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Le
désir
ardent
d’être
heureux

Dans les épreuves du quotidien se cacherait la clé d’accès à la paix intérieure et au bonheur. C’est ce que tente de démontrer dans cet extrait l’animatrice et journaliste Karine Arsène dans son livre Se forger un cœur de diamant, la quête d’un bonheur inaltérable, qui vient de paraître chez Guy Trédaniel éditeur. L’occasion de (re)découvrir les clés que recèlent les diverses traditions et religions du monde.
Le désir ardent d’être heureux
Art de vivre
Souvenez-vous. Lorsque nous étions petits, et que nous avions envie qu’un de nos rêves se réalise, que faisions-nous ? Instinctivement, nos petites paumes de mains se collaient l’une à l’autre — nous ne savions pas alors que ce geste permet, selon la médecine chinoise, de faire circuler l’énergie dans tout le corps. Et n’est-ce pas avec le regard passionné, rivé vers le ciel et les étoiles, que nous exprimions à voix haute notre vœu ? Et nous avions la conviction d’avoir été entendus, et d’avoir touché chaque parcelle de l’univers. Il n’y a aucune stratégie derrière ce vœu. Tout part d’un désir ardent, innocent et joyeux. « Dessine-moi un mouton. Je te le rends vivant aussitôt ! » Mais avec le temps, en grandissant, nous échafaudons des stratégies, et le mental prend le pouvoir. Ce n’est plus notre cœur qui souhaite, ce sont nos peurs. Et nous limitons nos désirs : « Ai-je le droit de demander ceci ? » « Devrais-je plutôt prier pour les autres ? » « Non, ce rêve est trop grand pour moi. » Etc. Bienvenue dans l’antre du mental tyrannique ! Sa fonction ? Nous limiter.

Et même s’il est vrai que toute réalisation demande à être accompagnée de sagesse, de bon sens, de courage, de persévérance et d’actions concrètes, il est également essentiel d’accepter certains phénomènes qui nous dépassent. C’est à cet instant que commence la foi.

Et les résultats sont souvent au-delà de notre propre imagination. Saviez-vous que le mot « foi » vient du latin fides, qui signifie « confiance » ou « croyance » ? C’est croire avant de voir. Une posture qui enclenche le champ du possible extraordinaire. Elle est à l’opposé de ce que pensait saint Thomas(1). Quand Jésus ressuscité se montre aux apôtres, Thomas n’est pas présent.

Cet épisode lui a été rapporté. « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, et si je ne mets pas ma main dans son côté, je ne croirai pas ! », s’exclame Thomas. Huit jours plus tard, Jésus se montre à nouveau et s’adresse à lui : « Porte ton doigt ici : voici mes mains ; avance ta main et mets-la dans mon côté, et ne deviens pas incrédule, mais croyant. » Ému, Thomas s’écrie : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Tout en posant un regard bienveillant sur Thomas, Jésus termina par cette phrase : « Parce que tu me vois, tu crois. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru. » Cette petite histoire biblique met également en lumière l’esprit de recherche de saint Thomas. Après tout, le doute ne fait-il pas avancer ? N’est-il pas dangereux d’avoir une foi aveugle ? À travers ses questionnements, Thomas était sur le bon chemin tel qu’il était.
Cette référence chrétienne n’est évidemment pas un hasard. Car j’aime les religions. Et le mot « religion » mérite qu’on lui redonne ses lettres de noblesse. Il vient de religare, verbe latin signifiant « relier ». Se relier tous ensemble à travers une foi commune (et se relier à plus grand que soi). J’aime imaginer ces grands maîtres, Jésus, Mohamed, Moïse et Bouddha, rassemblés autour d’une table de l’ONU, heureux de leurs retrouvailles. Je les vois impatients, soucieux de poursuivre ce travail incessant de la paix.

