Empreints de mystère, les trous noirs défient notre compréhension de l’Univers. Que sait-on de ces fascinants et imprévisibles corps célestes ?
Qu’en est-il de leur hypothétique inverse, les trous blancs ? Pourraient-ils bouleverser notre conception du monde ?
«
Il n’y aurait pas de voie royale pour comprendre [les trous noirs], pas plus qu’il n’y en a pour apprendre la géométrie », a écrit il y a quelques années le directeur de recherche émérite à l’Institut d’astrophysique de Paris Jean-Pierre Lasota, avant que ne soit validée par l’observation l’existence des énigmatiques trous noirs. Les appréhender, c’est faire l’expérience d’interrogations en cascade qui renvoient à tout un éventail d’équations, de considérations et d’hypothèses, pas toujours digestes… D’ailleurs, l’actualité est prolifique et les dépêches ou études scientifiques ne cessent d’actualiser nos connaissances sur ce sujet intrigant. Une fois passé le cap et au-delà de toutes les incompréhensions auxquelles ils nous confrontent, ces objets astrophysiques nous convient à un voyage épique aux frontières du réel, digne d’un scénario de science-fiction (le septième art n’a d’ailleurs pas manqué de se saisir du sujet).
«
Incontestablement, les trous noirs défient le sens commun », prévient l’astrophysicien et philosophe Aurélien Barrau dans son ouvrage
Anomalies cosmiques. «
Par exemple, parce que la vitesse d’un objet en chute libre sur un trou noir serait mesurée comme extrêmement élevée au passage de la surface par un scrutateur local [ce qui est impossible, car il serait aspiré, NDLR].
Mais le même phénomène, considéré depuis un vaisseau distant se présenterait comme un inexorable ralentissement de l’objet jusqu’à ce qu’il se fige sans pénétrer dans l’astre sombre. […]
Parce qu’à l’intérieur d’un trou noir, dans la zone dont il est impossible de s’extraire, le temps se change en espace et l’espace se change en temps. » Ces sidérantes propriétés ne doivent pas nous intimider ; ouvrons les portes d’un monde saisissant qui a beaucoup à nous enseigner.
Des étoiles qui ont fini de brûler
La plupart des trous noirs sont nés d’étoiles qui ont fini de brûler. «
Quand tout l’hydrogène a brûlé, quand il ne reste plus que de l’hélium et d’autres cendres, l’étoile est comme une voiture en panne d’essence », écrit Carlo Rovelli, physicien et philosophe des sciences, dans son dernier livre
Trous blancs. «
Elle se refroidit, le poids commence à l’emporter. L’étoile se contracte. La force de gravité au sein d’une grosse étoile est immense, si forte que même la roche la plus dure ne peut résister à sa pression. Il n’y a plus rien pour empêcher l’étoile de s’effondrer sur elle-même. Elle s’enfonce au-delà de son horizon. Un trou noir s’est formé. »
Un trou noir est une concentration de matière et d’énergie si extrême qu’aucune particule matérielle ni aucun rayonnement ne peut s’en échapper. Il attire et avale tout ce qui se trouve dans son voisinage, et sa gravité est si forte qu’il emprisonne tout, même la lumière. Sa profondeur est insondable ! Les trous noirs se comptent en milliards de milliards, et ils peuvent prendre plusieurs formes. «
Les astronomes en ont observé des petits, quelques kilomètres de diamètre à peine, et des gigantesques, grands comme tout le système solaire », rapporte également Carlo Rovelli. Presque toutes les grandes galaxies possèdent un trou noir supermassif en leur centre. Celui logé au cœur de « notre » Voie lactée a été baptisé Sagittaire A*. Quant aux hypothétiques trous noirs primordiaux, ils auraient pu se former aux premiers instants du Big Bang, selon les découvertes du défunt savant britannique Stephen Hawking, lequel a par ailleurs démontré que les trous noirs pourraient ne pas être complètement « noirs » en émettant un rayonnement, aujourd’hui appelé rayonnement de Hawking.
