Voici une aventure hors du commun. La mère du photographe Mathias de Lattre est bipolaire. Après 20 ans de calvaire et de médicalisation, de plus en plus difficile à vivre, il a décidé de lui faire expérimenter les champignons hallucinogènes…
Le texte est signé tout simplement « Maman ». Dans les pages qui ouvrent
Mother’s Therapy, le livre que Mathias de Lattre consacre à cette étrange aventure, sa mère écrit : «
Nous sommes déjà le 19 décembre et aujourd’hui c’est l’anniversaire de ton frère. Noël approche à grands pas et moi je croule sous le poids d’une culpabilité inutile. Je me hais, ne vous mérite pas. Me voilà anéantie, échouée aux urgences de l’hôpital le plus proche.
– Besoin de voir le psychiatre de garde, c’est urgent docteur, je suis en danger, je ne dois pas repartir, je suis bipolaire...
– Que se passe-t-il ?
– Je n’en peux plus. Je ne fais que dormir pour ne plus penser... Pour ne plus vivre... Oui je suis venue seule à pied pour me mettre à l’abri de mes pulsions morbides. Je suis au bord du gouffre, je n’y arrive plus. Je ne peux même pas en finir, pas le droit, j’ai deux enfants. Vous comprenez ?
Je suis proche du néant, de la brume plein la vue, le reste dans les ténèbres. Épuisée par des nuits sans sommeil, des jours sans manger et des semaines à pleurer. »
Une lente descente aux enfers
La bipolarité est un handicap invisible, dont on a tendance à minimiser l’impact sur la vie de ceux qui en souffrent. Mathias de Lattre, depuis l’enfance, voit à quel point elle pollue l’existence de sa mère. «
Elle a été diagnostiquée alors qu’elle approchait la quarantaine, raconte-t-il.
Ayant grandi à ses côtés, j’ai été témoin de ses variations d’humeur d’une amplitude souvent extrême, qui pouvaient survenir d’un jour à l’autre. Chez elle, les cycles dépressifs, voire mélancoliques, ont toujours dominé. Ses phases maniaques ou hypomaniaques étaient de plus courte durée, et plus facilement gérées. »
On ne sait pas encore guérir cette pathologie, mais seulement apaiser partiellement certains de ses symptômes. «
Au cours des dix dernières années, j’ai assisté à la chute continuelle de ma mère dans les profondeurs de la dépression, poursuit le photographe.
La quantité de pilules qu’elle avalait chaque jour brouillait son esprit, sans la stabiliser. S’il existe des neuroleptiques pour calmer l’agitation des phases dites up
, il n’existe aucun médicament pour corriger les phases down
et remonter l’humeur ; même les électrochocs ne garantissent rien. Au fur et à mesure, la vie de ma mère s’est considérablement dégradée, jusqu’à devenir un enfer. Les effets secondaires des nombreux médicaments qui lui étaient prescrits dégradaient de plus en plus sa santé, fragilisant ses os, ses dents, son système immunitaire, et favorisant toute forme d’allergie. Elle n’avait plus aucune mémoire ni capacité de concentration. Je craignais, a minima,
qu’elle termine sa vie en psychiatrie. »
Au moins trois quarts des bipolaires finissent dépressifs et n’ont pratiquement plus de moments
up en vieillissant. Ne pouvant se résigner à l’isolement social et à la déchéance de sa mère, Mathias de Lattre s’est mis en quête d’une solution capable de lui faire retrouver «
son vrai visage, sa personnalité, sa culture et sa vivacité d’esprit ». S’intéressant lui-même depuis une dizaine d’années aux propriétés thérapeutiques des psychédéliques, et notamment des champignons dits hallucinogènes, il s’est dit : «
Et pourquoi pas ? » «
La médecine psychédélique a connu un essor important dans les années 1940-1950, puis elle a été interdite, rappelle-t-il.
Aujourd’hui, elle est en pleine renaissance. » Dans le cadre de ses recherches, le photographe s’est notamment rendu au Pérou, dans un centre présidé par Jacques Mabit, qui soigne différents troubles psychiques et addictions par l’usage de plantes psychotropes locales. «
Ce que j’en ai expérimenté m’a donné un espoir pour ma mère, rapporte-t-il.
En me documentant, j’ai également appris que des recherches avaient été menées en Europe sur la psilocybine – le principe actif des champignons hallucinogènes. Plusieurs protocoles ont été expérimentés sur des dépressions résistantes à tout traitement allopathique. »
Après s’être assuré de leur potentiel dans le cadre d’une utilisation thérapeutique encadrée par des spécialistes et des professionnels de santé, Mathias de Lattre en a parlé à sa mère. «
Elle s’est montrée partante, d’autant plus que son psychiatre ne savait plus comment l’aider, explique-t-il.
Je me suis alors mis en quête d’un psychiatre qui connaissait aussi bien les bénéfices et l’usage de la psilocybine que les médicaments. » Le photographe part à Londres à la rencontre de Robin Carhart-Harris, David Nutt et de toute l’équipe de recherche de l’Imperial College, puis se rend à la Clinique psychiatrique universitaire de Zurich, où exerce le D
r Franz Vollenweider. «
Estimant que le cas des bipolaires est compliqué, et qu’aucun test clinique n’a été pratiqué, ces scientifiques ont toutefois préféré ne pas se risquer à une expérimentation, craignant notamment que ma mère reste bloquée en hypomanie, c’est-à-dire dans un état d’excitation violent dépassant toute forme de comportement cohérent », explique-t-il.
Au moins trois quarts des bipolaires finissent dépressifs et n’ont pratiquement plus de moments up en vieillissant.
(...)