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L’amour dure trois ans », nous dit Frédéric Beigbeder dans son film et son livre homonymes. Mais peut-on réellement parler d’amour ? Ne serait-ce pas davantage l’attraction des sens ou la passion amoureuse qui durent trois ans ? «
Le taux de dopamine augmente chez celui qui tombe amoureux, tandis que son taux de sérotonine s’effondre (fall in love
en anglais). Il n’a plus aucun esprit critique et devient obnubilé par l’être aimé. Cela peut durer entre quelques mois et trois ans tout au plus, car il faut bien retrouver sa lucidité pour gérer son quotidien. Ceux qui deviennent accros à ce flux hormonal feront tout pour le réactiver, un peu comme des toxicomanes, et préféreront changer de partenaire tous les trois ans, même s’il existe d’autres solutions », explique le D
r Yann Rougier, spécialisé dans les neurosciences. Au niveau neurologique, le coup de foudre s’apparente donc, selon lui, à un état de « dépression heureuse ».
La dopamine et la sérotonine sont des neurotransmetteurs ou neuromédiateurs (les deux termes sont employés indifféremment), autrement dit des substances chimiques libérées par les neurones et agissant sur d’autres neurones, impliquées dans le processus amoureux. La dopamine renforce notre énergie, nous empêche de dormir et de manger, module notre humeur, notre enthousiasme, focalise notre activité mentale sur la personne désirée, stimule notre envie d’entrer en relation avec elle et nous donne un sentiment profond de satisfaction. La sérotonine, en baissant, réduit notre lucidité et concentre notre attention sur les qualités de notre partenaire plutôt que sur ses défauts. Elle participe aussi à la mise en commun des névroses et des peurs. À ces deux-là s’associe un troisième neurotransmetteur : l’ocytocine, qui favorise la tendresse, l’empathie, la sécurité, permettant l’éloignement de l’un ou de l’autre, la confiance, et donc l’attachement.
Nos sens dans tous leurs états
Via les neurotransmetteurs, notre cerveau nous jouerait donc des tours. Quand on tombe amoureux, notre vision du monde change brusquement. Notre concentration, notre mémoire, notre perception et notre comportement sont modifiés. On a très souvent l’impression que l’objet de notre amour est unique. Quatre heures par jour, c’est d’ailleurs la durée moyenne que passent les jeunes amoureux à penser l’un à l’autre, selon la neurobiologiste Lucy Vincent. Notre cerveau émotionnel étant activé par tout ce qui nous plaît chez l’autre, cela exacerbe nos sens. Le coup de foudre passe indubitablement par le cortex visuel, mais également par l’ouïe, l’odorat et même le goût, via la salive d’un baiser. Parfois, quand elles sont associées à des souvenirs heureux de notre enfance, la voix ou l’odeur d’un individu peuvent nous attirer vers lui. Il existe cependant des constantes concernant l’attraction : les individus sont plus attirés par les corps et les visages symétriques, car c’est signe de croissance, de fertilité et de longévité, nous explique encore Lucy Vincent.
Les phéromones, même si leur existence n’est pas scientifiquement prouvée chez les humains, pourraient également jouer un rôle dans l’attraction amoureuse. Parallèlement aux stimulations cognitives, il est probable que l’on reçoive un message chimique de la part d’un individu donné, et ce, avant même de le connaître intimement, d’évaluer son niveau intellectuel, ses goûts et son rapport au monde. Le cerveau de la femme serait même capable de décoder l’état du système immunitaire d’un homme et un homme capable de repérer une femme en période d’ovulation, selon certaines études. Autant dire que les processus inconscients sont nombreux quand il s’agit de se reproduire ! Robin Baker, biologiste et spécialiste de l’évolution à l’université de Manchester aux États-Unis, va même encore plus loin lorsqu’il affirme, dans son livre
Sperm Wars, qui se traduit en français par « les guerres du sperme », que nos comportements amoureux sont uniquement déterminés par des calculs reproductifs.
Le désir ne peut exister qu’à partir du moment où il y a encore quelque chose de caché.
Le piège de la sexualité ?
Quand on fait l’amour, plusieurs hormones entrent dans la danse. Les endorphines sont secrétées à cause d’une saturation cérébrale des sens. À la suite, par exemple, de caresses ou d’un baiser, elles déclenchent une sensation d’euphorie et de bonheur. «
Seul problème, ses effets ne sont pas durables – entre deux et trois heures – et sont semblables à ceux d’une drogue, précise le D
r Yann Rougier.
