Jan Kounen, cinéaste
11 septembre 2001, je suis à l’hôtel Sunset Marquis à Los Angeles. Le casting américain de
Blueberry doit être signé dans les prochains jours : Juliette Lewis, Michael Madsen... C’est en regardant la télévision que j’apprends la nouvelle de la catastrophe qui vient de frapper New York. Hésitant entre le choc de la réalité dramatique et celui de l’irréalité fictionnelle de la scène, je sors marcher un peu. Sur les voitures, des drapeaux américains, sur les écrans, le visage crispé de George Bush. Les gens pleurent. Tout s’est arrêté, la réalité a basculé. J’ai une bouffée de peur et de solitude. Confusion, mort et violence, ma famille au loin, le coup d’arrêt au film sur lequel je travaille depuis quatre ans, tout se mêle.
Je décide de rentrer à l’hôtel et de méditer. Je me centre sur mes émotions. Il n’y a rien d’autre à faire. Je fais le deuil de mon film assez vite, puis je touche un état vibratoire très élevé. Je suis, il est vrai, fort sensible, et je n’ai pas perdu de proches dans l’effondrement des tours. Mais il y a autre chose. Une grande vague de paix et d’amour. Je passe dix jours sans sortir, alternant piscine, nourriture saine, méditation, touchant des états très forts. Comment est-ce possible ? Est-ce parce que je suis tellement dans mes émotions par rapport à ce qui se passe, comme suspendu dans le vide, que je n’ai qu’une alternative : rentrer complètement dans la peur, ou complètement dans l’amour ? Ou bien faut-il imaginer la peur et l’amour comme des énergies aux polarités inversées, disponibles dans l’espace qui nous entoure ? La peur étant très sollicitée, peu de gens se relient à l’amour qui est pleinement disponible. On retrouve cette complémentarité dans l’expérience chamanique : lorsqu’on parvient à passer une porte de terreur, sous la forme d’une porte symbolique, on découvre derrière l’amour et la lumière. L’amour comme un espace auquel on peut se relier, et qui existe aussi en nous. L’expérience de l’amour est un déverrouillage de cette dimension en nous et une reconnexion à quelque chose de plus vaste.
La peur étant très sollicitée, peu de gens se relient à l’amour qui est pleinement disponible.
Denise Desjardins, écrivaine
En septembre 1959, à Bénarès, lors de mon tout premier contact avec Mâ Anandamâyi, je fus envahie par un réseau d’impressions complètement inattendues, inconnues, étranges, qui transformèrent totalement mon état intérieur. Je le ressentis d’abord comme une mort, avec la peur de disparaître. Ce fut pourtant la peur qui, elle, disparut. Voici le déroulement de cette aventure de l’esprit : je suis en train de manger des fruits épluchés tandis que s’achève le
pûjâ(1) avec son énorme bruit quand soudain mes yeux se brouillent. J’ôte d’abord mes lunettes, les essuie, les enlève de nouveau. Je vois partout de curieux scintillements. Ai-je quelque chose sur les cils ? «
Mais il n’y a rien », me répond Arnaud (Desjardins). Ou bien j’ai des troubles sérieux de la vue, ou le lieu me donne d’étranges impressions. Mais bientôt les scintillements augmentent, se précisent partout en surimpression du réel. Un peu comme des étoiles bleues et blanches toujours en mouvement ou comme de minuscules soleils émanant très rapidement et sans arrêt des rayons de leur centre, en quelque sorte un tout petit feu d’artifice continu. Une expansion de rayons qui se rétractent très vite. Je commence à ne plus voir ; un voile gris sombre descend. Je demande qu’on me laisse. La dernière chose que j’entends encore résonne en moi, les cymbales de la prière, mais déjà en arrière-plan. C’est le vide complet.
Je n’entends plus rien, ne vois rien. Je n’éprouve plus aucune peur ; en même temps, j’appelle avec la sensation d’un immense adieu, j’appelle Arnaud, très distinctement, mais je sais que ni mes lèvres n’ont bougé ni ma voix ne s’est élevée. Je suis complètement autre. Tout à coup se produit une sensation d’une intensité et surtout d’une rapidité incroyables, hors de toutes nos mesures habituelles. Un éclair de « force » – je ne trouve aucun autre mot – qui part du bas de mon dos et monte, comme un mince trait lumineux et à une vitesse indicible, le long de ma colonne vertébrale jusqu’à ma tête. La vivacité de ce trait impalpable est inouïe et indescriptible, mon dos s’est redressé, mes jambes se décontractent.