Ne serait-ce pas la plus belle forme de spiritualité qui soit ? Un respect sans faille pour les croyances de chacun, qu’elles soient religieuses ou non, afin de créer des ponts d’entente et d’avancer ensemble. Où le bonheur des êtres humains serait au cœur de toutes les préoccupations. Une spiritualité « vivante », non figée, qui s’adapterait au temps et au moment. Une croyance en constante évolution, vibrant au même rythme que l’univers et aux circonstances de l’époque. Certains comparent parfois de façon méprisante cette vision à celle d’un Bisounours. Mais c’est oublier que le Bisounours a un caractère à toute épreuve. J’admire sa force intérieure. Elle lui permet de rester adorable quoi qu’il arrive. À croire que les Bisounours sont ceinture noire 8e dan dans l’art martial de l’esprit. Je les soupçonne de bien cacher leur jeu derrière leur costume de peluche colorée, ni vu ni connu. Véritables Jedi, ils excellent dans l’art de sabrer l’obscurité au sein de cet immense dojo qu’est l’esprit, où règnent deux dragons, ces créatures fabuleuses tout droit tirées d’un petit conte philosophique chinois qui raconte que deux dragons règnent dans notre esprit. Ils ont la même taille, la même couleur, la même force. Ils sont parfaitement identiques. Une seule chose les différencie : l’un cherche en permanence l’obscurité, alors que l’autre cherche la lumière. La question que pose ce petit conte philosophique est la suivante : « Lequel de ces deux dragons décides-tu de dompter ? »

Cette réflexion nous renvoie à la notion même de karma : notre capacité d’accueillir plus ou moins bien les événements de la vie dépend de notre aptitude à sabrer les pensées négatives. Le karma est d’une grande profondeur et dépasse la notion de « tirelire » plus ou moins remplie, à laquelle faisait référence mon père. Selon notre karma, le regard que nous portons sur la réalité des phénomènes diffère. Elle est contenue tout entière dans cette parabole indienne : « Les esprits affamés voient les eaux du fleuve comme du feu, les êtres humains les voient comme de l’eau, et les êtres célestes comme de l’Amrita [l’eau céleste qui régénère et libère]. [Pourtant] L’eau est la même dans tous les cas, mais chaque sorte d’être la voit différemment, selon les effets de son karma [son état d’esprit](2). » Dans un autre contexte, nous pourrions imaginer trois personnes passer chaque soir devant le même coucher de soleil. La première, si préoccupée par ses problèmes, ne le verrait même pas. La deuxième, lasse et désabusée par la vie, ne le verrait plus. Alors que la troisième s’émerveillerait toujours autant, comme pour la première fois de sa vie.

Quel regard portons-nous sur les autres, les événements de la vie, et tout d’abord sur nous-mêmes ? Et surgit le visage lumineux et bienveillant de Kaneko. Kaneko est la femme de mon maître bouddhiste. Je n’ai jamais eu l’occasion de la rencontrer, si ce n’est par le cœur, ses encouragements et ses dialogues continus. J’ai entendu son mari s’exclamer un jour : « Si je devais décerner un prix à ma femme, ce serait le prix du sourire. » Toujours d’humeur égale, elle a ce grand talent d’accueillir chaque événement de la vie tel un bienfait. À l’instar d’autres femmes croisées sur mon chemin. Elles aussi m’ont beaucoup inspirée. Elles ont en commun la faculté de voir « les eaux du fleuve » comme de l’Amrita, l’eau céleste, et d’être toujours aussi émerveillées devant un coucher de soleil. Des femmes au cœur large. Elles portent en elles le pouvoir du « Kokoro », terme japonais désignant « le cœur, l’âme et l’esprit » formant une seule et même chose. Ce Kokoro est sans limites et peut se développer à l’infini, ouvrant à chaque instant une nouvelle voie d’espoir et d’abondance encore plus vaste, pour soi et pour les autres. En prendre conscience, c’est débuter une grande épopée spirituelle où chaque situation devient une occasion fabuleuse d’élargir son Kokoro. Ces femmes m’ont portée et encouragée sans jamais poser de jugements, maîtrisant une connaissance profonde de la souffrance, celle qui ne se compare ni ne se mesure, me permettant ainsi de me développer sans minimiser certaines difficultés, si futiles soient-elles, laissant parfois penser à de simples caprices de la vie aux yeux des autres. Pourtant, certaines déceptions peuvent cacher une blessure plus profonde qu’il n’y paraît.
Je l’ai vécu lorsque j’attendais la réponse à propos du logement de mes rêves. Et le couperet est tombé :
– Je suis désolée, mademoiselle, nous avons retenu un autre dossier, m’a dit le propriétaire. Je vous souhaite de trouver rapidement un appartement. Très bonne soirée.
Je raccroche et pleure à chaudes larmes. Je ressens une grande tristesse, qui n’est pas à la hauteur de ce que je vis, mais qui réveille à cet instant une blessure plus profonde, celle du rejet, un sentiment de ne pas avoir été reconnue comme quelqu’un de « bien », comme étant une personne de confiance aux yeux du propriétaire. Malgré cette mauvaise nouvelle, je me suis dirigée vers mon autel bouddhique, lieu de culte où je m’adresse à l’univers. Les mains jointes, les yeux encore humides, je me mets à prier avec gratitude, sachant combien, par les larmes, ma vision peut être limitée. Une partie de moi ne pouvait s’empêcher de déceler un bienfait derrière cette énorme déception. L’univers n’est-il pas toujours notre allié ? Et au même instant me reviennent les mots d’une amie bouddhiste : « Telle une loi implacable de l’univers, lorsque tu trouves le courage de transformer la souffrance en joie, tu crées une percée dans le ciel qui attire les bienfaits à mille lieues à la ronde. »