À l’intérieur d’un trou noir,
dans la zone dont il est impossible de s’extraire, le temps se change en espace
et l’espace se change en temps.
Un piège gravitationnel
Quand l’existence des trous noirs ne relevait que de l’imagination – à la fin du XVIII
e siècle –, ils étaient considérés comme des objets passifs ne jouant aucun rôle dans l’Univers. «
Les propriétés des trous noirs sont si étranges et contre-intuitives qu’elles ont longtemps nui à leur crédibilité », explique l’astrophysicien, conférencier et poète Jean-Pierre Luminet. «
Il a fallu attendre la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein en 1915 pour commencer à les étudier. Leurs propriétés se sont ainsi révélées beaucoup plus intéressantes que ce que l’on pensait initialement. Les trous noirs découlent de cette théorie de la gravitation à travers un processus que l’on appelle l’effondrement gravitationnel, c’est-à-dire qu’au-dessus d’une certaine masse critique de matière qui se contracte sous l’effet de sa propre gravité, des calculs démontrent qu’il pourrait y avoir un effondrement conduisant à une étrange et bizarre zone de non-retour dont plus rien ne peut sortir. Le trou noir est le cas extrême où l’espace-temps est tellement incurvé qu’il forme un puits de gravité, sorte d’entonnoir d’où, une fois entré, il est impossible de faire machine arrière et ressortir. » Le premier à avoir démontré le caractère inéluctable d’un effondrement gravitationnel sans fin des trous noirs est Robert Oppenheimer en 1939, vingt ans après la découverte des équations de la relativité générale. «
Et Einstein n’y a jamais cru, il ne s’y est même pas intéressé. » Aussi, n’émettant pas de lumière, un tel piège gravitationnel ne peut être observé directement. Toutefois, après 25 ans de traque, des astronomes les ont récemment entendus à travers un bruit de fond d’ondes gravitationnelles, infimes déformations de l’espace-temps, émis très probablement par les « valses » de trous noirs supermassifs sur le point de fusionner.
Mort et résurrection
Le seuil, la limite du trou noir au-delà de laquelle tout reste piégé sans espoir de retour s’appelle dans le jargon astrophysique « l’horizon des événements ». Cette frontière de l’espace-temps au-delà de laquelle on ne peut rien voir n’a pas de consistance matérielle. «
Ce qu’il se passe alors que nous pénétrons à l’intérieur de l’horizon du trou noir, décrit Carlo Rovelli,
c’est que nos amis restés derrière ne nous voient plus. Nous sommes au-delà de leur horizon. Comme le bateau qui devient invisible du rivage. Si après avoir traversé l’horizon du trou noir nous essayons d’envoyer un rayon de lumière vers l’extérieur, pour leur envoyer un signal, le rayon ne sort pas. Il demeure piégé à l’intérieur de la coquille de l’horizon. À l’intérieur de l’horizon, la force d’attraction de la gravité est si forte qu’elle capture même les rayons lumineux. » Ce voyage irréversible et sans retour évoque à Jean-Pierre Luminet
«
les archétypes de la fin et de la mort ». Toutefois, on sait aujourd’hui que les trous noirs peuvent donner lieu à la formation d’étoiles, contrairement à l’idée que tout est englouti et se perd, comme l’ont démontré il y a deux ans des chercheurs de l’université d’État du Montana à propos du centre de la galaxie Henize 2-10. «
Les trous noirs sont donc très actifs et ils interagissent avec leur environnement… Cela fait écho à la mort suivie de résurrection », poursuit Luminet.
