Le plus grand magicien du monde – il mesure plus de 2 mètres –
est aussi un humoriste qui prend l’invisible au sérieux. Au quotidien,
ce « planteur de graines de rêve » est attentif aux signes, aux voix et
à sa petite musique intérieure.
En tournage pour M6 aux Studios de
l’Olivier, au sud de Paris, Éric Antoine
nous reçoit entre deux prises. Tout à la
fois séducteur et spontané, critique et
innocent, ce « magicien-humoriste »
n’est pas à court de paradoxes. Derrière
la raison, une ouverture au mystère...
Quelle serait votre définition de la réalité ?
La réalité, c’est ce qui reste quand nous
enlevons toutes les formes de fantasme, de rêve,
d’imagination. Donc personne ne la connaît
puisque nous sommes tout le temps en train de
l’interpréter et de la façonner à notre manière,
de l’arranger pour ne pas détruire nos visions
déjà construites du monde. L’inconscient et le
conscient fonctionnent comme ça tout le temps,
en bonne entente. Ils se font croire l’un l’autre
des choses pour ne pas se détruire. La réalité est
donc une grande inconnue. Et les personnes qui
me disent :
« Je connais la réalité », m’inquiètent
terriblement ! [Rires.]
La magie et même la prestidigitation
n’utilisent-elles pas justement le fait
que nous construisons nous-mêmes cette
réalité ?
Tout d’abord, il faut faire la différence entre la
magie d’un côté, la prestidigitation et l’illusionnisme
de l’autre. La magie est une pratique qui peut
s’approcher d’une démarche spirituelle alors que
l’illusionnisme est une pratique technique et
artistique. C’est l’art de manipuler l’attention des
gens, avec leur consentement et avec éthique – c’est à
dire pas à la manière d’escrocs qui font croire
qu’ils ont des pouvoirs. La prestidigitation relève
donc du secret puisque nous utilisons des trucages
dans différents domaines – mécanique, ingénierie,
psychologie – que nous ne dévoilons pas aux gens.
Ce sont ces connaissances qui nous permettent
d’obtenir des effets qui semblent magiques. La magie,
de son côté, relève du mystère. Le mystère est une
question qui n’a pas de réponse. Il y a une intrigue
que j’adore. Sur le temple d’Isis, qui est la déesse du
mystère égyptien, est écrit :
« Nul, jamais, ne soulèvera
mon voile. » Cependant, Isis n’est jamais représentée
avec un voile. Donc le mystère est dévoilé – pour
celui qui sait le voir, et c’est là toute la question –
alors que le secret, lui, est voilé. Le mystère est une
espèce de puits sans fond, une question sans fin, que
nous n’attrapons jamais vraiment. Nous pouvons
en avoir des lectures mais, en fait, il nous échappe
toujours.
Vous intéressez-vous à la magie et à
la spiritualité ?
Ce sont des domaines qui m’interpellent parce
qu’ils sont extrêmement riches d’inspiration. Après,
je reste vigilant car je sais, justement, combien il
est possible de jouer avec les perceptions des gens.
Évidemment, vu mon métier, on me demande
régulièrement si je crois à la magie.
Oui, je crois qu’il existe des choses extraordinaires !
Oui, je crois qu’il
existe des choses extraordinaires ! Pour moi, la magie
naît d’une rencontre entre deux êtres, ou d’un être et
d’une foule, ou encore d’un être et d’une idée. Il y a
eu, par exemple, des moments magiques dans notre
histoire. Je pense à l’appel du général de Gaulle.
La France était autant collaboratrice qu’elle était
résistante, soyons lucides. Mais il y a eu cet homme,
cet appel au peuple français et cela a transformé la
réalité. C’était imprévu. Il y a eu transmutation !
Pour moi, c’est de l’ordre de la magie, tout comme
l’acte théâtral. Les gens entrent au théâtre dans un
certain état. Nous rions, nous respirons ensemble, au
même rythme, dans une sorte de cérémonie. Nous
sommes dans le même chaudron et nous barattons
l’énergie ensemble. Et au final, tout le monde ressort
différent. Cette transformation est magique.
Quelle est votre relation, justement, aux
expériences extraordinaires ?
Au quotidien, je suis très preneur de signes. Ils
m’aiguillonnent souvent dans mes choix de vie. Par
exemple, lorsque je suis venu pour la toute première
fois sur la tombe de ma mère, mon téléphone a sonné.
La personne qui m’appelait se nomme Françoise
– comme ma mère et je ne connais vraiment pas
beaucoup de Françoise. C’est aussi la personne qui
m’a offert mon premier travail chez Michel Drucker.
Ce n’est pas anodin qu’elle m’ait appelé à ce moment là.
Je pense qu’il faut parfois se mettre en pause, en
mode réceptif, pour être plus à l’écoute du monde. Il
devient alors possible d’entendre, de voir des choses
que nous ne percevons pas d’habitude. À 18 ans, j’ai
passé du temps dans un monastère, à l’abbaye de
la Trappe, dans l’Orne. Là, des pratiques de jeûne
m’ont permis de développer ma sensorialité. J’ai
aussi été dans des ashrams, où j’ai fait des semaines
de silence. Quand nous nous taisons et ouvrons nos
sens, nous découvrons qu’il y a différents niveaux
de perception. Et il arrive un moment intéressant
où sentir, c’est presque pressentir. Donc est-ce que
ce sont des capacités magiques ou est-ce que c’est
une acuité sensorielle développée ?
Au quotidien, je suis très preneur de signes.
Je pense que
nous percevons beaucoup plus de choses que nous
n’en avons réellement conscience. Toutes ces choses
s’enregistrent en nous, font leur chemin et génèrent
un terrain fertile pour des idées, des décisions. Alors,
elles peuvent paraître venir de nulle part et sembler
magiques. Mais si nous faisons très attention, peut-être
qu’il y a eu des enregistrements au préalable.
Donc c’est pour ça que je suis…
Entre deux mondes ?
Oui, voilà ! [Rires.] Comment se prononcer ?
Par moments, j’entends des voix. Mais est-ce que
j’entends véritablement des voix ? Ou est-ce que
j’entends une information intérieure à laquelle
je n’ai pas fait attention et qui me revient ? (...)