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Divine
Égypte

Le mythe de Cléopâtre est parvenu jusqu’à nous, sa beauté, sa force, son pouvoir ne nous sont pas inconnus et ont traversé les siècles et les frontières. Sans doute parce que le féminin et l’érotisme avaient une place particulière en Égypte ancienne et y étaient célébrés.
Divine Égypte
Savoirs ancestraux
Quelle célébration de la beauté et de la sensualité féminines ! L’Égyptienne d’il y a 3 000 ans est décrite dans ces vers (qui étaient chantés) comme celle à « la poitrine lumineuse, à la souple chute de reins, dont les jambes accentuent la beauté ». Quand on la voit sortir, « c’est comme l’apparition de l’Unique », c’est-à-dire Hathor, maîtresse de l’amour et déesse de l’ivresse, tant sensuelle que spirituelle, car pour les Égyptiens, ces deux aspects de l’éros sont intimement liés. Dans la société raffinée d’alors, les déesses se manifestent à travers la bien-aimée : Isis, épouse fidèle, Sekhmet, fougueuse lionne ou Bastet, chatte caressante.


L’érotisme suggéré à demi-mot est associé à la fécondité de la nature qui accueille les ébats amoureux. Car dès les origines, la sexualité est considérée en Égypte comme le moteur du monde divin : Rê-Atoum crée le premier couple en se masturbant, soutenu par l’érotique Hathor, indispensable à la libération de ses forces créatrices. Alors, la jeune Égyptienne peut bien appeler son bien-aimé « mon petit chacal qui suscite le plaisir », quand l’oisillon serré contre sa poitrine symbolise sa sensualité frémissante !

Mais en pratique, les femmes étaient-elles libres de leurs désirs ? Dans le cadre, par ailleurs très hiérarchisé – et patriarcal – de cette société, « les relations amoureuses entre les deux sexes, avant ou hors mariage, étaient possibles et même tolérées dans une certaine mesure, à condition que les intéressés soient libres et discrets », précise l’égyptologue Ruth Schumann Antelme. Sauver les apparences ? Oui, et se donner des rendez-vous discrets sous un arbre généreux, pour s’enivrer, déguster des fruits et faire l’amour, sur les accords langoureux d’un harpiste... aveugle, si on en a les moyens.

Dès les origines, la sexualité est considérée en Égypte comme le moteur du monde divin.


Plus ancien que le Kamasutra


Plus de deux mètres de positions sexuelles acrobatiques et de phallus démesurés : le papyrus érotique de Turin remonte à plus de 3 200 ans. La scène centrale se déroule dans une ambiance festive avec un lit, des boissons et une lyre, la musique étant liée au sacré et à l’érotisme. Une femme est assise au-dessus d’un cône d’onguents pour se parfumer le sexe à travers une fumigation...

Mais ce papyrus est davantage qu’un manuel sexuel : avec leurs ceintures de hanches, leurs bijoux et leurs lourdes perruques, ces jeunes beautés – prostituées, musiciennes ou danseuses – incarnent l’idéal de féminité de l’époque. Les hommes, avec leurs profils simiesques, sont quant à eux représentés comme des « barbares, des rustres » selon l’égyptologue Pascal Vernus, qui précise : « Ce n’est pas une pornographie limitée à la contemplation libidineuse, ce papyrus était une œuvre qui visait à permettre à l’élite lettrée de desserrer un moment le carcan de la norme même qu’elle imposait pour assurer sa domination sur le reste de la société. »


Une femme libre


Selon la loi de la déesse Maât qui incarne vérité, ordre social et universel, la condition des Égyptiennes est particulièrement favorable, tant du point de vue du mariage, de l’éducation, que de l’administration des biens, de l’exercice d’un métier : elles peuvent intenter un procès pour récupérer leur dot, se remarier, rédiger un testament. Mais aussi occuper les fonctions d’amiral, médecin, grande prêtresse, danseuse, chanteuse ou musicienne, dans les temples ou les banquets, artisane (brasseuse, par exemple), ou scribe dans l’administration. Tout au long de l’histoire égyptienne, la femme a eu une « pleine capacité juridique qui la dispensait de toute tutelle ou curatelle, qui lui permettait d’accéder à tous les postes de la société », rappelle la juriste Bernadette Menu.

Les Textes de sagesse insistent quant à eux sur le respect que le mari doit à son épouse, sur l’amour qu’il doit lui porter afin que règne l’harmonie : « Si tu es sage, garde ta maison, aime ta femme sans mélange, nourris-la convenablement, habille-la bien. Caresse-la et remplis ses désirs. Ne sois pas brutal, tu obtiendras bien plus d’elle par les égards que par la violence. Si tu la repousses, ton ménage va à l’eau. Ouvre-lui tes bras, appelle-la ; témoigne-lui ton amour », prescrit le sage Aménopé. La représentation des couples – où l’épouse passe tendrement son bras autour de la taille de son compagnon – est d’ailleurs une constante de la statuaire égyptienne. Un modèle inconnu en Grèce où la femme est considérée comme une éternelle mineure... et une reproductrice.

