Quels arcanes se cachent derrière notre petit
compagnon à quatre pattes qui ronfle tranquillement
sur le canapé de notre maison ?
Quels sont les secrets qui se scellent dans son
histoire millénaire et son long cheminement
auprès des humains ? Le chat est peut-être l’un
des animaux les plus mystérieux de la planète,
animé depuis toujours par une allure magique,
transformant souvent ce petit animal domestique en la
personnification d’une puissance insaisissable et ambivalente,
placée entre le royaume de la lumière et celui
des forces sombres des ténèbres.
L’Égypte et les chats divinisés
Les anciens Égyptiens sont certainement parmi les premiers
à percevoir les pouvoirs subtils des chats. Les
nombreux témoignages provenant des sites archéologiques
nous parlent en effet du chat
comme d’une créature sacrée, placée sous
la protection directe d’une divinité spécifique
: Bastet. Bastet n’est pas simplement
une des nombreuses déesses du riche panthéon
égyptien : elle est une véritable « déesse-chatte
», considérée comme l’émanation directe
de la mère divine Isis-Hathor. Dans ce rôle, Bastet
– représentée souvent comme une élégante et
mince humaine avec une tête de chat – est l’emblème
de l’aspect doux, protecteur et maternel
du féminin. Elle possède également les qualités de ce petit félin : l’intelligence, le caractère sociable
et affable, mais aussi le tempérament indomptable et
sauvage toujours prêt à se manifester à la moindre occasion,
ainsi que la capacité d’action face à la nécessité de
se défendre ou de secourir ses petits.
Objet de vénération dans l’Égypte ancienne, le chat
jouit d’un respect sans égal : compagnon des hommes,
il vit dans leur maison, y recevant attentions et soins.
Comme le rappelle l’historien Hérodote, quand le chat
d’une famille meurt, toute la famille traverse un véritable
deuil : on se rase les sourcils, donnant libre cours
aux larmes comme s’il s’agissait du départ d’un membre
de la famille. Digne de funérailles avec tous les honneurs,
le petit animal défunt est de ce fait embaumé :
un acte cérémoniel démontrant une forme de respect
comparable à celle réservée uniquement aux pharaons
et aux personnes de rang élevé, et rendant possible une
existence divine de l’animal dans l’au-delà.
Dans
Le Livre des morts des anciens Égyptiens – l’important
texte sacré utilisé comme guide de l’âme dans
l’au-delà –, notre petit félin a son prototype divin
dans l’image du chat du dieu solaire Rê, représenté
dans l’acte de lutte contre le terrible Apophis,
le python souverain des abîmes. Dans cette
image – qui décrit symboliquement la lutte
éternelle existant entre les forces du chaos et
de l’obscurité, toujours prêtes à anéantir le
cosmos et les puissances préservatrices divines
–, le chat joue le rôle d’un personnage
hautement bénéfique : émanation vivante de la puissance de la Lumière et de l’ordre céleste. La
vénération que les Égyptiens ont pour les chats connaît
son apogée dans l’épisode légendaire de la bataille de
Péluse, ville du nord du pays proche du delta du Nil.
Ici, comme le rappelle l’historien macédonien Polyen,
l’armée des Perses, guidée par le roi Cambyse, a assiégé
la cité fortifiée : mais la lutte dure et violente ne permet
toutefois pas aux Perses de pénétrer à l’intérieur. Afin de
tourner à son avantage la situation qui risque de devenir
une impasse, le roi décide alors d’abandonner la force et
d’utiliser la ruse pour s’emparer de la ville. Connaissant
bien le respect nourri par les Égyptiens pour les chats,
il ordonne de disposer devant ses troupes de nombreux
animaux sacrés parmi lesquels figurent, justement en
première ligne, des chats. Comme cela est prévisible,
les Égyptiens, saisis par la puissance de ce stratagème
malin, restent littéralement tétanisés : incapables de se
défendre sans risquer de blesser les animaux, ils sont
obligés, de cette façon, de rendre les armes aux Perses,
sans aucune résistance.
Mythes et légendes des chats
Le grand respect dont le chat est l’objet en Égypte
trouve un écho dans d’autres civilisations du passé. Ainsi,
dans la Grèce antique, le chat est souvent associé à
Artémis, la déesse-chasseuse, vierge et souveraine
du monde de la forêt. En dépit de la nature
sociable et domestique du chat, ce rapprochement
souligne l’association étroite existant
entre ce félin et l’habitat sauvage, ainsi qu’avec
la dimension nocturne et lunaire dont Artémis
est la personnification divine.
Dans la Rome antique, les chats sont de façon
semblable associés à Diane, l’Artémis de la civilisation
italique. À ce sujet, il faut rappeler que les Romains sont
parmi les premiers à utiliser les chats de façon massive
pour protéger les greniers et les dépôts de la présence
infestante des rats.
On retrouve cette coutume dans la région méditerranéenne,
où les chats sont utilisés pour préserver les marchandises
des navires de transport, ce qui contribue, au
cours des siècles, à de nombreux croisements génétiques
entre anciens « chats-voyageurs ».
Le fil subtil qui relie le chat au monde du surnaturel se
retrouve dans plusieurs autres civilisations anciennes.
