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L’apocalypse,
aujourd’hui
?

La sensation de vivre la fin d’un monde est prégnante. Interrompre le rythme du temps, déchirer le voile de la narration dominante pour déceler le sens de la vie est une réponse aux crises successives que nous vivons...
L’apocalypse, aujourd’hui ?
Art de vivre
L’Apocalypse de Jean est le texte qui contient toutes les peurs et les angoisses humaines. Réputé indéchiffrable, il se compose de 22 chapitres situés à la toute fin de la Bible. Datant du Ier siècle après J.-C., il fut composé sur l’île grecque de Patmos. L’auteur, prénommé Jean – la paternité du texte restant encore en débat – est un exilé, « à cause de la Parole de Dieu et du témoignage de Jésus », affirme-t-il dès les premières lignes.

Seul sur cette île, il reçoit alors des révélations qu’il attribue à Jésus-Christ, et qu’il retranscrit en langue grecque. Ses visions relatent un temps durant lequel les pires fléaux s’abattront sur l’humanité : incendies, famines, épidémies, invasion de sauterelles, grêle, destruction des récoltes, chaleur exceptionnelle et suffocante. Il dépeint aussi une société, Babylone, perdue dans les plaisirs, décadente et brutale.

Ajoutant encore au mystère, cette prophétie mêle des symboles et des nombres codés comme le fameux 666 dont la signification est celle du diable, le grand diviseur, les chandeliers à sept branches. Il présente également des archétypes, comme les vingt-quatre vieillards, aussi nombreux que les heures du jour et de la nuit, la grande prostituée qui refuse la tristesse du deuil, les quatre « Vivants » et la présence du Christ vêtu d’une longue robe blanche et d’une ceinture d’or. Pourquoi ce texte fourmille-t-il de symboles ? « Car il fallait déguiser les événements. Jean de Patmos ne pouvait pas le faire de manière directe au risque d’être combattu. Ces procédés furent très fréquemment utilisés dans l’histoire. Par exemple, le nombre 666 désigne l’empereur Néron. Le grec et l’exégèse hébraïque détenaient alors une valeur numérique », décrypte monseigneur Gérard, supérieur général des Hospitaliers de Saint-Jean.

Car l’Apocalypse consiste d’abord en une vision, celle d’un combat entre des forces contraires, les forces célestes contre les forces démoniaques.


Une plongée dans le mystère du temps


Si dans le langage courant, le terme « apocalypse » est assimilé à une succession de catastrophes, qui sonnerait la fin de l’humanité, lorsqu’on tente de décrypter ce texte, il n’en est rien. Si l’on se penche sur sa traduction latine, apocalypsis signifie révélation, tandis qu’en grec ancien, apokalupsis signifie dévoilement, mise à nu.

Car l’Apocalypse consiste d’abord en une vision, celle d’un combat entre des forces contraires, les forces célestes contre les forces démoniaques. De grandes puissances combattent ainsi la révélation, la lumière désignée sous le nom de « l’Agneau », le Divin sur Terre, accompagné de ses fidèles vêtus de blanc, dont les noms sont inscrits dans « Le Livre de la vie ». À l’issue de la bataille d’Armageddon, Babylone connaîtra la chute et le peuple de Dieu finira par triompher grâce à l’avènement de la Jérusalem céleste. Cette vision transmet donc aussi un message d’espoir.

Jean-Yves Leloup, théologien et prêtre orthodoxe, explique dans son ouvrage, L’Apocalypse de Jean : « Ne voir et ne prédire que des catastrophes ne mérite pas le nom d’“Apocalypse”, c’est une révélation tronquée : l’affirmation de la nuit sans l’affirmation de l’aurore. »

Jean retranscrit donc la vision d’un combat dont l’issue est le triomphe de la lumière. Il s’agit bel et bien d’un combat spirituel qui s’achève par le retour du Divin sur Terre et la descente de la Jérusalem céleste. Cette dernière est décrite au chapitre 21, verset 22 en ces termes : « Je n’y vis point de temple, car le Seigneur Dieu tout-puissant en est le temple, ainsi que l’Agneau. La ville n’a besoin ni du soleil ni de la lune pour l’éclairer, car la gloire de Dieu l’illumine, et l’Agneau est son flambeau. »

Alors, l’annonce de l’Apocalypse est-elle une fin ou révèle-t-elle un autre commencement ? Et d’ailleurs, n’est-ce pas la fin depuis le commencement ? Au cours des siècles, les hommes et les femmes, qui durent faire face par exemple à des persécutions en raison de leurs croyances, n’ont-ils pas, chacun à leur tour, eu le sentiment de vivre une Apocalypse ? Pour monseigneur Gérard, le texte de « l’Apocalypse de Jean révèle des événements qui doivent précéder la fin des temps ou d’un temps. C’est pourquoi il est toujours actuel car nous sommes toujours à la fin de quelque chose. Quelqu’un qui l’écrit ne court aucun risque de se tromper. »