Ce qui crée rapidement une sensation de manque. » Et évidemment, leurs effets diminuent avec l’usure du sentiment amoureux dans le temps. Il n’est donc pas étonnant que l’être humain cherche à faire l’amour, encore et encore, et parfois avec des partenaires différents, afin de retrouver la sensation perdue du début de relation. Certains, victimes de l’illusion, vont même jusqu’à tomber dans une forme d’addiction.
Chez la femme, la stimulation du col utérin et des mamelons, lors des relations sexuelles, déclenche une forte libération d’ocytocine dans le cerveau. Ce qui viendrait renforcer le lien avec son partenaire et, par là même, l’attachement. Selon le D
r Lucy Vincent, il serait même possible que des rapports sexuels répétés soient une garantie de durée de la relation. D’autant plus que faire l’amour, quand ce n’est pas excessif, est bon pour la santé, révèlent plusieurs études. En parallèle, car rien n’est simple, le manque serait susceptible de créer le désir, ce qui renvoie à la dimension psychologique de l’être. «
Grâce au mystère, l’autre nous échappe, ce qui crée du manque et donc du désir. Quand le mystère, le manque, l’utopie, le risque disparaissent, l’ennui peut s’installer et créer des métastases relationnelles. Le désir ne peut exister qu’à partir du moment où il y a encore quelque chose de caché », analyse le sexologue Alain Héril.
Sortir de l’illusion
Aux mécanismes biologiques inconscients s’ajoutent donc ceux qui relèvent du psychisme, les deux étant reliés, comme nous le révèlent depuis quelques années les neurosciences. Qu’est-ce qui me pousse à m’éprendre de cet individu plutôt que d’un autre ? Les éléments transgénérationnels, tout comme l’enfance, conditionnent nos histoires d’amour qui sont aussi des histoires de complémentarité de névroses. Bien souvent, nous sommes attirés l’un vers l’autre pour panser nos blessures et nous guérir mutuellement. Mais avant d’aimer l’autre, encore faut-il apprendre à s’aimer soi-même en sortant de l’histoire que l’on se raconte. Or, pour s’aimer, il faut apprendre à se connaître. Quelles sont mes blessures ? Lise Bourbeau, spécialiste du développement personnel, en identifie cinq : abandon, rejet, humiliation, trahison, injustice. Quelles sont mes peurs ? Quels sont mes besoins ? Quel est mon type de fonctionnement ? Il est important de conscientiser tout cela pour choisir le bon partenaire et vivre une relation qui nous fait grandir.
Quand les phénomènes d’inhibition de l’esprit critique sont levés par la remontée du taux de sérotonine, les défauts du partenaire sautent invariablement aux yeux. Il s’agit alors d’observer ce que nous avons mis en place dans le couple pour continuer à sécréter de la dopamine, de l’ocytocine et de la sérotonine dans un cercle vertueux. La création d’une famille, d’activités ou de projets en commun peut venir renforcer le lien et la complicité au sein du couple. En parallèle, une admiration lucide de son partenaire peut venir remplacer l’idolâtrie du début. C’est ainsi que de la chimie des sens peut naître le véritable amour. «
Plus nous sommes personnellement riches en dopamine, en ocytocine, mais aussi en sérotonine, moins nous avons besoin d’aller les chercher chez l’autre et donc de nous nourrir de lui. Et moins nous dépendons de l’autre, plus notre bonheur sera durable », observe le D
r Yann Rougier. Un couple qui dure est pour lui un couple qui devient autonome émotionnellement au niveau de ses neurotransmetteurs.
Ce n’est qu’une fois tous les mécanismes, biologiques
et psychiques, mis au jour, que l’on pourrait théoriquement sortir de l’illusion et reprendre la main sur nos choix. Au-delà de ces deux critères, s’entendre sur les valeurs culturelles et spirituelles semble également important si l’on souhaite bien s’accorder. Cependant, si la biologie, la psychologie, la sociologie, l’anthropologie, la philosophie ou encore les spiritualités peuvent nous aider à conscientiser la façon dont l’être humain fonctionne, notamment dans ses relations amoureuses, il est probable qu’il reste toujours une part inexplicable, insaisissable dans ce qui pousse un individu vers un autre. Il y a, et c’est tant mieux, sans doute aussi un mystère que nul ne saurait révéler.