La reine :
 un statut d’exception
Non seulement les exemples de femmes hautes fonctionnaires ne sont pas rares, mais certaines reines ont occupé la fonction suprême de pharaon, à l’instar de la célèbre Hatchepsout. Sans compter les grandes épouses royales, telles Néfertiti ou Néfertari qui ont eu une influence sur les plans politique et diplomatique, car l’indispensable complémentarité d’un roi et d’une reine est le reflet des temps mythiques, quand régnaient Isis et Osiris.


Prêtresse, épouse et « Main » du dieu


Au Louvre, elle nous éblouit : la statue de Karomâmâ dans sa tunique évasée incrustée d’or et d’argent, la jambe gauche vers l’avant (symbole de l’action), un cobra solaire au front. Au service du Dieu des dieux, Amon de Karnak, elle est une « Divine adoratrice » d’une exceptionnelle beauté, mais aussi la « Maîtresse des couronnements, aux mains pures, aimée d’Amon, le Maître du ciel ». En tant qu’« Épouse », elle accomplit des rituels pour ce dieu. Des ailes enveloppent son bassin et ses jambes : Isis, sous sa forme d’oiselle, protège Karomâmâ, assimilée à cette déesse, dans son rôle de « réanimatrice » du dieu, une de ses fonctions premières. Durant les rites, des chanteuses et musiciennes jouent d’instruments à cordes et du sistre, dont les sons magiques apaiseront les divinités. Selon un cliquetis rythmique, elles agitent le ménat (collier dont la forme reproduit le bassin et les seins féminins), un instrument liturgique composé de perles, qu’elles élèvent vers les statues divines.

« Divine adoratrice », « Supérieure des recluses » (des prêtresses qui ne quittent pas le domaine sacré) et même « Main du dieu » en référence à la « stimulante » Hathor au premier matin du monde jouent un rôle mystique essentiel dans les rituels pour préserver l’harmonie du monde, afin qu’il ne retombe pas dans le chaos originel. Les anciens, déjà, redoutaient ce que nous qualifions aujourd’hui de « collapsologie »...


Sens en éveil, cosmétiques et alchimie



Dans le code d’amour égyptien, les sens sont privilégiés : pour stimuler le regard, la femme porte une robe suggestive en lin transparent, avec une ceinture colorée qui soutient ses seins, dont les mamelons sont parfois tatoués d’une rosace. Les Égyptiennes accordent beaucoup de soin à leur chevelure, puissant atout érotique : elles se rasent la tête ou se coupent les cheveux très court pour des questions d’hygiène et portent des perruques élaborées, tressées, avec des perles. On a même retrouvé les ancêtres des dreadlocks rangées dans un coffret, mais aussi des centaines de cuillères à fard, à huile parfumée ou crème, des pots à onguents, des miroirs dont le manche figure la déesse de la beauté, pour conférer magiquement ses bienfaits à celle qui s’y regarde...

Regard souligné de fard à paupières, dit mesdemet ou « rendre les yeux expressifs » : on se maquille au quotidien avec des cosmétiques naturels ou issus de la chimie de synthèse, comme le confirme l’étude des onguents par Lucile Beck, du laboratoire de mesure du carbone 14 (CEA/CNRS/IRD/IRSN/Musée du Louvre). Cléopâtre VII, la dernière reine d’Égypte, était elle-même connue pour sa science en pharmacologie. Un traité, dit Kosmètikon, lui est attribué : les recettes qu’elle a mises au point se composent de substances végétales, minérales, animales et de liquides qui relèvent de la cosmétologie (voir encadré). Cette discipline, estimée, est alors considérée comme une des branches de la médecine, car sa fonction est de soigner des maladies qui altèrent l’apparence physique. Cléopâtre serait même l’auteure d’un canon alchimique et d’une formule sur la fabrication de l’or.

Les Textes de sagesse insistent sur le respect que le mari doit à son épouse, sur l’amour qu’il doit lui porter.


Le parfum de Cléopâtre ?


Des chercheurs de l’université d’Hawaï ont tenté de recréer un parfum utilisé il y a plus de 2 000 ans en Égypte à partir de textes antiques et de résidus découverts dans des amphores. À la myrrhe (résine naturelle), ils ont ajouté cardamome, cannelle et huile d’olive. Le parfum obtenu, à la senteur épicée et légèrement musquée, « Cléopâtre pourrait l’avoir porté », se sont réjouis les archéologues. Pourquoi pas ? Lors de ses apparitions publiques, la reine ne faisait-elle pas abondamment répandre de coûteux parfums pour embaumer l’environnement et dans la tradition des grandes reines égyptiennes, affirmer ainsi son statut divin ?

Pour les Égyptiens, en effet, sentir bon est essentiel, car associé à la pureté rituelle et à la santé : on dépose sur sa perruque des cônes parfumés, à base de graisse animale et d’huiles aromatiques qui, en fondant, nourrissent les cheveux de parfums exotiques – une tradition qui persiste en Afrique.

