« Le cerveau humain est l’organisation de la matière la plus compliquée que nous connaissions », reconnaissait Isaac Asimov. Mais notre super-ordinateur nous joue des tours. Ses bugs et tours de passe-passe sont ses armes secrètes. « Ce sont ses prétendues faiblesses et imprécisions qui rendent votre cerveau si adaptable, si dynamique et créatif », s’émerveille le neuroscientifique Henning Beck⁽¹⁾.

Le faussaire

Il s’en passe de belles dans les coulisses de notre cerveau ! Cet hyperactif prend en moyenne 35 000 décisions par jour. Or, les récentes découvertes en neurosciences montrent que 99 % d’entre elles sont non conscientes. De là une appréciation souvent erronée de notre réalité. Étonnamment, lorsqu’on tend son bras pour saisir un objet, la décision a été prise par notre cerveau 300 millisecondes plus tôt. Notre esprit conscient joue donc davantage un rôle d’observateur que d’acteur. Même les décisions que l’on imagine réfléchies, comme l’achat d’une maison ou une séparation, sont pour l’essentiel prises avant même qu’elles parviennent à notre conscience. On les rationalise après coup pour les justifier.

« Notre cerveau nous manipule. Rien à voir avec de la faiblesse de caractère, de la naïveté ou un manque d’intelligence, mais la masse spongieuse entre nos deux oreilles fonctionne de telle manière qu’elle nous trompe. Pas tout le temps, mais très souvent, parfois durablement. On fait un choix, on prend une décision, on s’engage dans une action, on croit la plupart du temps qu’on agit raisonnablement, mais en fait, les dés sont souvent pipés », décrypte le psychosociologue Gilles Azzopardi qui s’est glissé Dans les coulisses de votre cerveau ⁽²⁾ Il se fait que notre cerveau est soumis à ce que les psychologues appellent des « biais cognitifs » : non conscientes, ces distorsions mentales dans le traitement des informations affectent notre personnalité et notre quotidien. « Ce sont des carcans qui faussent de manière systématique l’appréciation de soi et des autres, mais aussi notre compréhension des événements, du monde et de ses enjeux », explique Gilles Azzopardi. À ce jour, 250 biais cognitifs ont été référencés. Impossible de les détailler ici, mais l’un d’entre eux mérite notre attention, car il éclaire les batailles d’ego et conflits qui agitent nos vies et la planète. C’est le better-than-average-effect : l’effet « meilleur que la moyenne ». Ce biais cognitif nous pousse à nous croire supérieurs et à sous-estimer nos défauts. « Toutes les études montrent que 68 à 96 % des personnes se surévaluent par rapport à leurs pairs. Ainsi, dans une étude célèbre, réalisée par Ola Svenson de l’université de Stockholm, 93 % des automobilistes situent leurs aptitudes de conduite au-dessus de la moyenne. A contrario, pour les tâches jugées difficiles, chacun se croit pire que les autres », relève Gilles Azzopardi. On comprend mieux le manque d’engagement quand il s’agit de relever d’âpres défis ! Ces biais, profondément ancrés (remontant pour la plupart aux enjeux de survie à l’aube de l’humanité), ne sont pas sans utilité, car ils procurent des illusions nécessaires à notre bien-être et notre équilibre mental. Mais ils peuvent avantageusement être assouplis, « pour libérer la pensée de ses carcans et se faire une idée plus juste des événements, des autres et de soi », conseille Gilles Azzopardi qui, dans son livre, propose une « gymnastique » pour délier ces biais si humains.

L’illusionniste

Il faut le voir pour le croire… Eh bien non, il ne faut pas croire ce que l’on voit, car notre cerveau nous mène en bateau ! Il utilise l’environnement pour interpréter la réalité : les éléments d’une scène visuelle sont souvent ambigus et notre cerveau traduit constamment ces signaux pour construire une image qui a une signification pour nous. Il cherche à mettre du sens partout, même là où il n’y en a pas. Alors, il en fait trop : il amplifie les contrastes, crée des contours, couleurs, perspectives, mouvements, en fonction de ce qu’il connaît. Ce sont les fameuses illusions d’optique. Mais le trompeur peut être trompé. Si notre cerveau feinte, certaines approches innovantes le trompent en retour. Le professeur Yves Rossetti, chercheur coresponsable de l’équipe Trajectoires du Centre de recherches en neurosciences de Lyon, détourne les illusions d’optique et autres distorsions de nos perceptions en dispositifs thérapeutiques de pointe : « On va chercher à modifier le cerveau, mais pas avec un bistouri ! Avec des stimuli qui vont changer l’histoire du cerveau. Par exemple, avec des lunettes prismatiques, on va faire voir des choses là où elles ne sont pas : avec un prisme, on dévie les rayons lumineux, projetant une image virtuelle de l’objet là où il n’est pas. On demande ensuite à la personne d’attraper l’objet, et la main part naturellement dans une direction erronée, car le cerveau est habitué à envoyer des commandes en fonction de ce qu’il voit. (...)