J’ai l’impression d’être confrontée à une mort. Pourtant je sais que je ne suis ni évanouie ni morte. Je ne vois rien, n’entends rien. J’ai la sensation de quelque chose qui serait sphérique mais trop immense pour être une sphère ; j’ai la sensation d’être enveloppée de tous côtés. Quelque chose de trop fort, trop grand ; j’emploie le mot « chose » parce qu’aucun autre n’est possible, mais ce n’est pas quelque chose. Il me semble redescendre vers un autre plan. Les larmes se mettent à couler. De nouveau, j’entends. On parle autour de moi. Je comprends ce qui se dit mais je ne vois pas encore et je ne peux parler, je ne peux plus bouger.
Tout à coup je vois Mâ Anandamâyi venir vers moi. Je la regarde et je sens tant d’amour pour Elle. Un tel degré d’un amour que je connais si peu et qu’il m’est impossible de qualifier ou de définir. Elle me lave les yeux, me masse le haut du dos. Elle me fait lever. Et l’on me mène devant le temple où je m’assieds.
Je suis calme, droite, assise en tailleur, sans aucune contraction. Mais je suis sur deux niveaux à la fois, encore branchée sur un « monde immense » ; et j’entends, je vois, je suis les conversations des autres, mais en arrière-plan. Il y a quelque chose de central à quoi je suis reliée et, de là, j’écoute. Les perceptions existent mais en second, sans le relief, l’impact habituels. La tête est claire, pourtant un peu douloureuse, d’une douleur qui n’a rien du mal de tête ordinaire. Plutôt comme si quelque chose avait pénétré à l’intérieur et poussé les parois pour se faire de la place. Plus tard, une mère avec son enfant dans son giron vient s’asseoir en face de moi. Pour ce tout petit bébé, je sens cette même nature d’amour que tout à l’heure. C’est autant son enfant que le mien resté là-bas et dont dix mille kilomètres me séparent. D’un geste spontané et dont je ne m’étonne nullement – pourtant, il est surprenant – la mère pose son enfant sur mes genoux et l’y laisse quelque temps. Dans la profondeur de mon être, je me sens non séparée de tout ce qui m’entoure.
Stéphane Allix, journaliste
«
L’énergie des hommes qui prient, cette énergie, générée par une foule réunie dans une même prière, est capable de tout. Je ne parle pas de religion mais d’un élan spirituel. Une puissance infinie au cœur de chacun de nous qui attend d’être réveillée. Une énergie insondable. Un potentiel d’amour intense qui submerge d’émotion. » Stéphane Allix est à Chandigarh, en Inde, quand un appel téléphonique de France l’informe que son grand-père, Florian, est en train de quitter ce monde. Le lendemain matin – nous sommes dimanche – l’envie d’aller à la messe, et de prier pour lui, le gagne subitement. «
Je n’ai pas assisté à un office depuis des années, je ne sais pas trop ce que prier veut dire, pourtant cette intuition soudaine m’apparaît être une évidence. »
Quand Stéphane Allix arrive à l’église de Chandigarh, la messe est commencée, et les chants des nombreux fidèles résonnent à l’unisson. Le journaliste traverse la foule recueillie, s’agenouille, joint les mains et commence une prière pour son grand-père. C’est alors qu’une émotion incompréhensible le saisit. «
Soudain, je me sens submergé. Un feu explose dans ma poitrine. Mon corps est pris de soubresauts et j’éclate en sanglots. Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Je suis dans un état d’effervescence incroyable, mélange de joie, d’électricité et de sérénité. Une énergie énorme me secoue. Toutes mes pensées vont à Florian, je ne sais trop quelle prière je formule, il n’y a plus vraiment de mots, je deviens tout entier une prière, tout mon être est emporté, je suis au cœur d’une prière qui n’est plus faite de phrases, de paroles, de cérémonies d’aucune sorte, mais dans une intention pure vers mon grand-père. À ma stupeur, elle me transporte dans l’instant à ses côtés. J’en prends conscience car les émotions subtiles qui me viennent