Entre physique moderne et sphères mystiques,
l’énergie concerne de nombreux domaines. Le mot
« énergie » apparaît très tôt, dès l’Antiquité grecque.
Mais pendant longtemps, sa définition reste vague.
On l’associe de prime abord à la force, la puissance…
Ce n’est qu’à partir du XIX
e siècle, avec la révolution
industrielle, que les scientifiques s’intéressent de plus
près à cette notion moderne. Pour revenir à la base,
on définit l’énergie comme la capacité d’un système
à modifier son état, à produire des transformations.
Comme l’explique le biophysicien Denis Bédat : «
Elle
est divisée en deux catégories, la potentielle qui se produit
avant une action, et la cinétique pendant l’action. Prenons
l’exemple d’une pomme dans un arbre. En position
fixe, accrochée à la branche, elle est chargée d’énergie potentielle
de par sa masse, sa hauteur et la force de gravité
exercée. Lorsqu’elle tombe, l’énergie potentielle est convertie
en cinétique ou énergie du mouvement. »
Autre propriété surprenante de l’énergie : l’Univers en
contient une quantité finie et constante. «
Rien ne se
perd, rien ne se crée, tout se transforme », énonçait le
chimiste Antoine de Lavoisier au XVIII
e siècle. Ainsi,
l’énergie ne fait que se transmettre ou se transformer
; elle ne peut être ni créée ni détruite. D’un bout
à l’autre de l’Univers, depuis notre vélo électrique
jusqu’au noyau du Soleil, c’est la même force qui agit, elle a simplement changé de forme.
Enfin, l’énergie
est une propriété de la matière relative à un contexte :
où l’on se trouve, à quelle vitesse on se déplace…
Ainsi, celle contenue dans le bois se mue, lors de la
combustion, en chaleur et en lumière. L’énergie du
Soleil est convertie en éléments de croissance par les
plantes, grâce à la photosynthèse. Autre exemple : si
l’on fait rouler une balle sur le sol, elle ralentit et finit
par s’arrêter, ayant perdu progressivement son énergie
cinétique à cause des frottements. Mais cette dernière
n’a pas pour autant disparu : elle s’est transformée en
chaleur, transmise au sol et à l’air.
Un enjeu majeur
Surtout, l’énergie est essentielle au fonctionnement de
nos sociétés. En janvier 1999, l’Assemblée nationale
française votait « le droit à l’électricité pour tous ». Une
décision jurisprudentielle qui reconnaît officiellement
les besoins humains en énergie. Comme le précise
Denis Bédat : «
En 2020, la consommation énergétique
en France se compose de 40 % de nucléaire, 28 % de
pétrole, 16 % de gaz naturel, 14 % d’énergies renouvelables
et déchets et 2 % de charbon » (chiffres officiels
du ministère de la Transition écologique). La hausse
actuelle des coûts de l’énergie nous rappelle à quel
point nous sommes dépendants d’elle pour notre quotidien : nous éclairer, nous chauffer, faire fonctionner
notre véhicule… Et pourtant, nous constatons chaque
jour à quel point il demeure difficile d’en bénéficier
équitablement.
Comme l’écrivait Michel Clerc, alors
président de l’association Droit à l’énergie-SOS futur :
«
Aujourd’hui, le dixième de la population mondiale
consomme 80 % de l’énergie produite sur notre planète
quand deux tiers de cette population disposent de moins
d’un dollar par jour pour vivre. »
(1) Le problème rencontré
par le monde scientifique réside dans le fait qu’il
faut beaucoup d’énergie pour en produire trop peu,
en d’autres termes, nous produisons toujours à perte.
Alors, quelles sont les solutions d’avenir à envisager,
puisque les êtres humains consomment toujours plus ?
Selon le professeur Bédat, «
l’espoir pave l’horizon. Après
70 ans de recherche, fin 2022, des chercheurs du National
Ignition Facility dans le Lawrence Livermore National
Laboratory (Californie) ont réussi à exploiter brièvement
et en miniature la puissance des étoiles sur Terre. On l’appelle
fusion nucléaire, qui est de combiner deux particules
en une. Dans cette expérimentation, 2,05 mégajoules
d’énergie par laser ont été utilisés pour réaliser la fusion,
et environ 3,15 mégajoules ont été émis après la fusion,
soit un gain d’énergie d’environ 50 %. Une première
historique. À titre d’illustration, un kilo de ces éléments
pourrait fournir l’équivalent de 10 millions de kilos de
pétrole. » Si cette technologie est loin d’être prête à
être déployée dans des centrales électriques viables, ce
premier succès vers une source d’énergie propre, abondante,
sans émission de gaz à effet de serre ni sous-produits
de déchets radioactifs est l’exploit le plus impressionnant
du XXI
e siècle, mais suscite pour certains des
questions de sécurité…
D’un bout à l’autre de l’Univers,
depuis notre vélo électrique
jusqu’au noyau du Soleil,
c’est la même force qui agit,
elle a simplement changé de forme.