Le lendemain, forte d’une nouvelle détermination, je reprends mes recherches. Lorsque je tombe sur l’annonce d’un appartement au même prix que le précédent, cent fois plus beau. Je téléphone immédiatement et tombe directement sur le propriétaire, Éric, qui deviendra un ami par la suite. Il me dit d’une voix claire et joyeuse :
– Vous êtes rapide, je viens de poster l’annonce. Vous êtes la première à m’appeler. Venez tout de suite si vous pouvez.
La rencontre a été évidente. Sans même regarder mon dossier, il s’est exclamé :
– Vous m’inspirez confiance, cet appartement est à vous. Je ne ferai pas d’autres visites. Welcome!
Un bienfait inimaginable : matin, midi et soir, chaque pièce de l’appartement m’offre un spectacle enchanteur. Sur la Seine, des cygnes blancs glissent majestueusement sur l’eau avec leurs petits, et des albatros viennent se poser sur l’autre rive, me procurant des moments de grâce.

Toutes ces petites expériences de vie, que certains jugent futiles, m’ont pourtant permis d’avoir une meilleure compréhension du cœur humain. Notre façon de réagir face à une difficulté, un obstacle, est cruciale. Souvent ballottés par les aléas de la vie, nous passons d’une émotion à l’autre au cours de la même journée. De la joie à la colère, d’un bonheur à un état destructeur, etc. Il n’est pas facile de ne plus être influencé par les conditions extérieures. Elles nous entraînent dans un bonheur « relatif » à l’environnement.
Un jour, alors que je partageais quelques idées philosophiques bouddhiques avec un ami, à propos de la distinction entre le bonheur « relatif » (c’est-à-dire temporaire) et le bonheur « absolu » (c’est-à-dire durable), il m’avoua avoir du mal à distinguer la différence.
– Pour moi, le bonheur absolu, c’est ce que je vis tous les jours ! me dit-il. J’ai une femme magnifique, nous nous aimons. J’ai deux maisons, je vis de ma musique et nous sommes en bonne santé. C’est ça, le bonheur !
Même si je me réjouissais de le voir si heureux et épanoui, une petite inquiétude m’envahit. Bien consciente de l’impermanence de la vie, et soucieuse de partager avec lui ma vision de l’existence, je me jetai à l’eau du Gange :
– Mais si demain la vie t’enlève les amours, la richesse, la célébrité, tous ces précieux trésors que tu as aujourd’hui. Ressentiras-tu cette profonde satisfaction en toi ? Car c’est ça, le véritable bonheur absolu ou durable.

Ce jour-là, je lui ai rappelé une de mes phrases préférées, celle du philosophe Platon : « Je n’autoriserai plus personne à me voler ma joie ! » À travers ce cri du cœur, Platon nous ouvrait la voie vers un tout autre bonheur, un état d’être qui ne dépend plus des conditions extérieures. Un bonheur plus profond. Un bonheur durable.

À croire que Platon était de la famille Bisounours.
Tout en philosophant avec mon ami sur le bonheur, j’étais pourtant loin d’avoir établi un tel socle en moi-même. Et même si j’y ai toujours aspiré, le chemin est ardu. D’ailleurs, le deuxième prénom du Bouddha nous en dit long sur le chemin vers l’éveil. On le nomme « Nonin », « le persévérant » en japonais. Le bonheur absolu s’acquiert non pas avec le temps, mais avec l’amour. Et qu’il faut parfois du temps pour être dans l’amour. [...]


(1) Raconté dans l’évangile de Jean, chapitre 20, versets 19 à 29.
(2) Nichiren Daishonin, « Lettre à Hōren » in Lettres et Traités de Nichiren Daishonin, ACEP, 1999.


Se forger un cœur de diamant : la quête d’un bonheur inaltérable, Karine Arsène, Guy Trédaniel éditeur, 2023, p. 25 à 33.
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