La ficaire, ou herbe des hémorroïdes, ainsi nommée au Moyen Âge, présente de petites bulbilles qui évoquent... des hémorroïdes, auxquelles elle est un remède. La prêle, reconnue pour ses vertus reminéralisantes, rappelle un squelette ; on peut y voir des vertèbres. Selon la théorie des signatures, fondée sur une pensée analogique, les plantes soignent ou nourrissent un organe, que révèlent sa forme, sa texture, son habitat. «
Ce principe met en évidence une vision unifiée du monde ! », pose d’emblée Claire Bonnet, ethnobotaniste, formatrice en plantes médicinales (Institut Hildegardien, Cenatho). Ainsi, il existerait une parenté entre toutes les espèces, une reliance mise en évidence par les anciens alchimistes, que soutiennent à nouveau aujourd’hui naturopathes, herboristes, fleurothérapeutes et botanistes de tout poil. La nature nous parle, et il est grand temps de lui prêter une oreille attentive !
La théorie des signatures
Les peuples primitifs, déjà, observaient les images que « dessinent » les plantes et en avaient déduit une intelligence propre au règne végétal. Druides et médecins visionnaires tels que Paracelse, Rudolf Steiner, ou le D
r Edward Bach en ont livré, chacun à son époque, une approche inspirante en phase avec les défis à relever (voir encadré). «
La théorie des signatures met en lumière l’analogie entre l’apparence (feuilles, fleurs, racines, graines) de la plante, ses couleurs, son environnement, et nos organes, nos émotions, nos pathologies », développe Claire Bonnet. Par exemple, dans le désert, une terre brûlée par le soleil, pousse l’aloe vera, qui cicatrise, entre autres, les brûlures, et régénère les tissus. L’arnica, qui se développe en montagne, en haute altitude, sur des sols contusionnés, dans des conditions inhospitalières... apaise les chocs.
La « signature » nous donnerait un outil d’exploration des forces « guérisseuses » offertes par la nature. En d’autres termes, la plante enverrait des messages qu’il nous faut décrypter. Rappelons que « signature », de
signare, signifie désigner, indiquer, caractériser. «
Pour saisir l’impulsion thérapeutique qu’elle nous indique, par ses constituants, sa forme, son port, sa croissance, nous devons ouvrir notre cœur et notre esprit », ajoute Gabriele Roesch, attachée scientifique et pédagogique pour Deva, pharmacienne, florithérapeute. La pensée analogique est une pensée vivante, tissée de liens, de rapports, de ressemblances entre des éléments de nature différente et pourtant apparentée. «
Ce principe nous révèle que les règnes ne sont pas séparés, nous sommes régis par les mêmes lois, il existe une sorte de fraternité », traduit Claire Bonnet. En d’autres termes, tout est relié, tout fait sens...
Histoires, dates et fondateurs
À quel moment la loi des similitudes a-t-elle montré le chemin de son usage ? Nul ne le sait vraiment. «
Ce qui est avéré à travers l’histoire de l’apprentissage des savoirs, c’est que les peuples anciens avaient reconnu dans ce jeu de miroirs, l’ordonnance divine du monde : tout dans la nature est Un ! », répond Claire Bonnet. Ainsi, les druides de Gaule, enfants du chêne et du gui, étaient instruits des secrets de l’Univers, et savants dans la connaissance de la nature. La conquête romaine, puis la christianisation de la Gaule, firent basculer l’ancien monde dans l’oubli, et diabolisèrent leur féérie. Il faudra attendre le Moyen Âge pour voir renaître la pensée des correspondances analogiques développées dans les milieux alchimistes, puis la Renaissance.
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Le brillant Paracelse (1493-1541), médecin philosophe alchimiste suisse, donnera à la théorie une légitimité intellectuelle », rappelle Gabriele Roesch. Pour lui, la plante témoigne d’un message d’ordre divin, délivré par sa morphologie. Largement contestée au XVII
e siècle, abandonnée par le monde savant du siècle des Lumières, elle sera reprise par Goethe (1749-1832) et Hahnemann (1755-1843). C’est avec Rudolf Steiner (1861-1925), visionnaire et cofondateur avec Ita Wegman de la médecine anthroposophique, que « les signatures » connaissent un renouveau. Une vision où l’être humain est une composante de la nature et obéit à ses lois. Puis ce principe trouve un nouvel élan avec Edward Bach (1886-1936), inspiré par la pensée spagirique, issue de l’alchimie, de Paracelse, et résolu à trouver le remède de l’âme dans l’expression de la quintessence florale.
Selon la théorie des signatures, les plantes soignent ou nourrissent un organe, que révèlent sa forme, sa texture, son habitat.
Signature, organes, pathologies
Dans la vision des « signatures », là où naissent les maladies, tant physiques que psychiques, apparaissent les remèdes. Ainsi, l’image que renvoie la plante dans sa communication peut révéler une parenté avec le corps humain, ou l’un de ses organes. «
La forme des feuilles, des inflorescences ou des fruits est prise en compte puis comparée avec le corps humain, et les problématiques de santé », détaille Gabriele Roesch. Le bouleau, par exemple, dont la fine pellicule recouvre l’écorce, porte la signature de la peau. «
La sève, ainsi que les feuilles de cet arbre sont réputées drainer l’organisme ; une fois les toxines éliminées, la peau retrouve son aspect sain », confirme Claire Bonnet. Nous pouvons aussi retrouver la représentation des bronches dans les feuilles des pulmonaires, des plantes vivaces de sous-bois. D’autre part, la théorie des signatures met également en évidence des similitudes en rapport avec les maladies.
