Espace et temps façonnent notre réalité. Mais que révèle la mécanique quantique
sur nos perceptions ? Le présent est-il une illusion ? En décidant de notre futur,
influençons-nous le passé ? Voyage vers la vraie nature de la conscience.
Une chose est sûre : il va falloir du temps pour que notre vision du temps, et par conséquent aussi de l’espace (puisque nous savons aujourd’hui que les deux sont reliés) change. Tout comme il a fallu du temps pour que le monde reconnaisse que la Terre était ronde et non plate, puis qu’elle tournait sur elle-même et autour du Soleil. Les découvertes de Copernic ont dû être enrichies par celles de Galilée, Descartes et Kepler avant d’être complètement acceptées. On ne change pas de paradigme rapidement. Pour preuve, on commence à peine à intégrer dans nos esprits la relativité générale, pourtant révélée par Einstein en 1915, alors que ses applications s’observent un peu partout autour de nous : nos GPS, via les satellites, par exemple, en dépendent pour calculer nos trajets. Et l’on prend à peine conscience que la mécanique quantique, qui elle aussi a environ un siècle, a permis le développement de nombreuses technologies, dont celles utilisées dans nos ordinateurs.
Au fil des découvertes scientifiques, les conceptions ne cessent d’être remises en cause ou de s’enrichir, nous faisant sortir des illusions. Et quand il s’agit du temps, cela devient vite vertigineux. Nous expliquons aujourd’hui le monde grâce à deux théories de la physique, celle de la relativité générale et celle de la mécanique quantique. Ce qui n’est pas sans poser problème, car si les deux marchent très bien, il est pour l’instant impossible de les combiner ! Avant ces deux grandes approches, notre conception de l’espace et du temps, guidée par nos sens et notre intuition, a fortement varié, comme nous l’expose le physicien et philosophe des sciences Carlo Rovelli
(1). Avant d’aborder les deux notions ensemble, il faut introduire celle d’espace, que les premiers physiciens traitaient indépendamment du temps. Dans la science ancienne, jusqu’à Descartes, on pensait que l’espace ne pouvait exister en dehors de la matière ; il était alors relation entre tous les objets. Puis Newton pense l’espace comme un cadre de référence «
plat, uniforme et fixe », indépendant de tous les objets qui le composent. Maxwell y introduit alors la notion de « champ », que Faraday visualisait comme des « lignes de force ». Un objet exerce une force sur un autre, influençant le champ. Mais ces champs existent aussi indépendamment des objets, «
comme la mer existe, même s’il n’y a pas de bateau dessus », souligne Carlo Rovelli. C’est le début d’un nouveau paradigme.
La notion de « présent » ne fonctionne pas : dans le vaste Univers, il n’y a rien que nous ne puissions raisonnablement nommer « présent ».
Relation entre espace et temps
La théorie de la relativité générale d’Einstein est la première à entremêler l’espace et le temps. L’espace-temps n’est plus «
plat, uniforme et fixe », mais «
courbe, élastique et en vibration », explique Carlo Rovelli ; il est composé de champs, qui existent indépendamment de la matière. Parmi eux, le champ gravitationnel postule qu’une masse est susceptible d’exercer une attraction sur tout autre corps présent à proximité. Qu’est-ce que cela implique ? Une horloge suffisamment précise nous montre que le temps s’écoule plus vite en montagne qu’en plaine, tout simplement parce que les sommets sont un peu plus éloignés du centre de la Terre. En bas, à cause de la loi de gravité, le temps est ralenti de quelques nanosecondes. Conséquence : «
Celui qui vivait en plaine a moins vécu, il a moins vieilli, le mécanisme de son coucou a oscillé moins de fois, il a eu moins de temps pour faire les choses, ses plantes ont moins poussé, ses pensées ont eu moins de temps pour se développer… En bas, il y a moins de temps qu’en haut », observe le physicien dans son ouvrage
(2). Conclusion : le temps s’écoule à des vitesses différentes selon l’endroit où l’on se trouve sur la planète, mais aussi ailleurs dans l’Univers.
Dans le film
Interstellar (réalisé par Christopher Nolan en 2014), une équipe d’astronautes part visiter une planète à l’importante force gravitationnelle, aux abords d’un trou noir. Ce qui « ralentit » leur temps propre, donc leur horloge biologique, par rapport au temps terrestre : chaque heure passée sur cette planète équivaut à sept années sur Terre ! Ce phénomène crée un décalage important de vieillissement entre les astronautes et les membres de leur famille, une fois réunis dans le même espace-temps. «
En théorie, ce scénario est possible, même si, en pratique, le corps humain serait écrasé par la gravité ou l’accélération », nous explique Philippe Guillemant, physicien et chercheur au CNRS. À côté de la gravité, la vitesse a également une incidence sur le temps, puisqu’il est ralenti par elle. Par exemple, le temps passe plus lentement pour celui qui, au lieu de rester statique, s’éloigne pour revenir au même endroit ; il vieillit lui aussi moins vite. Une expérience a même montré que cela fonctionne pour les horloges de précision : l’une d’entre elles, embarquée dans un avion à réaction, retarde par rapport à la même restée sur Terre. Seule condition : «
Pour que ce petit effet soit visible, il faut bouger rapidement », ajoute Carlo Rovelli.
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