Méditation pour la paix, pour la Terre, pour le monde... À chaque crise, comme pour remettre de l’ordre et restituer du sacré dans le chaos, nous ressentons avec une conscience aiguë l’urgence de nous tourner vers ce qui nous dépasse en nous rassemblant, en méditant et en priant. «
C’est la rupture opérée dans l’espace qui permet la constitution du monde », écrivait Mircea Eliade. Comme pour recréer le monde à chaque fois ?
Face aux graves atteintes commises envers la nature et notre Terre mère, l’humanité ressent des émotions fortes : de la culpabilité, de la colère, de l’impuissance. Or, les pratiques spirituelles collectives sont riches de potentiel : levier de changement, d’union, de transformation, moyen de se relier au grand Tout et de s’émerveiller... il est urgent de les raviver.
Sacraliser le temps et l’espace
Les sociétés traditionnelles offraient à chaque espace, chaque saison et donc au temps, une valeur qui donnait du sens à l’existence. Les fêtes, les célébrations, les rituels faisaient rejaillir à notre conscience notre appartenance à l’ensemble de la création. Notre vocation en tant qu’êtres humains n’est pas de vivre isolés. Au contraire, les liens sociaux, lorsqu’ils sont satisfaisants, nous rendent heureux, confiants et puissants. Bien entourés, nous sommes capables du meilleur. Ainsi, les traditions anciennes suspendaient le temps humain en le sacralisant et en rassemblant. Sacraliser le temps et l’espace, c’est poser un centre, un point de concentration à partir desquels il est possible de fixer son attention. Au cœur de l’espace, la flamme d’une bougie ou l’image d’une divinité deviennent le point d’ancrage des participants qui peuvent alors poser leurs intentions. Cette action mobilise le corps, le cœur et l’esprit. C’est aussi à partir de ce centre que se déploient les quatre directions. Les êtres humains deviennent à la fois les spectateurs et les acteurs d’une pièce de théâtre ou d’un récit imposé. Par la force de leurs intentions, ils se muent en participants actifs, cocréateurs du monde. Sous certaines conditions, le cercle formé par les participants génère un effet d’amplification des intentions. D’après Mircea Eliade, le cercle ou la sphère revêtent à travers l’histoire des religions une dimension numineuse, cette figure délimite ce qui appartient à l’être et ce qui relève du néant
(1) : l’intérieur représente l’être et ce qui se situe dehors, le néant. Alors, y a-t-il des effets tangibles à ces pratiques ? La méditation collective modifie-t-elle vraiment l’environnement ?
Cheminer vers la cohérence
Andreas Freund est physicien. Il a rédigé une thèse d’État dans le domaine de la structure atomique et moléculaire et pratique également le yoga et la méditation. Il est persuadé que l’homme limite l’expérience de la réalité en fragmentant les choses. C’est pourquoi il s’implique dans la conciliation entre science et spiritualité. À la question de savoir si ces moments de rassemblement agissent comme un catalyseur d’énergie comprenant des effets individuels et collectifs, il répond : «
Lorsque des militaires marchent au même rythme, il s’instaure une cohérence. Mais quand ces mêmes militaires traversent un pont, il leur est interdit de garder ce rythme parce que cela peut provoquer un effondrement de ce pont. Cela montre l’effet que peut provoquer la mise en cohérence. Tout système spirituel physique ou manifesté comporte des vibrations propres, si je me mets en phase avec ces vibrations, je peux avoir un effet sur ce système. » D’un point de vue physique, les effets d’une cohérence sont donc palpables. Mais qu’en est-il lorsque la pratique mêle la psyché, les émotions, les mémoires, la métaphysique, les croyances de chacun ? Est-il aussi facile de les aligner comme on met au pas les mouvements d’un soldat ? «
S’il y a un déphasage entre les intentions envoyées par les participants, l’effet sera moindre, voire nul », prévient Andreas Freund.
La connaissance de soi est primordiale afin de clarifier ses intentions en fonction de ses motivations. Car derrière les bonnes intentions se trouverait aussi l’ego qui projette sa vision du monde colorée de ses préférences personnelles. Selon le physicien, «
la forte volonté de faire quelque chose de bien crée un voile. J’aime beaucoup cette citation extraite du Mahartha Manjari : “Tout comme le plus beau joyau est voilé par l’éclat de ses propres rayons, le Soi, qui resplendit d’un rayonnement extrême pour le monde entier, n’est pas manifeste(2).” » Vouloir améliorer les choses suivant nos expériences individuelles, nos pensées, nos croyances et diverses influences amène à développer des idées personnelles de ce qui serait le mieux pour tous. Puis nous activons une énergie de matérialisation : la volonté de mettre en place le scénario imaginé.
