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Solstice
d’été
:
les
rites
d’Europe
du
Nord

Autonomes depuis une trentaine d’années, les Lettons ont su conserver secrètement leurs rites ancestraux païens, qu’ils célèbrent aujourd’hui massivement avec joie, au cœur de la nature.
Solstice d’été : les rites d’Europe du Nord
Savoirs ancestraux
Le 21 juin à cinq heures du matin, il fait déjà grand jour à Riga. Les demeures médiévales et façades Art nouveau qui valent à la capitale le surnom de « perle de la Baltique » luisent d’une lumière étrange. Katte, jeune cadre en entreprise n’ira pas travailler aujourd’hui. À l’instar de la majorité des Lettons, elle se prépare dès le lever du soleil à célébrer le solstice d’été. Avec grand soin, elle extirpe une longue jupe traditionnelle de son placard, une jupe qui descend jusqu’à terre pour en capter l’énergie, m’explique-t-elle, et qui forme un beau cercle au sol lorsqu’elle la boucle à sa taille. Cette jupe, elle la tient de son arrière-grand-mère, tout comme le corsage blanc, la ceinture brodée et le collier en ambre dont elle se pare lentement, avec respect.

« Notre indépendance n’a que 30 ans », dit-elle avec douceur, « nous pouvons enfin renouer au grand jour avec nos rites ancestraux, nos fêtes sacrées, sans nous cacher des communistes comme nos parents et grands-parents ». En Lettonie, petit pays balte du nord-est de l’Europe, la mémoire est un champ de bataille et de servage, suite à huit siècles d’invasions des voisins russes, teutons, polonais, nazis puis soviétiques. « Hier encore, les Soviétiques interdisaient nos chants, recettes, fêtes et drapeau, ils ont tenté d’effacer notre langue et même déporté à deux reprises notre intelligentsia et bourgeoisie au goulag. Chacun d’entre nous a perdu un membre de sa famille en Sibérie », déclare encore Katte.


La connexion avec la nature


 Lettonie reportage

Crédit photo : Emmanuelle Eyles

Pourtant, au-delà de ces mauvais souvenirs, ce que les Lettons gardent chevillé au cœur, c’est leur connexion sacrée au soleil et à la nature, connexion qui d’après eux remonte à la nuit des temps. « Personne n’a su éteindre cette flamme-là, nous sommes le dernier pays d’Europe à avoir été christianisé, au XIIIe siècle. À partir de ce moment-là, nous sommes tout simplement devenus des chrétiens païens ou des païens chrétiens, poursuit Katte. Notre rapport au merveilleux est intact, nous avons des collines sacrées, des chênes sacrés et comme cette connexion est vivante, de nouveaux lieux ne cessent d’apparaître. » Elle me glisse le nom du village où elle a l’intention de se rendre dans quelques heures pour les célébrations et s’éclipse chercher une amie, qui habite loin. Le village s’appelle Valmiera, je compte bien l’y rejoindre, mais dans un premier temps j’ai rendez-vous avec Aija Austruma, rédactrice en chef du magazine spirituel Spigana et passionnée de rituels sacrés.

Je saute dans un tram harnaché de rubans et de rameaux de bouleau en l’honneur du solstice, puis je traverse la ville qui se vide littéralement sous mes yeux. Partout, des groupes rieurs s’invectivent, chantent, esquissent parfois un pas de danse, chargent des voitures et s’y engouffrent. Les filles ont des couronnes de fleurs sur la tête tandis que les garçons arborent des couronnes de feuilles de chêne. Lorsqu’Aija m’ouvre sa porte, mes questions fusent à peine le seuil franchi et elle éclate de rire. « Pour comprendre l’importance du solstice d’été pour les Lettons et le fait qu’on se précipite tous à la campagne pour le célébrer au sommet des collines, vous devez connaître le secret de notre connexion à la nature », annonce-t-elle en me montrant une rangée de livres dans sa bibliothèque. « Notre secret, ce sont 293 000 chants sacrés, appelés dainas, tellement anciens que personne ne sait à quand ils remontent car ils étaient transmis oralement jusqu’à ce qu’un homme se mette en tête de les retranscrire par écrit au XIXe siècle. Ces dainas sont inscrits au Patrimoine immatériel de l’UNESCO, les grands-mères les chantent pour endormir les bébés, ils sont enseignés par centaines dans les écoles et les chorales, font office de comptines, etc. »

Émerveillée, je considère la vingtaine d’épais recueils sur l’étagère devant moi et Aija poursuit : « Ces chants parlent de notre mère la soleil, de notre père le lune et nos déesses Mara, Laima et tant d’autres. Notre lien à la mère Soleil est fondamental. Ce n’est pas pour rien qu’on appelle la Lettonie le pays du Soleil : nous avons huit célébrations dans l’année pour la fêter et notre calendrier sacré, tout comme celui des Amérindiens, se découpe en semaines de neuf jours... »

En letton, le verbe chanter et le verbe soigner sont les mêmes, chaque Letton connaît le pouvoir du chant.


Des chants ancestraux et modernes


Lettonie reportage

Crédit photo : Emmanuelle Eyles

Je bois ses paroles, totalement fascinée, et à peine a-t-elle fini sa phrase que des chants magnifiques montent jusqu’à nous depuis la rue. Par la fenêtre, j’aperçois des grappes de personnes en habits folkloriques, la tête couronnée de fleurs et de feuilles de chêne, qui chantent en marchant... « Ce ne sont pas des chanteurs professionnels, juste des Lettons de tous âges qui ont gardé ou refait les habits de leurs anciens, m’explique Aija. Ces chants, c’est la sève de notre résistance aux envahisseurs, nos poèmes chantés pour la Nature et la Vie. Ils ont quatre strophes, ils ressemblent à des haïkus japonais et comme ils ont toujours le même nombre de pieds et le même rythme, ils sont interchangeables et vont sur des centaines de milliers de mélodies... On continue d’ailleurs d’en inventer, c’est vivant ! » Difficile de retranscrire ici la beauté de ces mélodies entonnées d’une seule voix, la puissance de leurs vibrations, l’émotion qu’elles font monter... (...)

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  • Emmanuelle Eyles

    Réalisatrice
    Grand reporter, réalisatrice TV, photographe, journaliste tourisme et art de vivre, rédactrice pour Inexploré et d'autres médias. ...
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Inexploré n°55

Médecines de l'âme

dernière parution

Un esprit sain dans un corps sain ? Autrefois, médecine et spiritualité étaient intimement liées. Philosophies grecques, orientales et chamaniques en témoignent.

Comment repenser le parcours de soin dans un dialogue entre visible et invisible ? Peut-on ouvrir la voie à une médecine holistique et préventive ? Sur ce chemin, les guérisons surnaturelles peuvent-elles nous inviter à de nouvelles connaissances ?

Sans se priver de la technicité de la médecine occidentale, une alliance en bonne intelligence avec les thérapies dites « complémentaires » serait plutôt à rechercher. Mieux encore : transformer notre rapport à la santé serait bénéfique tant à l’individu qu’au collectif, et finalement, à la planète.

Conscience de soi, santé du monde ? Ce numéro estival d’Inexploré explore cette question en détails. Une nécessité afin de se responsabiliser au quotidien et retrouver une forme de souveraineté dans notre rapport au corps et à la guérison. Très belle découverte !

flower

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