Qui est l’homme aujourd’hui ? Quel est son visage et quelle est son identité, dans une époque comme la nôtre, caractérisée par une fuite en avant sans précédent et une transformation radicale de tous les rôles et de toutes les formes de relations ? Est-il l’adulte indépendant déterminé, compétitif et sûr de lui ou l’éternel adolescent créant régulièrement des problèmes, toujours à la recherche de certitudes et de confirmations ? Est-il le fascinant macho détaché et obstiné ou le brillant intellectuel rempli d’intérêts mais dépourvu d’esprit d’initiative lorsqu’il s’agit de retrouver le monde de la matière ?

L’Inde ancienne et le guerrier spirituel

Pour répondre à ces questions, nous accomplissons un petit voyage dans le monde du passé, celui du mythe : là où les rôles d’homme et de guerrier étaient, au sens spirituel du terme, souvent de véritables synonymes. Nous nous dirigeons donc vers l’ancienne civilisation de l’Inde, l’une des premières à concevoir l’art de la guerre comme une véritable activité sacrée. Ainsi, la personne qui la pratiquait selon certaines règles pouvait l’utiliser en tant qu’instrument concret d’élévation intérieure, voire d’illumination.

Le texte qui traite de manière extrêmement précise de cette vision est la fameuse Bhagavad-Gita, Le Chant du Bienheureux. Composée entre le Ve et le IIe siècle av. J.-C., elle constitue la partie centrale du vaste poème épique connu sous le nom de Mahabharata. Cet ouvrage sacré débute par une scène poignante de champ de bataille et l’image du prince-guerrier Arjuna : un être noble et fort qui est toutefois présenté ici avec le visage pâle et les genoux tremblants. Saisi par le doute et figé dans une impasse, Arjuna est incapable de lancer l’attaque contre l’armée de ses ennemis, guidée par ses propres parents. Malgré cela, la guerre représente la seule opportunité extrême pour Arjuna de rétablir son droit à l’héritage, mais lui est convaincu que l’acte qu’il est sur le point d’accomplir est foncièrement immoral et injuste.

Aux côtés d’Arjuna se trouve son cocher Krishna : il n’est pas simplement un homme, mais le tout-puissant avatar humain et terrestre du dieu Vishnou qui, grâce à ses paroles et à ses conseils, permet à Arjuna de reprendre courage pour accomplir son devoir de guerrier. Pendant un long, profond et parfois touchant dialogue, Krishna apprend à Arjuna l’art du détachement total qui transcende d’un seul coup toute limitation reliée aux notions d’avantage et de perte, d’espoir et de peur ainsi que de victoire et de défaite. De plus, ayant déjà décrété depuis longtemps la destruction de l’armée de ses ennemis usurpateurs, Krishna invite Arjuna à se transformer en un simple « outil » pour l’accomplissement de ses impénétrables desseins.

Les « moines-guerriers » templiers

Si la Bhagavad-Gita nous montre de manière extrêmement claire comment, dans certaines circonstances, la guerre peut se transformer en une véritable pratique spirituelle, abordable par des hommes dotés d’une nature virile et héroïque, ce n’est toutefois pas un cas unique. Il nous suffit de quitter les chaudes plaines de l’Inde et de nous diriger vers l’Europe médiévale pour retrouver exactement cette même philosophie au sein du monde de la chevalerie, et en particulier des Templiers. (...)