lire les chiffres, avance Leslie Coutterand.
Ce sont de petits gestes qui paraissent anodins, mais qui créent une déconnexion au niveau relationnel. Le but n’est pas d’arrêter de les utiliser, car ce sont des outils qui peuvent être formidables à cette époque de grands changements et un moyen extraordinaire de se connecter avec des personnes qui sont dans le même élan créatif, de mettre à jour des problèmes de justice sociale, environnementaux... Or, ils sont devenus une fin en soi qui répond à des besoins émotionnels et fondamentaux, à des manques et c’est là que se trouve le vrai danger. »
La toile Internet invisible ne peut produire que du visible, soumis aux lois d’un temps et d’un espace limités. Le Sacré invisible, lui, va créer de l’invisible.
Égrégores nocifs
Pour Vincent Lauvergne, les réseaux sociaux exacerbent les mauvaises énergies et font naître un fourmillement d’égrégores dangereux. Lorsque plusieurs personnes se focalisent ensemble sur un même objet, avec une même intensité, ils développent une énergie commune que l’on appelle égrégore. «
C’est un réservoir d’énergie généré par un groupe de personnes ayant le même objectif et la même croyance », précise-t-il. L’être humain baigne dans une quantité d’égrégores, certains sont naturels et non conditionnés, d’autres sont nocifs et récupérés à notre insu. Il prend l’exemple des chaînes de
messages censées être des prières pour la planète. Vieilles comme le monde, celles qui circulent sur Internet par le biais des réseaux sociaux sont très utiles pour les hackers, elles leur permettent de récupérer des informations personnelles, propager un virus, de fausses rumeurs, etc. Quel que soit le message qu’elles véhiculent, «
elles créent des égrégores dangereux car on ne sait pas d’où elles viennent, ni qui en est à l’origine, explique l’alchimiste. Les personnes qui font suivre ce type de messages à leurs contacts mettent du crédit à ce phénomène sans connaître, et c’est là le danger, l’intention de la personne initiatrice de la chaîne qui récupère votre énergie, la canalise pour créer un égrégore auquel vous ne souhaitez pas adhérer. »
Et la spiritualité ?
Depuis le boom des réseaux sociaux, on constate une forme d’instrumentalisation de la spiritualité. «
On assiste à une spiritualité de comptoir, exprime Leslie Coutterand.
Le chemin spirituel est long, c’est la pratique d’une vie et non trois posts avec des citations. Si notre démarche spirituelle dépend de ce que l’on va trouver sur ces plateformes, elle devient une béquille et l’on est dans une forme d’addiction. » Elle soutient que les réseaux sociaux peuvent être utilisés de façon saine tant que l’on garde notre libre arbitre et une forme
d’équanimité. «
Quand je suis allée dans l’Himalaya suivre les enseignements du dalaï-lama, chaque jour un moine bouddhiste nous disait : “Tout ce que je vous dis, remettez-le en question” ». Vincent Lauvergne rejoint la productrice. «
Le phénomène de gouroutisation se produit très vite sur les réseaux sociaux, il accélère et éradique le sens critique naturel de chacun. On voit apparaître sur le devant de la scène des guérisseurs un an, deux ans avant de disparaître, ils organisent par exemple un stage de magie alors qu’ils n’ont lu qu’un livre à ce sujet. L’ésotérisme étant un milieu de croyances, certaines personnes sont prêtes à tout croire. L’idée de départ était bonne, le problème vient peutêtre de la nature humaine mais, fort heureusement, la spiritualité n’a pas besoin des réseaux sociaux. »
La conteuse médiumnique Hélène Myran soulève une réflexion importante quand on la questionne sur ce sujet. «
Un philosophe a déclaré que face au réel existait l’irréel, mais face au virtuel qu’existe-t-il ? ». C’est une bonne question. Quel est l’antonyme ? Un concept qui ferait la balance, qui harmoniserait ? Selon cette thérapeute dont le travail consiste via le support du conte personnalisé à éveiller les consciences individuelles, et non pas éveiller une masse non identifiée, «