Dans le nord de l’Europe, le chat est souvent associé
aux puissances primordiales de la nature. Par exemple,
la déesse Freya, fille du dieu de la mer, célébrée dans l’ancienne
religion scandinave, est considérée comme très
proche d’Artémis et de Diane. Sorte de reine du monde
sauvage et des animaux qui y résident, où figuraient en
premier lieu les chats, Freya, selon la mythologie de ces
peuples, avait donné aux petits félins le rare privilège de
tirer son chariot divin. Abandonnant l’Europe et se dirigeant
vers la Chine ancienne, nous rencontrons d’autres
qualités « spéciales » associées au chat. Là, cet animal est
considéré comme ayant le rare pouvoir de « voir » les
présences invisibles demeurant dans certains endroits.
C’est à cause de cette capacité spontanée, chamanique
et médiumnique que, depuis toujours en Chine, des statues
en argile de chats avec les yeux grands ouverts sont
placées en face des maisons afin de les protéger des forces
négatives. Cette idée de sentinelle et d’animal protecteur
se retrouve aussi au Japon, où nous rencontrons la figure
du Maneki Neko, le fameux petit chat rond et tranquille
représenté avec sa patte levée semblant saluer. Loin d’être un unique porte-bonheur sympathique, il est aussi l’héritier d’une croyance répandue : les chats se servaient
autrefois de ce geste singulier afin d’alerter les humains
d’un danger imminent, d’un piège ou de la présence
d’un ennemi. Nous retrouvons cette même conception
des chats-gardiens dans la culture ancienne irlandaise, où
ils sont associés à la protection de trésors précieux. Une
tradition qui a très probablement ses racines dans le caractère
guerrier du chat, mais aussi dans sa nature d’animal
nocturne, capable de veiller sur le monde quand la
plupart des êtres dorment et de percer la dense obscurité
grâce à sa puissante vue.
Durant le Moyen Âge, le
chat est constamment
associé à la sorcellerie et
aux pouvoirs du mal.
Le Moyen Âge des
« chats sorciers »
La réputation de sacralité et de respect dont le chat a
joui pendant de longs siècles disparaît abruptement au
moment de l’arrivée du christianisme qui, sans aucune
hésitation, se livre à une véritable lutte contre ces petits
animaux. Considérés comme la quintessence vivante de
l’ancienne religion païenne, les chats perdent leur statut
privilégié et le rang de quasi-divinités pour être rabaissés
soudainement à celui d’êtres démoniaques.
Durant le Moyen Âge, le chat est constamment associé
à la sorcellerie et aux pouvoirs du mal. Dans l’imaginaire
populaire, les chats sont identifiés aux sabbats auxquels
ils participent en guise d’invités de la même manière
que les démons et les sorcières. Cette association est
tellement étroite que, souvent l’image des chats et des
puissances démoniaques est, pour ainsi dire, « interchangeable
». Comme l’affirme l’évêque de Paris Guillaume
d’Auvergne au XIIIe siècle, Satan peut se manifester
sous la forme d’un chat.
Objet direct de la métamorphose du diable et complice
fidèle des sorcières et de leurs pratiques occultes, le chat
devient objet de persécutions pour la religion chrétienne.
Cette poursuite semble atteindre son paroxysme
à partir du milieu du XIIe siècle, ce qui coïncide avec
les croisades lancées contre les hérétiques cathares, qui
menacent sérieusement de mettre en danger l’autorité
et l’hégémonie de l’Église. Ainsi, un nombre incalculable de chats dans toute l’Europe sont rassemblés, mis
à mort et brûlés en masse. La virulence de cette extermination
programmée amène à l’extinction quasi totale
des chats domestiques dans cette région du monde. Cet
acte a pour conséquence la prolifération indiscriminée
du rat noir, un rongeur vorace et prolifique originaire
d’Asie, qui se propage en Europe. Avec, en parallèle, le
siège de Constantinople, c’est la cause de la diffusion des
terribles épidémies de peste noire. Cette horrible maladie
qui dévaste l’Europe au milieu du XIVe siècle fait
environ vingt millions de morts et réduit de ce fait d’un
tiers la population du continent !
La réconciliation
S’il est vrai que la peste trouve ses origines dans le monde
oriental, il faut reconnaître que le remède apparaît dans
ces mêmes régions. Les Vénitiens réintroduisent en effet
les chats en Europe en récupérant des chatons directement
à Bagdad, le coeur de la civilisation musulmane
où le chat depuis des siècles occupe un rang privilégié.
Introduits en Europe, ces petits félins « orientaux » commencent
à se reproduire et à proliférer grâce au métissage
avec des chats sauvages ayant survécu à l’hécatombe. À
partir de cette nouvelle « renaissance », les chats peuvent
retrouver leur place sur notre continent, redevenant à
nouveau non seulement les amis des hommes, mais aussi
les
protagonistes de fascinantes histoires dans l’imaginaire
populaire. Des histoires qui font revivre les anciens
nobles attributs de cet animal, comme dans le légendaire
Chat botté : un chat libre, sagace, malin et entreprenant ;
et en même temps, un chat bienveillant
et protecteur de
son maître, capable de lui procurer prodigieusement la
fortune, la richesse et le succès !