L’Apocalypse : décrypter le monde


Le récit apocalyptique est utilisé aujourd’hui comme un moyen de déchiffrer le sens des événements du monde. Des siècles de foi millénariste, de sectes n’ont pas épuisé la passion pour la croyance en l’avènement d’un nouveau monde, ni amoindri le sentiment, pour beaucoup, d’appartenir à une minorité d’élus. C’est pourquoi, l’Apocalypse, avec ses symboles et son combat, réussit la prouesse de traverser les époques en captant l’intérêt des êtres humains qui y identifient leurs propres épreuves. Comme si ce combat se répétait à l’infini, la vision de Jean ne peut se limiter à une époque particulière. Au contraire, la force de ce texte est sa capacité à traverser les espaces-temps. « Tant était un secret bien gardé par le temps, mais le temps n’est plus, il n’était pas toujours. L’histoire des commentaires de l’Apocalypse suit l’histoire de nos angoisses et de nos peurs, sans toutefois nous aider à en trouver l’issue ou à lui donner du sens », explique encore Jean-Yves Leloup.

Après un siècle marqué par l’augmentation de l’athéisme, l’imaginaire apocalyptique revient en force. La croyance dans le progrès matériel disparaît pour laisser place à une tension entre la dureté du réel et des attentes plus élevées en matière de respect de la nature et de droits humains. La fréquence des incendies, les épisodes caniculaires accélèrent la prise de conscience des liens entre l’humanité et la nature. Cette tendance s’est affirmée depuis le début de la pandémie de la Covid-19.

Jean-Christophe Rufin, écrivain maintes fois primé, signait un article (Paris Match, avril 2020) où il utilisait la métaphore apocalyptique pour relever le caractère exceptionnel du premier confinement mondial. « Ce qui me frappe et me questionne davantage, c’est l’idée que, sans que nous le sachions, une part de nous-mêmes n’est pas surprise. En somme, inconsciemment, nous nous y attendions. Nous ne savions ni quand ni comment, mais dans un coin de notre esprit courait la vague sensation que “cela ne pouvait plus durer”, que “ce monde courait à sa perte”, que “ce système finirait mal” », explique-t-il. Il voyait ainsi dans la puissance économique occidentale, la Bête qui ne cesse de renaître. Le très religieux rappeur milliardaire Kanye West, quant à lui, dans une interview pour Forbes(1) expliquait refuser de se faire vacciner car il voyait dans le vaccin « la marque de la Bête », une référence tirée du texte de l’Apocalypse de Jean. Enfin, l’adhésion de nombreuses personnes à la collapsologie restaure cette vision d’une fin annoncée. Ce courant de pensée transdisciplinaire, qui parie sur un effondrement de la société industrielle et du mode de vie occidental, fait l’effet d’une prise de conscience des effets délétères du système de consommation. La croyance en l’imminence de la fin de notre époque est en tout cas de plus en plus prégnante.

L’imaginaire apocalyptique répond à l’impuissance de l’homme et ses tentatives, souvent vaines, de s’emparer et de modifier le monde.


« Mourir » pour recevoir LA vision


description de l’image

France, vallée de la Loire, Angers, galerie de l’Apocalypse, tapisserie.

L’imaginaire apocalyptique répond à l’impuissance de l’homme et ses tentatives, souvent vaines, de s’emparer et de modifier le monde. Dans l’Apocalypse, face à lui se trouve la Bête, le pouvoir politique. Or, ce pouvoir maintient l’humanité sous son joug et l’éloigne de la souveraineté divine à laquelle elle aspire. « Il y a deux révélations dans le livre de l’Apocalypse : celle du diabolique et celle du symbolique. Révélation du dia-bo-los, de “ce qui se jette entre” (dia), de “ce qui divise”, déchire, détruit, épuise, consomme et consume. Révélation de ce qui oppose les hommes entre eux, les sépare de l’Univers et de son Origine », explique Jean-Yves Leloup. Comme si cette réalité n’était plus tenable, le besoin irrépressible de voir naître un autre monde est de plus en plus présent. Mais cette aspiration naît à la lueur de la vision juste. Sur un chemin personnel, changer d’angle de vue, entrouvrir une porte, savoir que d’autres dimensions existent est porteur d’un immense espoir qui éveille, enthousiasme et réconforte. Là aussi, cela nous amène à reconstituer le puzzle de la réalité avec davantage de pièces et de couleurs. En bref, à éclairer le regard. Cet éveil est souvent précédé d’un déchirement, d’une douleur. C’est pourquoi l’Apocalypse est un effondrement non seulement collectif, mais d’abord individuel. Jean-Yves Leloup nous dit : « Son rôle n’est pas de nourrir nos phobies, ni même d’éveiller une peur ou une angoisse qui, face à la situation, pourrait s’éprouver comme salutaire ; c’est davantage la révélation d’une issue, l’exercice d’une lucidité non désespérée. Certains diront que tous ces avertissements sont des préparations efficaces à un “accouchement” (traduction également possible du mot apocalypse) : anticiper la douleur permet de mieux l’affronter ; apprendre la détente, le lâcher-prise au cœur de l’expérience permet de la traverser, si ce n’est “sans douleur”, moins douloureusement. » Ainsi, si l’imminence de la fin fait naître l’angoisse de la mort, elle contient sa promesse de délivrance.

