Qui suis-je ?

À 38 ans, je n’ai pas encore su répondre à cette question. Et je me demande si j’y parviendrai un jour. Qui sait au fond de lui qui il est ? Le grand aléa de la procréation nous fait naître à un endroit et une époque donnés, dans un certain pays, une certaine famille, une certaine culture. On nous attribue une religion puis une école, on nous éduque de telle manière avec telles valeurs, des valeurs qui reposent sur les croyances de nos parents, elles-mêmes généralement héritées de celles de nos grands-parents. De ces précédentes générations, nous héritons également de gènes et d’hérédité, patrimoine auquel se mêle – si l’on y croit – l’influence des astres à l’heure de notre naissance.
Cette miraculeuse alchimie façonne et conditionne notre personnalité, notre sensibilité, nos goûts, nos qualités. Elle détermine notre rapport au vivant, notre perception du réel, et bien sûr notre vision du monde.
Mais au fond, qui sommes-nous derrière et au-delà des rôles que la vie a choisis pour nous ? Cette question, j’ai souvent remarqué que certains ne se la posent pas. Et parfois, je les envie. Pour moi, cela n’a pas été une option. Depuis tout petit je cherche, je questionne, je fais toutes sortes d’expériences et tente de résoudre des équations sans solution sur le bonheur et le sens de la vie. Si vous tenez ce livre entre vos mains, il est possible que cette question – « Qui suis-je ? » – se soit déjà dressée sur votre route, qu’elle vous ait peut-être tourmenté, qu’elle vous ait en tout cas effleuré l’esprit.

Gémeaux ascendant Balance, fruit d’un divorce houleux entre deux parents qui fondamentalement pensent et vivent différemment, je me suis toujours senti en dualité. Très tôt dans cette enfance contrastée, j’apprends à m’adapter, à passer d’un univers à l’autre, à cloisonner les mondes. Ma mère est attirée par une vie bohème, elle est artiste et se cherche pendant longtemps. Elle deviendra écrivain, une écrivain saluée par la critique littéraire. Un talent dont je ne suis pas certain d’avoir hérité, lorsqu’à l’aube du projet de ce livre, je repense au 9/20 écopé à l’écrit de mon bac français.
Mon père est un avocat d’affaires à succès reconverti en business angel. Il est aussi un collectionneur d’art engagé, et son portrait – de mon regard de fils – serait incomplet si j’éludais son goût prononcé pour les jolies femmes. Elle vote à gauche, il vote à droite. Elle veut nous mettre dans les écoles publiques, lui préfère le privé. Elle est « rurale », il est plutôt urbain ; elle est idéaliste, socialiste, il est pragmatique et libéral...
Ma mère est loin d’avoir les mêmes moyens, elle nous emmène en vacances dans des maisons disons rustiques ; mon père c’est plutôt les beaux bateaux ou les hôtels de luxe dans les endroits chics. Deux personnalités denses et profondes, qui gardent en commun le goût des choses simples et un sens de la morale élevé. Deux êtres authentiques dans leur genre respectif qui m’ont tous deux inspiré.

En premier lieu mon père, ce bel homme charismatique à qui j’ai tant voulu plaire et ressembler. Celui que les autres appelaient Maître Dian dans les couloirs de notre club de sport ou dans la rue, alors qu’en fiston fier je lui tenais la main, fut incontestablement mon premier maître à penser.
Puis ma mère, dont j’ai d’abord rejeté les préceptes, sûrement moins attractifs pour un ado, mais auxquels je me suis ouvert ces dernières années lorsque je me suis plongé dans les grands questionnements. Peut-être l’écriture de ce livre est-elle une manière de me relier davantage à elle et de mieux la comprendre. Je précise qu’elle n’en a pas corrigé un mot.
On compte plusieurs écrivains dans sa famille, les Bizot, une famille de la bourgeoisie catholique d’origine lyonnaise, souvent à gauche, que l’on retrouve aussi bien dans les affaires que dans les lettres.
De ces deux trajectoires de vie différentes, je me suis souvent demandé laquelle était la mieux. Qui avait raison ? Mais là n’est pas la question et il est impossible d’y répondre. Ce sont des choix et des expériences de vie différents, voilà tout.
Aujourd’hui, je les respecte tous les deux. Pour ma part, je cherche ce qu’on appelle dans le bouddhisme la voie du milieu, la voie de l’équilibre et de l’harmonie.

La lumineuse voie du milieu : voici l’enjeu de ma vie.

Aîné d’une fratrie recomposée, j’ai pendant longtemps essayé de réconcilier mes parents, faisant le pont entre leurs divergences, atténuant leur différend, jouant les traits d’union. Parfois, j’ai eu le sentiment qu’ils étaient plus fragiles que moi, que c’étaient eux qu’il fallait préserver de leur divorce et de notre famille divisée.
Depuis, j’en ai fait ma thérapie, j’ai compris que ce n’était pas mon sujet mais le leur, et que la réconciliation de ces deux mondes devait se faire à l’intérieur de moi.

Il y a quelques années sur une voie toute tracée, rien ne m’aurait prédisposé à écrire de là où je suis aujourd’hui. Parce qu’aujourd’hui je ne suis nulle part. Nulle part et partout sur un chemin de transformation intérieure, ayant pour seul guide la voix de mon intuition. Une voix muette pendant un temps, qui se mit à chuchoter à l’approche de la trentaine, pour un jour me hurler dans les tympans ! Depuis ce jour-là, je n’ai plus eu le choix, il m’a fallu écouter cette voix, la respecter, la suivre et lui faire confiance.
Cette voix ou voie, nous l’avons tous en chacun de nous. Sauf que, bien souvent, elle nous parle et on ne l’entend pas, ou plutôt on ne l’entend plus. On ne l’entend plus parce qu’au fil du temps, notamment au cours de l’enfance puis de l’adolescence, pour se conformer à la société, à une certaine idée de la normalité et de ce qu’on attend de nous, on a cessé de l’écouter. D’abord au sein de la cellule familiale, ensuite à l’école, puis dans notre cercle d’amis, on apprend à se comporter d’une certaine manière. Parce qu’il faut plaire, il faut être accepté, être validé. Alors l’enfant en quête d’amour que nous sommes, croyant que plaire ou être validé signifie être aimé, se met à s’adapter, à réprimer certains de ses désirs et sa spontanéité, à agir en fonction du regard des autres.
C’est alors que se développe l’Ego, l’autre voix, celle qui mène à la mauvaise voie. L’ego, ce double de la personnalité, que l’on pourrait définir comme « la représentation et la conscience que tout individu a de lui-même » ou « l’attachement névrotique à une image valorisante de soi », est un filtre à la réalité qui nous empêche d’atteindre une forme de vérité, de profondeur et de bonheur dans cette expérience humaine.

C’est ainsi qu’être soi-même est la première chose que je souhaite enseigner à mon fils qui vient de naître. C’est aussi ce que je vais tenter de faire à travers ce récit.


Humain, Romain Dian, éd Eyrolles, 2022, p.17-21.