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La plus grande ruse du démon est de faire croire qu’il n’existe pas », a écrit le poète Charles Baudelaire. Sous des apparats de lumière, de bonnes intentions et de figures angéliques, les pratiques donnant accès au monde non manifesté ne sont pourtant pas sans risques. Le bas astral serait une dimension très proche de l’existence terrestre. Contrairement à une idée répandue, ce ne serait pas une zone spécifique, ni un purgatoire, mais simplement un au-delà proche de nous par la nature des vibrations qui y règnent, lesquelles se rapprochent considérablement de celles de la matière – selon les travaux d’Allan Kardec –, qui sont plus denses. Puisque de nombreux repères religieux et culturels n’ont plus cours aujourd’hui, l’absence de cadre peut conduire des apprentis guérisseurs ou thérapeutes à vivre des expériences inattendues, perturbantes, voire difficiles. Peu préparés à plonger dans cette nouvelle dimension, ils deviendraient perméables aux vibrations qu’elle contiendrait, avec des conséquences néfastes.
Le total investissement du thérapeute
Le contact avec ces dimensions invisibles comprend son lot de risques, de projections et d’illusions et les bonnes intentions ne suffisent pas à les endiguer. Le bas astral serait peuplé d’âmes en déshérence parfois mortes avec violence ou attachées à leur vie pour des raisons matérielles ou affectives, elles rencontreraient donc des difficultés à passer vers d’autres dimensions plus subtiles et lumineuses, expliquent certains connaisseurs comme les prêtres exorcistes ou encore certains médiums. Cette dimension serait aussi constituée d’entités glanant avec elles des informations et des morceaux de l’inconscient collectif. Une telle confrontation avec cette dimension sombre a été l’expérience vécue par Christine. Au terme de quelques années d’apprentissage du reiki, elle doit, dans le cadre de sa formation, s’entraîner à soigner à distance en se connectant à une femme située dans une pièce voisine. Elle se retrouve rapidement en transe et perçoit chez cette personne des figures effrayantes, des nuages de noirceur en mouvement qui s’échappent de son thorax. «
Je sentais que ces ombres étaient puissamment négatives et maléfiques, que cette personne était en profonde souffrance. J’ai appréhendé une dimension insoupçonnée à laquelle je n’avais jamais été confrontée, moi qui me relie davantage aux archanges et à la lumière », confie-t-elle. Rapidement, la formatrice met un terme à l’expérience qu’elle juge dangereuse, mais Christine en conserve un souvenir indélébile : «
Les images que j’ai vues m’ont énormément marquée », avoue-t-elle.
Par leurs contacts répétés avec les dimensions invisibles, les guérisseurs seraient donc souvent en proie à ce que les exorcistes appellent « le parasitage ». En tant que canaux entre le monde terrestre et le monde invisible, ils seraient plus vulnérables aux manipulations des entités de ce plan, faute pour ces dernières d’évoluer vers des dimensions de lumière. Ces peuples de l’ombre sont désignés sous les noms de démons, mauvais génies, esprits du mal. Dans le monde arabe, on les appelle les
djinns. Au cours d’un rituel de magie noire, ils pourraient être envoyés sur une personne choisie. En Inde, il s’agit des
rakshasas. La tradition juive de la Kabbale dénombre 600 démons qui ont chacun leur spécialité. Dans le sud de la France, au prieuré de Saint-Laurent-du-Var, les pères Gérard de Martigues et George de Saint Hirst pratiquent des milliers d’exorcismes par an. Chaque année, avant la pandémie, aux mois de septembre et octobre, ils voyaient arriver des jeunes de retour d’Amérique du Sud.
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Ces jeunes vivent des expériences pendant l’été et boivent du jus de liane (l’ayahuasca) durant des stages de chamanisme. Ils pensent alors détenir de prétendus pouvoirs. Mais ils sèment la pagaille autour d’eux, car ils ouvrent des portes qu’ils ne contrôlent pas. Quand ils n’en peuvent plus, qu’ils sont trop chargés, ils viennent ici pour se libérer de ce qu’ils ont contacté. » Quel est leur profil ? La moitié des personnes reçues par les pères sont des thérapeutes : «
Ce sont des personnes extrêmement sensibles, ce sont des éponges. Ces gens manipulent des énergies dont ils n’ont pas idée. »
L’absence de cadre peut conduire des apprentis guérisseurs ou thérapeutes à vivre des expériences inattendues.