L’effondrement de tous nos repères, de nos croyances et de nos attaches terrestres précède la révélation. Mais en quoi consiste celle-ci ? « Nous prenons notre vie mortelle pour la vie, pour le Vivant. Là est l’illusion que nos apocalypses personnelles ou collectives nous demandent d’expérimenter. C’est notre peur de mourir à nous-mêmes et à nos identifications qui nous empêche de connaître notre identité et de voir le Vivant, le “Je suis” qui est », éclaire Jean-Yves Leloup. Recevoir la lumière suppose de perdre la moindre illusion terrestre pour voir, pour éclairer le regard et aligner son âme et sa volonté avec le Divin. Et c’est précisément le message de l’Apocalypse, qui repose d’abord sur une vision. La vision des grandes forces qui opposent l’humanité en présence du Divin qui n’a jamais cessé d’être.


Je suis l’alpha et l’oméga


Dans le chapitre 22 qui clôture les visions de Jean, Jésus s’exprime à travers la voix d’un ange et tient ces paroles : « Je suis l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin. Heureux ceux qui lavent leurs robes, afin d’avoir droit à l’arbre de la vie, et afin d’entrer dans la ville par les portes ! » « Heureux ceux qui lavent leurs robes » signifie la transformation, désigne ceux qui accomplissent le travail de purification de leur âme. « On retrouve dans ce texte des constantes des grandes religions et traditions : la purification et la renaissance... N’oublions pas que le christianisme est une religion orientale », explique monseigneur Gérard. L’Apocalypse est l’intelligence qui voit la lumière, qui déchire le voile de ténèbres causant notre aveuglement, qui décèle le sens à travers le réel. Car le monde terrestre nous confronte à ses inévitables limites spirituelles. Il révèle ainsi certains secrets spirituels comme la transfiguration, et assure le triomphe du Divin et la vie éternelle. C’est pourquoi, si l’Apocalypse fait craindre l’imminence d’une fin catastrophique au simple mortel, son message est un gage d’espérance pour celui ou celle qui croit au Divin et en la transformation divine. Mais il exige de détenir la vision juste, la clarté et la force. En somme, d’édifier son royaume intérieur.

L’horloge de la fin du monde
En 1947, les directeurs du Bulletin of Atomic Scientists de l’université de Chicago ont mis au point « l’horloge de la fin du monde », une horloge conceptuelle qui utilise l’analogie du décompte vers minuit dans l’objectif de dénoncer les dangers pesant sur l’humanité : les menaces nucléaires, écologiques et technologiques. Depuis 2007, l’horloge prend aussi en compte les risques d’acte terroriste, les attaques informatiques, les événements climatiques intenses, les nouvelles technologies. Cela montre que depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l’humanité reste en proie à l’angoisse d’une catastrophe.


(1) Article publié le 9/7/2020 sur le site de Franceinfo : « Anti-vaccin, anti-avortement et pour la prière à l’école : Kanye West dévoile quelques éléments de son programme présidentiel ».

À
propos

auteur

  • Céline Chadelat

    Journaliste
    Céline Chadelat est journaliste spécialisée dans les religions, la spiritualité, la santé et le bien-être. Elle est autrice de trois livres dont le best-seller "Le Mois d'Or" et créatrice du compte instagram @lemoisdor. Elle pratique la méditation depuis l'âge de 20 ans. En savoir plus ...
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Inexploré n°53

Mondes invisibles

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Guides, esprits alliés, êtres de lumière et grands archétypes : et si une même substance originelle nous rattachait à une réalité plus subtile et spirituelle ? Notre univers est vaste et demeure mystérieux. La vie pourrait-elle y exister sous une autre forme, mais aussi, sur d’autres plans d’existence ?

Qu’en dit la science ? Notre conscience serait-elle une interface qui permettrait de communiquer avec ces êtres, plus ou moins directement ? Quelle aide précieuse ces êtres des mondes invisibles pourraient-ils nous apporter ? Nos rêves seraient-ils des portes d’accès à ces communications ?

Des sujets d’importance en ces temps troublés, car ces mondes invisibles semblent posséder la capacité de nous inviter à changer d’état d’être, de nous pousser à retrouver une forme d’harmonie avec nous-mêmes, les autres et la nature. Et si nous les écoutions ?

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