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Dans l’exercice d’interprétation, on peut observer que certaines images végétales renvoient à une pathologie ou ses symptômes », ajoute Claire Bonnet. Prenons le coquelicot aux pétales rouge feu qui s’embrase et s’éteint aussi vite ; à peine consumés, les pétales sont déjà à terre. Ces éléments nous informent sur ses propriétés adoucissantes et hydratantes : «
L’infusion de pétales calme l’inflammation de la gorge et des bronches », rappelle l’ethnobotaniste. Tandis que les stigmates imprimés dans la chair du sceau de Salomon, une plante courante des sous-bois calcaires, signent l’aptitude du rhizome à agir sur les cicatrices. Le médecin homéopathe et fondateur du collège de médecine anthroposophique Jean-Hubert Gueguen a confirmé son efficacité pour soigner les granulomes annulaires cutanés, une maladie chronique.
Signature, émotions
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L’impatience est la première fleur découverte par le Dr Edward Bach, en 1928, dans son cabinet de Londres », confie Gabriele Roesch. Un déclic qui va entraîner l’application de la théorie des signatures aux émotions, que le célèbre médecin va développer le floral. «
Il va mettre en évidence les correspondances entre les comportements déclenchés par les émotions et la signature des fleurs », poursuit la pharmacienne. Certaines sont évidentes, comme le tremble (Aspen) avec ses feuilles tremblant d’anxiété, qui va calmer nos angoisses. La clématite, liane vivace grimpante vers le ciel et la lumière, indique par sa signature et sa couleur blanche son manque d’intérêt pour le sol, le matériel, et également son appétence pour la rêverie. Or ses racines profondes vont donner à la personne un puissant ancrage. Pour nous permettre d’identifier nos alliés floraux, le médecin les a répartis en groupes, en catégories, comme « la solitude » ou « les peurs », détaille notre experte. C’est le cas du mimulus par exemple, qui pousse au bord de l’eau ; un environnement qui en dit long sur son rapport aux émotions et aux débordements. «
La fleur propose d’apprendre à faire confiance au flux de la vie », traduit Gabriele Roesch.
Récemment, certains phénomènes naturels ont corroboré les liens mystérieux entre l’homme et la nature, qui ne manquent pas de se révéler lors de circonstances exceptionnelles. «
À Bordeaux, pendant le confinement, une multitude d’étoiles de Bethléem ont poussé sur le bitume », rapporte cette dernière. Cette fleur, venue d’une lointaine terre d’Orient, signale un important traumatisme et en donne le remède en calmant les grandes détresses. Sa signature ? Trois pétales, et trois sépales, plus longs qui évoquent l’étoile de David, un guide puissant. «
La fleur qui, malgré l’environnement hostile, s’est frayé un passage nous offre un alignement corps/esprit dans l’axe de la voie royale, pour laisser passer la lumière », décrypte Gabriele Roesch. Un signe du divin dans l’obscurité !
Signature, saisons
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Sont également pris en compte dans la théorie des signatures l’habitat, le climat et bien sûr les saisons, soit les facteurs environnementaux de la plante », précise Claire Bonnet. En été, par exemple, les floraisons abondent et osent les couleurs chaudes ; les jaunes d’or, les orangés ou les rouges font leur entrée. «
Toutes les grandes plantes pour soigner les troubles anxiolytiques sont des plantes estivales, comme le millepertuis, grand remède à la mélancolie », ajoute l’ethnobotaniste. Ainsi, les signatures expriment les accords énergétiques saisonniers du monde végétal dont nous pouvons bénéficier, et que cette dernière nous détaille : «
La germination au printemps, l’aspect floral de l’été, le principe nourricier en automne, le repos de l’hiver. » Ainsi, en automne, la nature offre à l’homme de quoi se nourrir. La chaleur maternante du début de saison permet la production de substances sucrées, riches en vitamines et sels minéraux : mûres, framboises, prunes, figues... Au fur et à mesure des jours, les fruits se font plus riches en huile, en protéines, avec les noisettes, les noix, les châtaignes... Tous relèvent d’une signature nourricière, nous invitant à faire des provisions, pour préparer l’hiver, le retrait. Là, le souffle vital prend ses quartiers et réinvestit l’invisible : le monde souterrain des graines et des racines, les bourgeons bien emmaillotés, la respiration des grands arbres. «
Au cœur de cette saison aux couleurs de nuit, de petites lanternes se mettent à scintiller dans les arbres : le gui aux baies rondes d’une blancheur lunaire », s’émerveille Claire Bonnet. Tout est signature : leur organisation, leur croissance...
Finalement, la théorie des signatures met en évidence la dimension spirituelle de notre vie : «
Le visible serait l’émanation corporelle des principes invisibles », propose Claire Bonnet. Pour l’ethnobotaniste, les formes multiples empruntées par la nature dessinent un chemin de connaissance intemporel offert à l’homme qui veut voir et comprendre. En écho aux Celtes qui, dans leur relation mystique à la nature, voyaient en elle la sublime signature de l’union harmonieuse du ciel et de la terre. En conclusion, Gabriele Roesch nous rappelle : «
Tout est lié, tout est un. »
Et la science ?
La science ne comprend le végétal qu’à travers le principe actif, or ce dernier n’entre pas dans une vision holistique, à savoir la texture, la forme, l’habitat, la saison, le parfum, que sous-tend la théorie des signatures. La seule validation d’un aspect biochimique s’accorde mal avec un principe qui s’adresse au vivant, ou plutôt en révèle le mystère. Comme nous le rappelle Claire Bonnet : « Nous pouvons faire le parallèle avec l’amour, la production d’hormones qu’il entraîne et qui a pu être mise en évidence, mais qui ne peut en définir l’essence. »