Si elle est parfumée, la défunte égyptienne pourra se déplacer éternellement dans un nuage odorant, ce qui la sanctifiera également. Car les parfums sont aussi utilisés dans un but sacré – communiquer avec les divinités : « L’Égypte a été le berceau de la parfumerie et les premiers parfums ont été faits par les prêtres dans l’enceinte des temples », précise Annick Le Guérer, philosophe et historienne de l’odorat. « Ils brûlaient des gommes de résine aromatique, comme l’encens ou la myrrhe : petit à petit, ils y ont ajouté des fleurs de genêt, du styrax, du raisin sec ou encore du jonc odorant. »


Des tatouages au pouvoir magique


Anne Austin, professeure d’anthropologie à l’université du Missouri-St. Louis a ausculté avec une caméra infrarouge des momies de femmes tatouées : « Les historiens ont négligé les tatouages qui, à leurs yeux, servaient seulement à érotiser les corps féminins ! » Mais les résultats obtenus suggèrent une réalité bien plus passionnante : « Dans l’Égypte ancienne, la majorité des personnes alphabétisées étaient des hommes, explique l’anthropologue. Les tatouages nous parlent de ce que les textes ne disent pas. » Le premier corps est tatoué de dessins d’animaux et de fleurs. Mais d’autres symboles sont apparus, en lien avec la déesse Hathor, ce qui pourrait indiquer que l’une des femmes embaumées occupait une fonction religieuse : prêtresse ou guérisseuse. « Certains hiéroglyphes signifient “faire ce qui est bon, ce qui est bien” », ajoute Anne Austin. Mais aussi des yeux oudjat – symbole de la santé, de l’intégrité retrouvée, un signe très puissant de protection – « sont tatoués sur son cou et ses bras. C’était sans doute intentionnel car certains couvrent son larynx. »

Quand cette prêtresse parlait ou chantait, les vibrations qui sortaient de sa gorge « animaient » les signes tatoués, ce qui potentialisait le pouvoir de faire le bien. Et de guérir, comme de protéger, ce que les Égyptiens considéraient comme de la « magie par transmission » : la voix de cette femme inconnue aurait ainsi été imprégnée de dons spécifiques en entrant en contact avec les hiéroglyphes.

« Isis, l’efficace, la protectrice de son frère Osiris, le cherchant sans lassitude, ne se repose pas qu’elle ne l’ait trouvé. Faisant de l’ombre avec son plumage, des gestes-de-joie, elle fait aborder son frère... » Cette civilisation évoluée l’avait intégré : passer par la dimension du féminin permet à l’homme l’accès au monde spirituel.

La recette de beauté de Cléopâtre
Des fragments du Kosmètikon de Cléopâtre nous ont livré la recette d’un savon parfumé, à base de coste, myrrhe, myrrhe troglodyte, iris, fleur de nard, amome, feuille de casse, une once de fleur de jonc, 4 livres de myrobalan, 2 livres d’aphronitre. Hachez le tout, tamisez, utilisez. Convient pour l’ensemble du corps. Vous voulez vous parfumer au plus près de ce que portaient les Égyptiennes ? Choisissez parmi les huiles essentielles et végétales celles qui se rapprochent le plus des fragrances antiques : myrrhe, oliban, benjoin, cardamome, cannelle, à assembler selon vos goûts.


À
propos

auteur

  • Florence Quentin

    Egyptologue, Journaliste et Ecrivain
    Née à Saint Étienne dans une famille de journalistes, Florence Quentin a eu la révélation de sa « vocation égyptienne » à 12 ans, lors d’un voyage dans la Vallée du Nil. C’est ainsi qu’après un bac littéraire classique, elle s’inscrit dans une des rares chaires d’égyptologie française, à Montpellier (Université Montpellier III) où elle suit les cours de François Daumas, ancien directeur de l’Institut Français d’archéologie orientale du Caire (IFAO). Elle complète son enseignement à Paris IV-Sorb ...
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Inexploré n°48

La roue des émotions

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À vous qui êtes sensible… Et si pour une fois, nous faisions vibrer cette corde en conscience et avec bienveillance ?
De l’enfance à l’âge adulte, en passant par l’adolescence, nos émotions nous bousculent, modifient notre corps et influencent toutes nos réactions. Si elles semblent diriger nos vies, apprendre à reconnaitre ce que nous vivons au cœur de la matière serait la première clé indispensable pour vivre conscient. De l’ultrasensibilité à l’extrasensorialité, notre monde intérieur nous offre un terrain infini de transmutations et de cheminements émotionnels, depuis notre inconscient, aux mémoires karmiques et perceptions subtiles.

Pour cette rentrée particulière, Inexploré mag. vous propose de mettre en lumière la roue des émotions, étape indispensable pour mieux vivre le vortex de changements individuels et sociétaux que nous traversons…

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