Hypothétiques trous blancs
Les trous blancs, appelés aussi fontaines blanches, dont l’existence est très hypothétique, sont la version temporellement inverse des trous noirs ; ils ont un anti-horizon des événements qui marque la limite d’une région dans laquelle rien ne peut jamais entrer. Autrement dit, au lieu d’avaler la matière, celle-ci ne peut que se déplacer vers l’extérieur. Pour le cofondateur de la gravité quantique à boucles Carlo Rovelli, qui a consacré son dernier ouvrage à ceux que l’on appelle les petits frères des trous noirs, «
les trous blancs seraient le destin ultime des trous noirs ». Selon Jean-Pierre Luminet, «
pour des raisons de symétrie, il est envisagé des sortes d’inverses temporels des trous noirs que sont ces trous blancs, lesquels seraient des jaillissements spontanés d’énergie. Les deux seraient reliés par ces mystérieux et fascinants trous de ver hypothétiques avec l’idée que si l’on pouvait plonger dans un trou noir sans rester coincé dedans, puis emprunter un trou de ver et ressortir par un trou blanc, nous aurions trouvé des raccourcis pour voyager dans l’espace et le temps en s’affranchissant des contraintes de la vitesse de la lumière… » Absolument vertigineux ! Cette conception philosophiquement inverse à l’idée première du puits sans fond repousse un peu plus loin les limites de la réalité…
Historique : la première photo d’un trou noir.
Le 10 avril 2019 est une date majeure dans l’histoire des sciences, avec la première véritable photographie d’un trou noir. Cette image inédite du supermassif M87* (au centre de
la galaxie Messier 87, à 53 millions d’années lumière de la Terre) et de son disque d’accrétion a apporté la preuve quasi définitive de l’existence de ces objets cosmiques. Ce cliché montrant un œil noir couronné d’un anneau de lumière jaune orangé à la fois flou et asymétrique est le résultat d’un travail international du consortium Event Horizon Telescope (EHT). Pour l’obtenir, huit radiotélescopes répartis à travers le globe (États-Unis, France, Groenland, Antarctique, Hawaï, Chili, Mexique, Espagne) ont été mis en réseau afin
de créer un immense et extraordinaire télescope virtuel de 10 000 kilomètres – soit environ le diamètre de la Terre !
Les portes de l’insaisissable
Autre question intéressante, les trous noirs ont-ils un fond, et que renferment-ils exactement ? Pour le comprendre théoriquement (puisque l’exploration de ce gouffre est impossible), la théorie d’Einstein n’est pas adaptée, il faut intégrer les lois de la physique quantique. «
Cela a donné un regain extraordinaire à la recherche scientifique mais le problème réside dans le fait que les deux théories sont incompatibles », nous éclaire le spécialiste mondial des trous noirs Jean-Pierre Luminet, auteur du pédagogique
Les trous noirs en 100 questions. «
Chacune marche très bien pour décrire les phénomènes dans leurs domaines respectifs. Quand on veut les unifier, c’est une catastrophe théorique, appelée le “paradoxe de l’information”. » Le rêve de la physique de ce siècle serait d’élaborer une théorie de gravitation quantique qui réunirait les deux. La science est loin d’avoir résolu ce mystère qui repousse toujours un peu plus loin les limites de la compréhension.
«
Maelströms cosmiques emportant dans leur ronde matière, espace et temps, machines à produire de l’énergie, pièges à information, voire portes de passage vers d’autres univers, les trous noirs touchent aux fondements mêmes de nos conceptions sur la nature du monde et des choses », écrit-il également. Au-delà de l’astrophysique, les trous noirs conduisent à nous interroger sur notre propre nature humaine transcendante, sur l’origine et le sens de l’existence… «
Jusqu’au XVIIIe siècle, la science s’appelait la philosophie naturelle, c’était une branche de la philosophie parce qu’elle soulève de profondes questions, souligne encore Jean-Pierre Luminet.
Nous essayons de décoder les mystères et les lois de l’Univers à travers l’étude de ces objets qui nous semblent bizarres, exotiques et très lointains, mais sans lesquels nous ne serions pas là. » Une leçon d’humilité extraordinaire devant l’absolument imprévisible et insaisissable…