L’illusion d’un pouvoir
Lors d’expériences fortes comme un voyage astral, une décorporation et même une expérience de mort imminente, les différents corps seraient rendus plus vulnérables aux parasitages, en particulier à travers le corps énergétique, explique le père Gérard. Invisible pour l’être humain, il s’agit d’un champ d’énergie entourant le corps physique. De même, lors d’un affaiblissement des corps, qu’il soit psychique ou énergétique, les portes de ces dimensions s’ouvriraient, libérant des morceaux de conscience, d’informations agrégées par des entités qui s’intégreraient ensuite aux différents corps constitutifs de l’être humain. Si ces plans sont composés d’informations accumulées par l’humanité, par conséquent, on y trouverait aussi des vibrations très négatives. Lorsque ce parasitage se conjugue au besoin d’aider, cela provoquerait des situations compliquées à gérer, pour la personne comme pour son entourage.
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Autrefois, les transmissions se déroulaient de façon plus secrète et généalogique, d’une guérisseuse à un enfant, par exemple. Cela n’entrait pas dans le domaine public. Tout le problème est que ces personnes ont envie de soigner. Ces expériences ouvrent des portes mais éveillent aussi les instincts de pouvoir. Il faut se poser la question de ce qui anime quelqu’un qui souhaite soigner les autres », précise le père Gérard. Ce qui permettrait aux forces obscures de rendre certains vulnérables serait l’appétence, souvent inconsciente, pour le pouvoir. Les forces invisibles utiliseraient la volonté des personnes parasitées pour en faire des jouets à leur merci. Certaines entités pourraient ainsi octroyer des pouvoirs trompeurs de clairvoyance ou de guérison à leurs victimes. Le thérapeute susceptible de gagner un pouvoir de manipulation sur la personne qu’il soigne et lui-même serait manipulé par les forces de l’ombre. «
La connexion avec un patient installe un rapport énergétique. On peut influencer n’importe qui à partir du moment où on a cette espèce de pouvoir », souligne-t-il. Les conséquences se joueraient à différents niveaux. D’abord énergétique, le patient ne se sentira pas mieux après une consultation, voire sera en proie à certains maux physiques. Sur le plan psychologique ensuite et en conséquence logique, la relation entre le patient et le thérapeute pourra évoluer vers un phénomène d’emprise.
Fabienne Pujalte, guérisseuse depuis une dizaine d’années, explique : «
Je tente toujours de me souvenir de la raison pour laquelle je fais des soins. On peut être dépassé par son ego et certaines entités nourrissent des jeux de pouvoir. Il m’est arrivé de prendre le pouvoir sans le vouloir. Pendant un an, j’ai eu des attaques qui se manifestaient par des entités au moment de m’endormir, il m’apparaissait des visages déplaisants, des frissons dans le dos, des bêtes, des araignées, des animaux féroces. Je sais maintenant que cela était causé par ma propre vie intérieure et le déni d’une part d’obscurité en moi. » Elle ajoute : «
Il faut sans cesse se souvenir que l’énergie avec laquelle on travaille n’est pas la nôtre. Cela demande de l’humilité, de l’ancrage et un lâcher-prise total. »
Jusqu’à l’exorcisme ?
Crises de somnambulisme, pressions très fortes sur la poitrine, crampes, sueurs, fatigue chronique, insomnies, cauchemars répétitifs seraient quelques-uns des symptômes de ces parasitages qui précipiteraient la perte de contrôle de soi, de ses réactions et de son libre arbitre.
Les protocoles d’exorcisme des pères du prieuré se différencient du livre référence édité par le concile Vatican II. Ils utilisent le
Manuel d’exorcismes de l’Église datant de 1626, partagé par les exorcistes vieux-catholiques romains ou encore les orthodoxes. Cet ouvrage contient des psaumes et adjurations traduites du latin au français pour chasser le mal. «
Jésus-Christ était un guérisseur. L’Évangile relate qu’il chassait les démons à travers les personnes qu’il rencontrait », explique le père Gérard.
