Révélant les extensions extraordinaires et insoupçonnées de notre réalité, la nuit nous rappelle l’existence d’une dimension insaisissable. Elle devient alors source d’un savoir dont de nombreuses cultures et spiritualités se sont inspirées.
On nous l’assure. Notre monde sera un jour entièrement connu et notre réalité sera à terme modélisable. Notre univers est le résultat d’une loi de cause à effet s’inscrivant dans un temps linéaire. La rationalité est le but ultime à atteindre. Mais voilà que le soleil se couche, illuminant le ciel de ses couleurs chaudes, et que la nuit jette son voile progressif, inexorable, sur des cieux qui s’assombrissent. Notre monde cartésien peut-il résister à cette grande dame aux allures insondables ? Sommes-nous si sûrs de la suprématie de nos lumières ?
« Quand on y pense, la nuit est le vrai maître des lieux. La lumière a jailli de l’obscurité 380 000 ans après le big bang. Avant cela, l’univers était noir et opaque. Ainsi, la nuit qui héberge le jour sort toujours vainqueur une fois que le soleil se couche ou qu’une étoile s’éteint », indique l’astrophysicien Morvan Salez, ancien chercheur pour la NASA et le CNRS, écrivain et musicien.
Notre univers baigne ainsi dans des ténèbres primordiales, et la moitié de notre existence se déroule au cœur de cette nuit et de ses profondeurs énigmatiques. Objectivement, nous serions toujours dans le même monde… mais quel monde ?
Comment définir notre réalité quand l’obscurité transforme nos perceptions et dévoile des perspectives vertigineuses, insaisissables, voire transcendantes ? La nuit percute notre raison de plein fouet. Nous conviant à faire décoller des fusées vers son immensité céleste, elle nous invite aussi à bien d’autres voyages étranges dans des dimensions tout aussi vastes et prodigieuses. Intériorités psychiques aux étendues transpersonnelles. Possiblement, mondes parallèles bien qu’invisibles à nos yeux.
« Pour les sociétés traditionnelles, partout et depuis toujours, la nuit revêt un autre sens. Elle transforme le temps et l’espace, instaure une communication singulière entre les êtres, relie le monde d’ici-bas à l’autre monde, celui des esprits et des puissances divines », renseigne la journaliste Catherine Vincent dans son article « La nuit sous toutes les latitudes » (Le Monde). Que nous révèle la nuit sur le monde et sur nous-mêmes ? Quelle relation osons-nous entretenir avec elle ?
La nuit tient lieu de fabrique, de laboratoire de la culture.
Source d’une richesse culturelle et spirituelle
Première idée à évacuer : il ne se passe rien la nuit parce que tout le monde dort. En réalité, la vie ne s’arrête jamais. Un nombre considérable de plantes et d’animaux déploient avec aise leurs activités dans l’obscurité.
« La nature fait en sorte que toutes les niches soient occupées, si bien que la faune et la flore font preuve d’une intense activité nocturne », enseigne Marc Giraud, naturaliste, animateur de télévision et auteur de
La Nature en bord de chemin. À la tombée du jour, un autre écosystème se révèle. Les espèces nocturnes se comptent par milliers, qu’elles soient dans l’eau, sur terre ou dans les airs. Serait-ce alors une pratique de l’espèce humaine que de dormir quand le soleil se couche ? (...)