Notion apportant plus de questions que de réponses, la norme est cependant un point de repère, même s’il fluctue avec les époques et les lieux. En écho à la norme sociale, que dit de « moi » ce désir de référence ? Est-ce une liberté de s’y soumettre ou au contraire le renoncement à notre singulier rapport au désir ?
« On ne naît pas normal, on le devient », pourrait aussi dire l’adage emprunté à Simone de Beauvoir
(1)... La normalité est une notion éminemment sociale – on n’est « normal » que par rapport à un autre, on n’est pas « normal » tout seul –, et qui évolue avec les époques. C’est notamment dans ces périodes de transitions que se trouvent tous les paradoxes. Qu’est-ce qui fait que quelque chose de normal va glisser vers l’anormal, ou pour le dire autrement, à quel moment quelque chose d’anormal va-t-il devenir normé ? Mais d’un point de vue individuel, et c’est aussi de là qu’est partie la psychanalyse, le normal va se heurter au « pathologique », faisant de nous des êtres paradoxaux en perpétuelle évolution. Emmanuelle Laurent, alias Mardi Noir, est une auteure et youtubeuse spécialisée dans les questions psychanalytiques au regard de notre société contemporaine. Créatrice de la série de vidéos
Psychanalyse-toi la face, elle décortique les notions fondamentales de Freud et Lacan tout en se maquillant, prêtant à la fois un aspect cocasse et dédramatisé aux questions qu’elle soulève, tout en y apportant une rigueur incontestable. Une manière très décalée d’aborder la psychanalyse sans passer à côté des difficultés humaines qu’elle traite. Dans son dernier livre, Mardi Noir s’attaque à la notion de la normalité, tant au travers de questions contemporaines qu’avec son témoignage de femme de son temps, et interroge sur l’émancipation des conventions. Plus que jamais, ce questionnement peut s’élever : suivre notre propre chemin, vers les voies inexplorées de la connaissance et de la liberté. Toutes les évolutions ne se font-elles pas en brisant les normes ?
Qu’est-ce que la norme ?
La norme est un consensus établi implicitement entre les membres d’un même groupe. Absorbé petit à petit par l’enfant, au prix parfois de certaines souffrances, ce consensus social se forge chez l’individu comme un ensemble de « règles à suivre », sans lesquelles il risque d’être évincé. Société dont l’animal social qu’est l’humain a besoin pour survivre, cela va de soi. La norme est donc associée à une culture, une temporalité et aussi parfois, et c’est là que le bât blesse, une idéologie. Parce que la norme résonne quand même avec l’idée que les particularités y sont gommées au profit d’un général plus répandu. Mais comment advient ce « général » ? Produit d’une culture, d’une spiritualité, d’une science, la norme prend le risque de la standardisation, au sein de laquelle l’individu ne se reconnaît peut-être pas. Et ici entrent en scène ce que nous redoutons tous et qui nous maintient dans ce qui-vive de la norme : le jugement de valeur et le regard des autres. Explosion avec Internet bien sûr... Mardi Noir
(2) soulève cet écueil relatif aux réseaux sociaux : «
Ce que l’on voit d’une personne est lissé à un seul aspect, gommant les contradictions à l’être humain. Nous aimons classer, trier, organiser ce qui nous échappe. » Et c’est cette complexité humaine qui disparaît dans la norme à coup de sabre, «
la norme n’est pas établie pour être subtile », comme aime à le rappeler l’auteure. Tout ce qui est subversif, alternatif, critique ou transgressif joue alors sur la corde sensible de la norme.
Récemment avec la crise de la Covid, qui ne s’est pas heurté aux questionnements sur le « discours ambiant », qui ne s’est pas posé au moins une fois la question de ses propres croyances au regard de celles énoncées « publiquement » ? Le rapport à la norme interroge nos idées reçues, nous force, sans que nous nous en rendions vraiment compte, à nous positionner. La norme suit-elle la mode, est-elle asservie au politiquement correct ? Que dire des artistes qui bousculent les normes pour parfois faire avancer la pensée ? Les frontières bougent sans cesse : de l’anecdotique – autrefois les tatouages étaient réservés aux loubards ou aux routards, aujourd’hui la moindre blogueuse de mode en possède au moins un – jusqu’au fondamental. La norme moyenâgeuse a été de croire que la Terre était plate, que de soigner avec les plantes menait en enfer... la liste est infinie. Alors, comment savoir si aujourd’hui notre norme n’est pas dans l’erreur ? Ou du moins tellement associée à une époque qu’elle pourrait disparaître en un rien de temps ? Chez les philosophes, la notion de « normalité » est parfois dénoncée comme un instrument de pouvoir, une manière indirecte d’influencer la population. Mais avec les réseaux sociaux, est-ce aussi simple aujourd’hui ?
Je veux me distinguer des autres, être original et remarqué et en même temps je veux absolument faire partie de la norme sociale et ne pas être exclu.
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