Évincée du champ des sciences et de l’université par Colbert à la fin du XVII^e siècle, l’astrologie semblait appartenir toute entière aux superstitions du passé lorsqu’au début du XX^e siècle, la presse a commencé à publier des horoscopes, que leur succès a rendus aussi banals que la météo : en 1980, 92 % des magazines féminins en contenaient un, qu’il était de bon ton de lire avec distance, sans bouder son plaisir, mais surtout sans y « croire ». L’astrologie, en tant que domaine d’étude, avait largement pâti de ces caricatures. Tristan Balguerie, astrologue, s’en souvient : « Quand j’ai commencé à étudier l’astrologie, à la fin des années 1990, sa popularité était sur le point de s’effondrer. Pour survivre en tant que discipline, l’astrologie s’était beaucoup raccrochée à d’autres sciences ou formes de connaissances : la statistique, la mythologie, la psychologie… À mon sens, elle avait perdu son identité propre. Sa littérature était très déterministe, affirmative, et la posture de “sachant” y était très forte.  » Comme pour compenser le dévoiement des savoirs dans les horoscopes de presse ?

Astrologie et Internet

C’est aujourd’hui la « génération Z » qui renouvelle le succès de clichés qu’on aurait pu croire disparus avec les horoscopes papier ! L’astrologie s’est révélée une parfaite matière à « mèmes », ces farces verbales et visuelles propres à la culture Internet. Se définir en quelques traits, appartenir à une communauté, étiqueter l’autre : ces caractéristiques de l’énergie adolescente, sur lesquelles se sont ajustés les algorithmes des réseaux sociaux, n’attendaient que de rencontrer l’astrologie. Le signe zodiacal est devenu un totem communautaire idéal, qui permet de se définir, de se valoriser et de se moquer des autres, tout en revendiquant le second degré ; souvent hilarants, les #astromeme pullulent. L’art millénaire de l’astrologie, en tant que discipline d’analyse et d’interprétation des mouvements planétaires au sein du système solaire, ne semble pourtant plus pâtir de la circulation de ces clichés, mais au contraire bénéficier d’une nouvelle attention. Véronique Katell Ballan, astrologue depuis 25 ans, note l'avènement d'une nouvelle ère dans la perception de sa profession. « Un nouveau public, plus jeune, porte un autre regard sur l’astrologie. Aujourd’hui, quand j’annonce mon métier, on me dit “Ah, trop génial, vous êtes astrologue !” et on me pose des questions… » Pour Véronique, une épidémie mondiale et des confinements sont passés par là, et c’est un double mouvement de compréhension du monde et de compréhension de soi qui explique ce nouvel intérêt. « De nombreux astrologues avaient pointé janvier 2020 comme le rendez-vous d’un changement de société. La quête collective de sens a conduit à un engouement pour l’astrologie mondiale, mais aussi pour l’astrologie personnelle : lors des confinements, on s’est retrouvé face à soi, avec de grandes questions, et on s’est tourné plus en profondeur vers la connaissance de soi. Les astrologues qui avaient pris le virage des réseaux sociaux sont devenus des stars ! »

L’expansion des savoirs

Avec l’émergence médiatique d’astrologues chevronnés, un savoir plus profond, plus complexe, est devenu accessible. Des interprétations et analyses moins centrées sur les signes solaires, faisant référence à la position des planètes, à leur mouvement, à leurs aspects, et particulièrement aux lunaisons, ont émergé pour décrypter l’énergie collective du moment. Aspects, axes, nœuds, signes, maisons… Toute une grammaire savante s’est invitée dans la conversation, et semble avoir très vite alimenté aussi, par la magie simplificatrice des réseaux sociaux, de nouveaux discours très affirmatifs. Mercure est rétrograde ? Surveillez votre ordinateur, il pourrait bien tomber en panne ! La pleine lune est en Bélier ? Attention aux conflits ! Que penser de ces nouvelles prédictions aux apparences très avisées ? À l’astrologie « pour tous », Véronique Katell Ballan préfère une astrologie pour chacun. « Aucune configuration planétaire n’a le même impact selon les personnes, parce que le thème de naissance de chacun est unique », explique-t-elle. « Lors d’une pleine lune, le Soleil est dans un signe et la Lune exactement en face, dans le signe opposé. Deux faces de notre personnalité – ce qui est conscient avec le Soleil, ce qui est inconscient avec la Lune – se font face : ça peut aller de pair avec l’émergence d’émotions ou bien passer totalement inaperçu, tout dépend de l’importance de cet axe dans notre thème. Si l’on sait ce que l’axe concerné représente pour soi, on peut mettre cette énergie à profit. Parler des lunaisons ou des grands transits a surtout l’intérêt de faire connaître ces axes, de donner envie d’aller plus loin, d’aller vers son thème. »

Un outil à plusieurs facettes

Pour Véronique Katell Ballan, l’astrologie est un puissant outil de connaissance de soi qui peut emmener très loin, mais qui ne va pas de soi : « Apprendre l’astrologie, c’est comme l’apprentissage d’une langue étrangère ou d’un instrument de musique : c’est beaucoup, beaucoup de travail. On découvre d'abord les notes, puis on apprend à les mettre ensemble pour ensuite être capable de composer un morceau harmonieux. Il faut s’entraîner beaucoup. » Tristan Balguerie le confirme, et insiste sur l’intérêt de dépouiller l’astrologie de ses références à d’autres formes de connaissance : « Il est temps de revenir à la conscience que l’astrologie est une discipline à part entière, l’étude d’un système : l’énergie du système solaire, et son impact là où l’on se trouve, sur Terre. » Sa vision énergétique du système solaire donne au thème de naissance une résonance nouvelle : « Un thème astral raconte une dynamique, un potentiel, mais quelle forme et quelle histoire ça prend chez chacun, je ne peux pas le savoir… Les personnes viennent me voir, non pas pour que je leur raconte leur histoire, mais pour la comprendre. C’est à cela que sert l’astrologie, à donner du sens à son histoire. » Véronique Katell Ballan va même jusqu’à parler d’une voie de compréhension de notre évolution spirituelle, de contact avec notre âme : « Quand on s’intéresse à l’astrologie, on s’ouvre à plus grand que soi, on regarde vers la profondeur, on prend conscience d’un ordre des choses, d’une guidance dans l’Univers. C’est de l’ordre du spirituel. L’astrologie nous ouvre à la dimension que nous sommes une âme qui revient. Pour moi, c’est un art sacré. Elle permet de passer à l’action en harmonie avec soi. »

Que l’astrologie soit vue comme un art ou une science, qu’elle soit en vogue ou décriée, voilà bientôt 5 000 ans que les humains continuent à relever des correspondances entre événements célestes et événements terrestres, et que cela les aide à se comprendre. L’astrologie offre à chaque personne, selon son évolution et son besoin, d’aller vers ce qui a du sens pour elle, y compris le cliché jubilatoire… Protégée derrière ces masques, la sagesse profonde de l’astrologie est toujours là, occulte, trésor pour qui veut bien voir.