Pour le physicien, «
si nous manquons de travail de discernement, si nous ne sommes pas dans l’équilibre juste entre le vouloir-faire, le “Yu Wei” dans la philosophie chinoise, et le laisser-faire en s’en remettant à une volonté supérieure, le “Wu-Wei” ou l’humilité du “que Ta volonté soit faite”, nos egos s’en mêlent et empêchent l’effet de cohérence, amplificateur du groupe de méditation. Or, il y a autant d’egos que de membres dans un groupe. Le Christ a dit : “Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux” (Matthieu 18, 15-20). La grande difficulté des cercles de prière consiste en la réalisation du “en mon nom”, ce qui veut dire “dans une intention pure, désintéressée et pourtant affirmée”. » Comment faire ? «
Il s’agit d’aligner les énergies des méditants en phase et créer cette cohérence du cœur pour qu’une force émerge du cercle, tel un faisceau de lumière brillant qui éclaire et transforme le monde. Le travail de conscience consiste à calmer notre mouvement chaotique, identifier l’impact de nos croyances conditionnées, et même, aussi paradoxal que cela puisse sembler, examiner notre “volonté de bien faire” », explique-t-il. Les prières les plus efficaces seraient-elles émises par les personnes les plus désespérées et les plus humbles ? Car c’est une mobilisation profonde et complète de l’âme, du corps et de l’esprit qui est demandée.
Tout système spirituel physique ou manifesté comporte des vibrations propres, si je me mets en phase avec ces vibrations, je peux avoir un effet sur ce système.
Se rassembler soi-même avant de rassembler
Claire Jozan-Meisel, guide de cercles de femmes depuis plus de quinze ans, est l’auteure du livre
Les sagesses du cercle. Elle explique ainsi : «
Grâce au yoga, j’ai pu approfondir le travail intérieur. J’ai vu combien la femme est dotée de prescience. Avant de rassembler, j’avais fait un travail sur moi pour me rassembler et explorer les différentes femmes en moi. Se rassembler intérieurement, c’est accueillir et célébrer les différentes femmes que nous sommes, la sororité commence déjà à l’intérieur de soi. Si vous ne savez pas qui vous êtes, vous ne pouvez pas vous offrir au monde. » La connaissance de soi permet aux participants des espaces sacrés de prière collective d’adapter et d’intégrer les visions personnelles de façon complémentaire, de cocréer, en phase avec le mouvement collectif.
De nombreuses traditions préconisent de travailler sur soi, de se purifier avant de réaliser un acte sacré, afin de capter les informations justes : «
Il y a comme une espèce de pureté dans le fait de se transformer d’abord avant de prendre une place. Cela nous renvoie à la construction du temple intérieur », analyse Claire Jozan-Meisel. Il s’agit ainsi de créer de l’espace à l’intérieur avant de poser et d’ouvrir un espace extérieur, telle l’édification d’un temple intérieur invisible. Et comme si, pour espérer modifier le réel, il fallait renoncer à une part de soi, se dégager des parts d’ombre en nous-mêmes pour qu’émergent une clarté neuve et des intentions pures. Cela ranime notre potentiel créateur : «
Il y a une urgence écologique, et nous, les femmes, sommes par essence porteuses de vie, donc reliées au vivant, et pendant nos lunes, on a cette capacité de vision. C’est un état de réceptivité active qui va nous permettre de recevoir une vision qui n’appartient qu’à nous-mêmes. Cela pose de nouvelles empreintes dans le monde. On crée alors un vortex d’énergie en étant en cercle. Quelque chose se fait, s’élève avec une réelle intention », observe l’auteure. Le premier pas vers le sacré est donc la pureté d’intention.
Dans le Coran, l’intention est l’esprit de l’action qui anime la pratique de la soumission à la Volonté divine. Le texte met en garde ceux qui œuvrent sans intention pure ni sincérité, et qui s’illusionnent en pensant bien agir, «
alors qu’ils seront les plus grands perdants le Jour dernier ». D’après Andreas Freund, «
il s’agit de trouver l’attitude juste, de demander ce qui est juste. L’information pure apparaît. C’est une forme de lumière, lumen, qui ne crée pas d’ombre. Elle entre en résonance avec notre essence profonde. Cette lumière-information n’est pas une énergie. C’est la conscience humaine qui la décode et la transmute en lumière-énergie, lux, qui se manifeste à travers une image, une voix, un ange, une personne, un symbole, dans une dynamique de création artistique. » Ces actes consacrent en tout cas le rôle de médiateur de l’être humain, de canal entre ciel et terre, entre visible et invisible, entre l’esprit et la matière, entre le passé et le futur. Et encourage l’humilité. Enfin, rester attentif à la présence d’un élan, d’une force supérieure d’élévation pour réaliser la volonté cosmique ou divine en phase avec la situation en cours est essentiel. «
De quoi avons-nous besoin pour sauver notre monde ? », demandèrent des personnes au maître zen Thich Nhat Hanh, s’attendant à recevoir des pistes sur les meilleures stratégies pour entreprendre une action sociale et environnementale. Le maître leur répondit : «
Ce dont nous avons le plus besoin, c’est d’écouter en nous les échos de la Terre qui pleure... »
(1)
Fragmentarium, Mircea Eliade Paris, L’Herne, 1989 (1939), p. 20.
(2)
Mahartha Manjara, « La Gerbe de fleurs au sens profond », 8-9, Cachemire, XII
e siècle.