ne sont plus les miennes : elles proviennent de lui. Malgré la distance qui nous sépare, par je ne sais quel prodige, je suis avec lui. C’est une véritable communion, une sensation physique intense. Je sais à cette seconde qu’une force nous enveloppe tous deux. Je sais dans mon corps ce qu’il est en train de vivre, je vois l’instant de la mort, elle est là, devant son regard, nous l’observons tous les deux. Je sens sa crainte, cette appréhension, son envie aussi. Comment se peut-il que je puisse l’accompagner ainsi ? Qu’est-ce qui a permis que je me trouve, quelques secondes, si “physiquement” à ses côtés ? Quelque chose dans cette église m’a porté, j’en ai la certitude. Je peine à mettre des mots sur ce qui vient de se produire. Bien que je le trouve un peu tarte au regard de l’intensité de l’expérience, le mot “amour” est le seul qui me vienne spontanément à l’esprit. » Après vingt ans de journalisme, Stéphane Allix a acquis une connaissance du monde et des hommes qui aurait dû l’«
inciter, dit-il,
à être pessimiste. Pourtant, cette expérience m’a rendu profondément optimiste, car je suis désormais convaincu que tous les problèmes du monde pourraient être réglés instantanément si l’on se connectait à cette énergie capable de dissoudre toute la noirceur et l’ignorance du monde, en une seconde. »
Michèle Lazès, artiste
Intuitions, télépathie, prémonitions, Michèle Lazès, sculpteure, peintre, écrivaine et chorégraphe a toujours ressenti à distance les humeurs, les joies, les peines et les douleurs des amours de sa vie – son fils et son mari. Elle pressent les dangers, et communique parfois avec eux sans même avoir besoin de leur parler. «
Je les sens, je les vis, je les sais. » Son fils a beau vivre en Israël, à plusieurs milliers de kilomètres, elle sait quand il va téléphoner, quand il va débarquer, un poids sur le cœur la prévient systématiquement quand il ne va pas bien, et la sensation d’un parfum persistant lui indique parfois où il se trouve au moment où tous deux « se connectent » et pensent en même temps l’un à l’autre. «
Quand il est dehors, je sens comme une odeur de poussière, et il y a quelques jours, j’ai deviné qu’il était dans une galerie de peinture car j’ai senti une odeur de vernis. Je lui ai téléphoné, et tout de suite, il m’a dit : “Maman, tu tombes bien, je suis en train de choisir une toile et j’allais justement t’appeler !” »
Ce sixième sens, porté par l’amour, leur a plusieurs fois sauvé la vie. Il y a quarante ans, son fils, alors âgé de trois ans, est confié à une nounou pour la nuit. Ce jour-là, Michèle a un pressentiment : «
Sans savoir pourquoi, j’ai senti qu’il était préférable qu’ils ne restent pas dormir chez nous et qu’ils aillent chez ma mère. À 6 h 30 du matin, les pompiers m’appelaient pour m’annoncer que notre appartement avait brûlé. Si je n’avais pas demandé à la nounou d’emmener mon fils chez sa grand-mère, ils seraient morts tous les deux. »
Un autre jour, c’est son mari qu’elle va ressentir profondément, au point d’en souffrir physiquement. «
Je donnais un cours de théâtre. Pendant tout l’après-midi, j’ai senti une forte pression dans la poitrine, ma respiration en était presque coupée. Une fois le cours terminé, je me suis littéralement sauvée. J’avais besoin de le voir, de l’entendre. Les portables à l’époque n’existaient pas, mais mon intuition m’a guidée jusqu’à l’hôpital de la Salpêtrière. À l’accueil, on m’a confirmé qu’il était bien passé au service cardiologie mais qu’il avait été transféré en urgence dans une clinique voisine pour un œdème aux poumons. »
Des histoires comme celles-ci, Michèle Lazès n’en manque pas. «
C’est notre quotidien. Quand je nous visualise tous les trois, je nous vois dans un champ magnétique qui à la fois nous relie, et serait comme un vecteur de communication. » En 1989, elle est victime d’un grave accident de la route avec son fils, et fait une expérience de mort imminente. «
