En 1921, l’écrivain Marcel Proust, en quête de la quintessence artistique, découvre l’inspiration au détour d’une madeleine. Ce petit gâteau lui ouvre les portes d’une mémoire enfouie, provoquant une cascade d’idées qui donnera ensuite naissance à l’immense œuvre À la recherche du temps perdu. Une simple bouchée : une aube de création. Si tout le monde connaît l’anecdote, c’est aussi qu’elle fait écho à ce que l’on appelle l’inspiration, c’est-à-dire la façon dont un élément concret ou impalpable déclenche en nous l’envie de créer ou d’agir. Quelle est cette boîte de Pandore qui peut ouvrir nos cœurs, nos idées, nos pulsions ?

Les philosophes grecs cherchaient déjà la source de l’inspiration dans l’intervention divine et plénipotentiaire, notamment chez Platon, dont on disait l’âme « choisie par les dieux ». Pour Proclus, en revanche, l’inspiration « désigne une étape essentielle dans l’élévation cognitive de tous les êtres humains. Elle sert à expliquer comment l’âme humaine peut s’extraire de la place qu’elle occupe dans la hiérarchie gnoséologique de la réalité et ainsi accéder à des connaissances et à des expériences qui, sinon, outrepasseraient ses capacités », précise Simon Fortier dans son essai consacré à l’inspiration de Platon⁽¹⁾. Alors, l’inspiration est-elle donnée à tous ? C’est une transcendance, indéniablement, puisqu’elle nous relie à quelque chose de plus grand, mais aussi quelque chose « qui parle à tous » et reconnecte les âmes entre elles, par le biais d’une création. Langage sublimé, souffle créateur, d’où surgit cette force qui fait vibrer nos âmes et guide nos pensées vers des horizons inexplorés ?

L’observation et le corps

Le corps est la première antenne. C’est lui qui capte et peut transformer l’inspiration en création pour peu que le flow, la fusion corps/esprit, soit dirigé à bon escient. Le corps que l’on utilise, mais aussi celui que l’on observe, le médiateur entre la matière et soi, entre soi et les autres. Celui qui perçoit les vibrations et qui peut les communiquer. Comme l’écrivait Marguerite Duras : « C’est ça l’écriture : c’est le train de l’écrit qui passe par votre corps, le traverse. C’est de là qu’on part pour parler de ces émotions difficiles à dire, si étrangères et qui néanmoins, tout à coup, s’emparent de vous », ces intentions que l’on souhaite ensuite transmettre, car si elles sont passées par nous, c’est qu’elles ont une destination. L’artiste, mais aussi le concepteur, le savant, les créateurs dans leur ensemble sont vecteurs de quelque chose qui les dépasse.

Une autre anecdote fameuse liée à l’inspiration artistique concerne le célèbre sculpteur français Auguste Rodin (1840-1917), qui a conçu Le Penseur dans le cadre d’une commande en 1880 pour un ensemble sculptural monumental, Les Portes de l’Enfer, œuvre inspirée de La divine comédie écrite par Dante Alighieri. L’une des figures de cette composition était destinée à représenter le poète italien, Dante lui-même, absorbé dans la contemplation. Un jour, alors qu’il cherche l’inspiration, Rodin voit l’un des ouvriers italiens de son chantier assis sur un rocher, profondément plongé dans ses pensées. Italien, mais aussi portant le nom de Dante Brascini. La concordance des prénoms, la nationalité similaire des deux hommes étaient-elles fortuites ? L’inspiration peut surgir de moments ordinaires de la vie quotidienne et de la contemplation du corps humain dans des états différents d’émotion et de réflexion. Mais toujours elle provoquera le geste, l’impression dans la matière, recréant le chemin entre l’inspiration et l’illumination.

Entre état de grâce et sublimation

Bienvenue dans le sanctuaire des curieux, des rêveurs et des chercheurs d’harmonie, où la créativité et la spiritualité dansent en une étreinte énigmatique. Est-elle une résonance avec une source divine, ou le fruit d’une alchimie complexe au cœur de notre être ? Qu’en est-il de la connexion entre l’âme et le Cosmos ? Dans ce dossier, des artistes connectés, guérisseurs, peut-être un peu médiums également, s’exprimeront sur leur inspiration, leur connexion.

C’est le cas d’Anne Féat-Gaiss, plasticienne : « Mon inspiration est connectée directement à la Source. C’est une connexion d’âme, je me retrouve avec une inspiration démesurée qui est liée à cette reliance directe et faite par un lien d’amour qui a pu être ouvert. Dans un lâcher-prise total et dans un espace complètement intermédiaire, où la main devient le véhicule, le vecteur de cette connexion. » La main de l’artiste tisse-t-elle alors des ponts entre les mondes, pour explorer les échos célestes guidant nos esprits vers une harmonie particulière ? Mais sans être artistes, nous avons, nous aussi, nos capacités créatives. Nous pouvons travailler notre intuition, développer nos aptitudes à nous connecter à ces champs subtils et aux messages qu’ils nous envoient, réenchanter notre quotidien avec un peu de « magie » et de reliance à des flux destinés à nous reconnecter à la Source, et donc à l’amour universel.


(1) L’inspiration divine de Platon selon Proclus, Simon Fortier dans Revue de philosophie ancienne 2015/2 (Tome XXXIII), pages 201 à 233.