Nous avons oublié que nous étions tous poètes, libres d’esprit, capables de créer et
d’aimer. Face à une réalité perçue comme morose, un feu ancien est revenu fertiliser nos
terres intérieures : la poésie, qui prend de nouvelles formes et permet
à chacun d’opérer sa propre mue.
«
Nous ne sommes pas nés pour recouvrir cette terre de mélasse grise, pas nés pour les allées des hypermarchés […] pas nés pour le carnage […], le ménage […] Nous sommes nés pour la pluie et le vent, pour les yeux énamourés, pour le culot sauvage […] Nous sommes nés pour l’horizon et les couchers argentés, […] pour l’ardeur… » Dans un ruisseau de mots, c’est un puissant courant de résistance poétique que nous offre Cyril Dion
(1), militant écologiste et auteur. Poésie et résistance ! Deux mots qui, de prime abord, ne sont pas destinés à s’accorder, tant, pour nombre d’entre nous, poésie rime davantage avec rêve et fuite de la réalité. Et si, au contraire, la poésie avait d’incroyables pouvoirs enfouis ? Ils éclatent aujourd’hui au grand jour, fédérant, toutes générations confondues, avec une pertinence nouvelle.
Résistance poétique et liberté
Au même titre que la beauté ou l’émerveillement, aux vertus encensées par les philosophes, la poésie viendrait nous réveiller d’une transe hypnotique collective. Chef de file engagé, Cyril Dion la convoque, comme voie royale, pour échapper aux carcans et injonctions qui chaque jour colonisent nos esprits.
«
Puisque nous sommes une espèce fabulatrice et que nous avons besoin de récits pour raconter le monde, la poésie va nous permettre d’en changer… et de nous réinventer. » En offrant un point de vue décalé et libre, le poète invente un nouveau langage, et peut bouleverser nos représentations. «
Comme l’avait fait
Rimbaud, à son époque », ajoute-t-il, nous rappelant qu’il y a presque un siècle et demi, ses vers avaient
«
dynamité le cerveau de centaines de jeunes gens et posé les bases d’un nouveau souffle ».
La poésie comme bannière insolente de liberté, l’Américain Walt Whitman la brandit également au cours du même siècle, contre l’esclavage et pour la démocratie. «
Il y a une sorte de bataille culturelle à mener, comme occuper l’espace public avec des propositions infiniment poétiques », nous exhorte Cyril Dion, en évoquant le mouvement de la
Beat Generation dans les années 1950, aux États-Unis. «
Il y aurait comme un renouveau de ce courant qui déjà portait des valeurs d’écologie, de féminisme, de paix », renchérit-il.
En témoigne aussi la poétesse afro-américaine Amanda Gorman
(2), qui a déclamé avec une incroyable ferveur
La colline que nous gravissons, lors de la cérémonie d’investiture du président Joe Biden, le 20 janvier 2021. Elle s’est emparée par le seul pouvoir de la poésie d’une
«
époque naufragée », comme elle la nomme, pour nous livrer un chant d’espoir et de guérison qui a résonné au-delà des frontières. Inspirés d’une souffrance collective, tant historique que plus récente avec la pandémie, ses textes s’affirment à la fois porteurs de mémoires du passé et d’utopies pour un avenir plus éclairé. Le temps serait donc venu de déconstruire et de semer de nouveaux jalons avec la poésie, qui fait son retour en force, en puissante gardienne de notre feu intérieur.
Nous avons besoin d’activer nos imaginaires pour changer
de paradigmes.
Un baume au cœur
au pouvoir guérisseur
Hier encore discrète, interdite et parfois même austère, la poésie de l’intime chuchotait derrière une porte fermée à double tour, bien gardée au fond d’un tiroir. C’était le cas pour l’immense poétesse du XIX
e siècle, Emily Dickinson, qui «
puisait dans une attention sans cesse renouvelée aux détails les plus infimes du quotidien la force de continuer à vivre », selon les mots de Cyril Dion. Aujourd’hui, tel un puissant baume au cœur recherché par une génération tout entière, la poésie s’exprime, ou plutôt s’impose dans de nouveaux formats, embrasant la toile, occupant les rayons des librairies comme le devant de la scène. Figure emblématique flamboyante de cette renaissance du genre, Rupi Kaur
(3), trentenaire canadienne d’origine indienne, réinvente la posture de poétesse lors de performances à travers le monde, qui se jouent à guichets fermés. Pourquoi un tel engouement ? Sa poésie rassemble, là où la société divise et isole ! À la découverte de ses textes et dessins, publiés au jour le jour, privilégiant l’instantané,
et des innombrables commentaires de ses fans, l’évidence s’impose : chacun se reconnaît dans ses mots. Sa poésie aux thématiques actuelles, entre tabou des règles, dépression, rupture amoureuse, doutes, agit telle une caisse de résonance face au malaise ambiant, et permet à chacun d’opérer sa propre mue.
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