Les grandes traditions
N’oublions pas, enfin, l’énergie humaine, ce réservoir
devenu lui aussi enjeu sociétal. Ainsi, « avoir de
l’énergie » est un capital qui s’inscrit dans le modèle
productiviste moderne, et en disposer est un critère
recherché dans le monde professionnel, comme le décrit
Nicolas Rouig dans l’ouvrage
Je retrouve mon énergie
(éd. Puf) : «
Celui-ci modélise l’apparence requise de
tout membre appartenant au corps social : “dynamique”,
“prise d’initiative”, “mobile” et tous les verbes d’action
qui étoffent les C.V. sont les conditions minimales d’une
“monétisation” de sa vie professionnelle et personnelle. »
La course à l’énergie et à la productivité. Est-ce bien
ce que l’on souhaite pour l’avenir ? L’auteur ajoute
que «
telle une règle à degrés censée nous éloigner le plus
possible du sédentaire immobile, de l’objet inanimé, les sollicitations sont multiples et permanentes. Quel que soit son âge, on court dans les villes, on doit témoigner
de sa vitalité. Il faut se dépenser, produire et consommer
constamment, pour se donner l’impression de vivre pleinement
sa vie… »
Heureusement, l’énergie humaine va bien au-delà de
ces considérations de rentabilité, et touche à des questions
philosophiques. Celle qui fait « tourner notre
monde » nous relie au Cosmos. Par exemple, nous
utilisons le carbone en premier lieu, qui résulte de
siècles d’histoire de l’Univers. «
Nous utilisons quelque
chose qui a une histoire temporelle, qui tient au développement
réel de l’Univers ; chaque parcelle de carbone
résulte d’une longue histoire géologique et finalement cosmique
dont nous nous nourrissons pour grandir, comme
les plantes se nourrissent depuis le ciel d’abord, par l’énergie
solaire, et seulement secondairement en plongeant des
racines dans la terre », comme nous le rappelle Frédéric
Worms sur France Culture
(2). Le lien entre le
vivant terrestre et l’Univers passe par l’énergie, et va
bien au-delà du carburant que nous mettons dans
nos moteurs. Paul Ricœur, dans son ouvrage
Soi-même
comme un autre, évoque l’humain comme un
être mû par l’énergie. Ainsi, l’action humaine nous
relie de façon énergétique au mouvement simultané
de l’Univers dans son déploiement énergétique. Nous
formons ainsi un grand ensemble pulsant de concert.
Que penser enfin de l’approche subtile de l’énergie,
telle que décrite dans de nombreuses traditions ?
Elle se nomme
prana chez les hindous,
qi chez les
Chinois… S’intègre-t-elle aussi à cette sorte de trame
universelle qui a créé et ferait tourner le monde ?
Selon l’approche des médecines ancestrales, notre
énergie dite « vitale » est associée à une complicité du
corps et de l’esprit. Une mauvaise nouvelle, et nous
voilà les jambes coupées, sans énergie. Elle serait donc
liée à nos émotions ? Mais aussi à notre alimentation,
à notre environnement, à nos hormones… Que penser
alors des canaux et centres d’énergie évoqués dans
les traditions, à l’instar des méridiens d’acupuncture,
des chakras, ou même de l’aura ? Comment comprendre
et définir ce qu’on ne voit pas ?
Entre autres découvertes scientifiques prometteuses,
des études menées par Denis Bédat et ses collègues
à l’Institut californien des sciences humaines prouveraient
l’existence de l’aura, ou tout au moins de l’une
de ses formes. «
On appelle ce phénomène biophoton.
Ce sont des paquets de lumière émis par l’ADN des organismes
vivants. Cette émanation de lumière comprise entre 200 et 800 nanomètres (de ultraviolet à infrarouge)
est très faible, de l’ordre de 100 photons par centimètre
carré. Si faible qu’elle est invisible à l’œil nu. Cependant,
ils peuvent être détectés et quantifiés à l’aide de caméras
spéciales. Pour ce faire, il faut se placer dans une cage de
Faraday et une chambre noire, environ 10 000 fois plus
noire qu’une nuit dans laquelle on ne verrait strictement
rien. Nous avons constaté qu’en période d’exercice physique,
il y a une émission à dominance de vert et pendant
le sommeil, de rouge. Cette bioluminescence joue un rôle
important dans la communication intercellulaire et est
représentative de ce qu’il se passe dans le corps et l’esprit
à chaque instant. » Ces biophotons sont un sujet de
recherche prometteur dans les domaines de la biologie
et de la médecine. Denis Bédat conclut qu’«
un monde
nouveau, une nouvelle ère de l’humanité se dessine avec
l’arrivée des énergies perpétuelles à l’infini, les ordinateurs quantiques et les intelligences artificielles ».
Une force plurielle
Stockée dans les objets, les molécules, les atomes, l’énergie se manifeste
de multiples façons. À l’état brut ou « domestiquée » par l’homme, elle a
la propriété de passer d’un état à un autre, souvent en se transformant.
Si le mouvement, la lumière, le vent, les vagues font partie de ses manifestations,
les formes qu’elle revêt sont nombreuses. Les plus familières
comprennent :
Mécanique : la force motrice derrière les machines.
Thermique : convertie à partir de la chaleur, telle que la vapeur d’une
machine à vapeur ou la chaleur des gaz en combustion.
Chimique : dérivée de tout ce qui subit des réactions chimiques pour
nous fournir de la chaleur, comme le bois ou le pétrole.
Musculaire : dérivée de l’énergie chimique des aliments que nous
consommons.
Électrique : charge électrique associée à la puissance, aux aimants et aux
courants électriques.
Nucléaire : les énergies libérées par les atomes ou électricité. Protéiforme, sans nul doute.
(1) Voir l’article d’Arnaud
Spire paru dans la revue
Nouvelles FondationS
2007/2 (n° 6) «
Énergie :
sens et contresens »,
pages 40 à 44.
(2) Écouter l’émission
de France Culture
«
Comment l’énergie
nous relie-t-elle à
l’Univers ? » du mercredi
16 novembre 2022.