Lors de chaque séance, il commence par poser des questions bien spécifiques à la manière d’un médecin s’enquérant des symptômes de son patient : «
Au moment de réintégrer votre corps, avez-vous observé une accélération du rythme cardiaque ? Pendant combien de minutes ? Avez-vous eu des palpitations ? Des sueurs froides ? » «
La difficulté est de nommer le mal, mais à partir du moment où vous l’avez identifié, il devient possible de le combattre », affirme le père Gérard. En vue des séances d’exorcisme, les pères préparent des huiles saintes, de l’eau bénite, font brûler un cierge béni qui détient un pouvoir exorcisant. Associés aux prières, à l’imposition des mains et à une foi inébranlable dans la lumière et dans le Christ, les exorcismes des pères de Saint-Laurent connaissent un grand succès. Comment se prémunir personnellement de ce type de perturbations ? «
Grâce à votre comportement au quotidien », précise le père Gérard. Les pères appellent à transformer nos faiblesses humaines en forces en usant de courage et de tempérance. L’humilité, une vie pure est peut-être le meilleur antidote face aux déviances du pouvoir, car c’est finalement l’ego qui serait exploité par les forces obscures.
L’explosion des guérisseurs, des médiums, des guides, des hypnothérapeutes fait surgir des pratiques qui ne sont absolument pas prudentes et des abus de pouvoir, avec des velléités de devenir de miniprophètes. C’est très dangereux.
La fausse lumière
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Il y a 10 ans, on parlait peu de médiumnité car c’était très mal considéré, vu comme une forme d’occultisme et non d’éveil de la conscience. Depuis, l’explosion des guérisseurs, des médiums, des guides, des hypnothérapeutes fait surgir des pratiques qui ne sont absolument pas prudentes et des abus de pouvoir, avec des velléités de devenir de miniprophètes. C’est très dangereux », dénonce la médium Patricia Darré.
Derrière le désir d’aider les autres et l’engouement en faveur de l’ésotérisme, elle distingue un phénomène qu’elle nomme « la fausse lumière ». Dans son dernier livre,
Mes rendez-vous avec Walter Höffer, elle relate ses conversations avec son ange gardien, nommé Walter Höffer, SS dans sa dernière vie sur Terre, malgré tout parvenu à évoluer vers la lumière. Ce dernier la met en garde contre cette fausse lumière qui serait très présente dans les temps que nous traversons. «
On parle de la fausse lumière depuis un an ou deux dans les messages adressés à certains médiums qui ont reçu une mise en garde contre les faux prophètes du monde du paranormal – ce qui me fait penser aux faux prophètes de la Bible, un condensé de ce qu’on peut vivre dans le paranormal – qui s’appuient sur le mercantilisme, la manipulation par les réseaux sociaux et bien sûr la détresse des gens et la peur... »
Ainsi, elle rencontre de nombreuses personnes convaincues d’être médiums alors qu’elles ne communiquent ni avec l’au-delà ni avec les défunts. «
Cela crée une relation de dépendance qui vous persuade de qui vous êtes », explique Patricia Darré. On sait aujourd’hui que la conscience est un monde infini. Mais il semblerait qu’à l’éveil de conscience succèdent les abus de pouvoir. En quoi consiste cette fausse lumière et comment la reconnaître ? «
C’est se donner l’impression d’être sur le bon chemin alors qu’il est fait de leurres et de mensonges, c’est orner ce qui est déplaisant de belles parures, c’est une manière de falsifier la réalité pour la rendre admirable dans le but d’en tirer profit. C’est bâtir son existence sur le mensonge. » Elle donne un exemple : «
On confond se pétrir dans l’ego, l’égoïsme, et prendre soin de soi. Et, plutôt que d’agir vers des desseins élevés, on s’abaisse. La fausse lumière est manipulatrice. S’aimer bien ne veut pas dire devenir égoïste. Or, la fausse lumière joue sur la nuance. Le pire est l’individualisme, l’amour de soi et l’ego. » Au contraire, elle préconise de travailler sur soi et de faire preuve de discernement.
Le contact avec son ange gardien lui apprend aussi que le bas astral formerait un vivier d’âmes perdues à la recherche d’une issue et dont la présence freinerait l’humanité dans son évolution : «
Les vivants et les morts forment un tout. Nous sommes imbriqués les uns aux autres. Quand on aide quelqu’un à passer en priant pour lui, il nous aidera en retour en nous donnant de la force », ajoute-t-elle encore, ouvrant de nouvelles perspectives dans nos rapports à l’au-delà.