La vie moderne génère un déracinement à l’œuvre dans nos sociétés. Migrations, anthropisation de la nature, urbanisation croissante, déconnexion du vivant, virtualisation du monde, les causes sont multiples et tout l’enjeu pour nous est d’équilibrer ce contraste, de l’harmoniser…
Art de vivre
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Le contraire du déracinement est l’enracinement, que la philosophe Simone Weil définit comme « peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine ». Selon elle,« chaque être humain a besoin d’avoir de multiples racines. Il a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par l’intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie. » L’enracinement reflète une période de l’histoire où la stabilité était une importante valeur, car l’homme était fixé à la terre, à un lieu, à sa famille. Mais depuis l’ère scientifico-industrielle et l’avènement de la mondialisation, la dynamique de vie l’invite au mouvement, à lever l’ancre, à devenir citoyen du monde, à explorer de nouvelles aptitudes et pratiques qui peuvent parfois le couper de ses racines… En effet, ce besoin naturel d’universalité se confronte à un besoin d’enracinement vital que l’homme se doit d’écouter et de redéfinir dans le village planétaire qu’il occupe.
Besoin naturel de mobilité
Le mouvement, le déplacement et l’exploration d’un ailleurs sont inscrits dans l’être humain et font partie intégrante de son héritage. Si la mobilité de populations d’un pays à un autre, qu’elle soit volontaire ou forcée a toujours existé, le développement des transports a facilité et accéléré ce flux migratoire, qui n’a jamais été aussi fort. En quarante ans, le nombre de migrants a triplé, mais il est estimé à seulement 3,6 % de la population mondiale, soit une personne sur trente selon l’Organisation internationale pour les migrations. Autrement dit, la grande majorité des personnes continue de vivre dans le pays de naissance et cette donnée est stable depuis plusieurs décennies. Malgré tout, reste-t-on dans la ville ou le village qui nous a vu naître et grandir ? C’est moins sûr… Car si nous revenons sur nos terres natales après en être partis, entre-temps nous sommes nombreux à quitter le nid pour faire des études, trouver du travail, suivre un partenaire… Cette mobilité peut avoir d’autres origines, relatives à une forme de réparation, de résilience en cherchant à transcender l’héritage transgénérationnel, les blessures et les schémas familiaux. Ce mécanisme naturel consistant à s’extraire du lieu où l’on a grandi, ce désir d’explorer un ailleurs plein d’espoir et de promesses n’entraînent-ils pas une perte de repères et de rituels, une coupure avec notre arbre généalogique, un éloignement d’avec nos ancêtres ? Nourrie de son expérience auprès des peuples racines (les Kogis, les Navajos, les Maasaï, les Lakotas…), l’autrice et journaliste Frederika Van Ingen dresse un constat marquant dans son livre Et si la Terre nous parlait : « La rupture du lien de continuum avec la terre, commune à nos sociétés modernes, a nourri le sentiment d’être séparés du monde : nous sommes déracinés. En coupant les liens sensoriels des corps avec la nature, notre sentiment d’appartenance au territoire s’est progressivement délité : nous nous sommes nous-mêmes exilés. Dans nos inconscients, dans nos imaginaires, ce sentiment d’exil est toujours là, comme une blessure, une plaie ouverte invisible et douloureuse. Elle nourrit des peurs de manquer, de l’inconnu, du “sauvage”, de la vie. »
La rupture du lien de continuum avec la terre, commune à nos sociétés modernes, a nourri le sentiment d’être séparés du monde : nous sommes déracinés.
Une civilisation hors-sol
La modernité déracine l’homme de la terre en édifiant une civilisation « hors-sol », déconnectée des réalités et des rythmes naturels. L’anthropisation de la nature dompte et façonne le sauvage, l’artificialisation des sols conduit à la disparition d’espaces naturels sous le béton ou le bitume. « L’urbanisation croissante de nos modes de vie nous a déconnectés de l’humus », résume l’activiste et éditeur indien Satish Kumar. Bien que les dynamiques d’aménagement du territoire autour de projets d’urbanisme orientés vers une ville plus durable et vivable essaient de renverser la tendance et de ramener du vert dans l’espace urbain, nous sommes encore loin d’une cohabitation avec les autres espèces vivantes ! D’ailleurs, une étude de l’université de Leipzig publiée fin 2022 indique que la distance moyenne séparant les individus des zones naturelles a augmenté de 7 % au cours des vingt dernières années, atteignant 9,7 kilomètres dans le monde. En France métropolitaine, elle est d’environ 16 kilomètres. De plus, selon le Réseau français d’éducation à la nature et à l’environnement (FRENE), les individus passeraient environ 80 % de leur temps à l’intérieur des bâtiments ou des véhicules. Comment notre civilisation pourrait-elle ne pas se sentir en mal de fondations, coupée ainsi de la terre ?
Du reste, le mot « civilisation » qui s’est développé avec la civilisation européenne et ses grandes villes est issu du latin civis, qui signifie « citoyen, habitant de la cité ». « Curieusement, il n’existe pas en sanskrit un mot désignant le concept de civilisation », relève Satish Kumar dans Comment j’ai appris la simplicité. « Pour le traduire, on recourt au mot “culture” qui, en Inde, s’est développé dans les campagnes et les forêts. Et pour cause : la plupart des textes fondateurs de la philosophie, de la poésie et de la littérature indienne ont été rédigés par des sages, des poètes et des philosophes qui vivaient au cœur des forêts. De ce fait, la culture indienne est indissociable de la forêt. Elle s’enracine profondément dans le sol. »
Angélique Garcia est journaliste depuis une dizaine d'années. Elle a été rédactrice en chef d’un média indépendant en région Occitanie consacré essentiellement aux thèmes de la culture, de l’art, du patrimoine et de l’écologie. Sa collaboration avec l’INREES / Inexploré lui permet de continuer à approfondir des sujets qui l’inspirent depuis longtemps (la conscience, la spiritualité…). En parallèle, elle se consacre à l’écriture.
Elle pratique la danse ainsi que le yoga auquel elle se forme en v ...
À
retrouver
dans
Inexploré n°66
Inconscient
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