Avant de réintégrer mon corps, raconte-t-elle,
j’observe la scène d’en haut. Je vois les pompiers qui tentent de désincarcérer mon fils, ma tête est appuyée sur son épaule. Comme si j’étais un scanner, je vois que j’ai un grave problème aux cervicales et qu’il faut prendre des précautions pour me déplacer. J’entre alors en télépathie avec mon fils qui avait pourtant perdu connaissance et lui dis : “Il faut que tu m’écoutes, tu vas te réveiller doucement et répéter ce que je te dis aux pompiers. J’ai les vertèbres brisées, s’ils te tirent de la voiture en premier, je vais mourir. Il faut qu’ils me posent une minerve et me sortent en premier.” » Comment expliquer ces « connexions » entre une mère et son fils, entre une femme et son mari, qu’elle ressent parfois à distance au point d’en être physiquement affectée ? À cette question, Michèle Lazès répond sans hésiter : «
J’ai la sensation que nous sommes tous les trois immergés dans un bain d’amour et de lumière extensible à l’infini qui, malgré la distance, nous relie. »
Ce sixième sens, porté par l’amour, leur a plusieurs fois sauvé la vie.
Marie Lise Labonté, écrivaine
Cela se passait en novembre 1995. À l’époque mon mari était encore en vie, il était en voyage. J’étais seule dans notre maison, en République dominicaine, je venais de me coucher et j’ai senti une présence dans ma chambre et en même temps, une douleur aiguë au pancréas. C’est arrivé deux ou trois fois de suite. Mentalement j’accueillais à la fois la présence et cette douleur, qui me prouvait aussi que je n’hallucinais pas. Lorsque mon mari revint de voyage, il sentit également une présence dans la maison, à tel point qu’il me demanda si je n’avais pas eu une relation avec quelqu’un d’autre en son absence. Cela nous fit rire, mais nous restions intrigués.
Quelque temps plus tard, en décembre, une amie avec laquelle j’étais assez intime me parle d’un homme d’affaires, très connu au Texas, qui a complètement changé de vie et est en train d’écrire un livre. «
Il faut absolument que tu le rencontres », insiste-t-elle, évoquant entre nous une ressemblance énergétique. Au fil de nos conversations, d’une semaine à l’autre, elle ne cesse de le répéter. Je finis par lui demander des précisions : «
Il s’est guéri par un travail spirituel, me dit-elle,
il avait un cancer du pancréas. » Avant Noël, j’appelle donc Timothy au Texas depuis le Canada. Il décide de venir me voir en janvier en République dominicaine, et de passer une semaine avec mon mari et moi pour nous présenter le livre qu’il est en train d’écrire. C’est moi qui vais le chercher à l’aéroport. Il a des cheveux longs et blancs, il est d’un certain âge. Entre nous, c’est une reconnaissance, immédiate, une connexion d’âmes. Nous nous retrouvons tous les deux, pleurant dans le hall d’arrivée, alors que nous ne nous connaissons pas, ce qui est tout de même incongru ! Lorsque nous entamons la discussion, la ressemblance que nous ressentions au niveau profond se confirme. Nous nous rendons compte que les synchronicités de nos vies sont incroyables : nous avons guéri tous les deux d’une maladie auto-immune et nous avons un cheminement spirituel fondé sur notre expérience, au-delà de toute croyance sectaire ou religieuse. Tout se passe comme si, dans la voiture qui nous ramène à la maison, son taux vibratoire et le mien s’élevaient, jusqu’à créer une atmosphère d’une intensité extraordinaire. Mon mari a ressenti cela dès qu’il l’a vu et nous sommes devenus amis tous les trois. Nous sommes partis travailler ensemble en Europe, où je faisais une tournée, et tous les proches que nous rencontrions l’adoptaient, comme s’il avait toujours fait partie de la même famille spirituelle. J’ai avec cet homme une relation très forte, qui dure jusqu’à aujourd’hui.
Pour aller plus loin :
La route et le chemin, Éditions La Table Ronde
(1) Cérémonie hindoue