le virtuel ne doit pas être une augmentation de la réalité mais une “surréalité” qui doit favoriser nos capacités d’imagination et de créativité. Sinon, il risquera de mener l’humanité à une uniformisation de la pensée, mais surtout à une absence totale de transcendance. »
Un système binaire
Pour Hélène Myran, il faut bien comprendre la réalité énergétique d’Internet. «
Les Anciens avaient installé un maillage terrestre identifié par le positionnement de sites sacrés, de pierres levées, de temples ou d’édifices religieux qui permettaient une connexion avec l’invisible et le Ciel. Les obélisques, du grec obelos
qui signifie aiguille, perçaient en quelque sorte la stratosphère à la manière d’aiguilles d’acupuncture pour permettre la descente de la Lumière sur la terre. Avec le maillage d’Internet, c’est exactement le contraire qui se passe : cela crée un filet très serré qui empêche les énergies célestes de descendre sur terre et emprisonne l’humanité dans une pensée unique et globalisée, car trop matérialiste. »
Cependant, pour la thérapeute, utiliser les réseaux sociaux ne pervertit en rien notre chemin spirituel, car Internet repose sur un système binaire et le sacré utilise quant à lui un système ternaire, à savoir Père, Mère, Fils ou Soleil, Lune, Vénus. Par conséquent, «
la toile Internet invisible ne peut produire que du visible, soumis aux lois d’un temps et d’un espace limités. Le Sacré invisible, lui, va créer de l’invisible pour les sens vulgaires (c’est-à-dire contraires au sacré) et le monde profane. Il restera donc inaccessible pour le monde virtuel, car les lois qui régissent le spirituel ne sont pas soumises aux limitations du temps et de l’espace. » Selon elle, l’humain a donc une porte de sortie grandiose qui s’appelle le discernement. «
Discerner c’est choisir mais c’est aussi “cerner le DI”, c’est-à-dire identifier en nous notre part DI-vine ! Gardons confiance car Internet n’est qu'un faible outil par rapport à la puissance de l’Esprit ! »
Vers des réseaux sociaux « éthiques »
Plus de 4 millions d’utilisateurs dans le monde auraient opté pour une alternative plus saine aux « géants » des réseaux sociaux. Mastodon, Pixelfed, Peertube, Mobilizon... peut-être ces noms ne vous disent-ils rien. Ce sont des réseaux sociaux libres et décentralisés, contrairement à Facebook, Twitter et les autres. En effet, ces derniers « ont un seul point d’entrée », nous explique Cédric Frayssinet, formateur au numérique
et chargé de projet à la Délégation académique au numérique de l’Académie de Lyon. « C’est comme s’ils étaient à un seul endroit alors que les réseaux sociaux comme Mastodon, l’équivalent de Twitter,
ont plusieurs points d’entrée pour y accéder et tous ces serveurs dialoguent entre eux, formant une fédération. Ainsi, tout le monde peut avoir son propre serveur, s’auto-administrer et échanger. »
On est là dans ce que l’on appelle le Web décentralisé (autrement nommé
le « Fédiverse »), l’inverse de l’objectif des puissants GAFAM, à savoir Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (les cinq des entreprises les plus puissantes du monde de l’Internet). « Pas de tracking utilisateur, pas de publicité, ce sont des bénévoles qui les développent, poursuit Cédric Frayssinet. Sur un réseau social type Mastodon, en tant qu’administrateur, je peux bloquer une instance douteuse. » Autrement dit, je reprends le pouvoir, abrité des algorithmes absents de ces réseaux libres. Et à la question « Mastodon est-il un réseau social bienveillant ? », 73 % de ses utilisateurs ont répondu par la positive, contre seulement
11 % n’en étant pas convaincus. « Techniquement, le réseau est neutre » lit-on dans les commentaires, ce sont ses membres qui le font pencher dans un sens ou un autre.