Nous avons tous peur de la mort… Et nous
allons tous mourir. Que se passe-t-il à l’instant
du dernier souffle ? Comment comprendre
les expériences extraordinaires
et les visions
qui accompagnent la fin de vie ? Autant
de questions qui nous concernent
tous et que nous abordons sans tabous.
«
Jamais peut-être le rapport à la mort n’a été
si pauvre qu’en ces temps de sécheresse spirituelle
où les hommes, pressés d’exister, paraissent
éluder le mystère. Ils ignorent qu’ils
tarissent ainsi le goût de vivre d’une source
essentielle », estimait François Mitterrand
dans sa préface au livre de Marie de
Hennezel,
La mort intime. Alors que la
génétique nous promet la vie éternelle, la mort est écartée
de notre champ de vision :
« Dans la civilisation occidentale
d’aujourd’hui qui pousse très loin l’individualisme, on refoule
la mort. Il est alors question de tabou et même de dénégation »,
résume l’universitaire et créateur de la thanatologie Louis-Vincent Thomas :
« Dorénavant, la mort cesse d’appartenir
au monde naturel : c’est une agression venue du dehors. »
« On parle peu de ses dernières volontés à ses proches, les gens
meurent souvent seuls car la famille n’est pas préparée, ou ne
veut pas savoir », souligne Jessie Westenholz, organisatrice
en 2011 à Paris d’un salon de la mort qui a rassemblé plus
de 14 000 visiteurs. Exit les rituels, les veillées funéraires.
« Les familles ont trois jours pour accomplir toutes les formalités
administratives, et trois jours pour faire le deuil » qu’au
demeurant on ne porte plus. Selon Jessie Westenholz, ces
deuils inexprimés font régulièrement surface dans les problèmes
que les patients évoquent en psychothérapie.
La médicalisation de la mort participe pleinement de cette
occultation. Environ 70 % des quelque 549 000 décès en
France en 2009 ont eu lieu en établissement hospitalier
(60 %) ou en maison de retraite (12 %) selon les chiffres de
l’INSEE. Les cancers en sont la première cause, suivie par
les maladies cardiovasculaires, puis celles des appareils respiratoire
et digestif. Ces types de pathologies représentaient
en 2008 près de 70 % des causes de décès. À en croire les
chiffres, si on ne veut plus voir la mort, on a en revanche de
bonnes chances de se voir mourir des suites d’une maladie.
Mais on a tendance à éluder cette perspective. Beaucoup
d’entre nous associent la mort à la souffrance, et espèrent
une fin rapide, une mort subite ou en plein sommeil. En
réalité, le processus est loin d’être uniforme. Certains
connaissent une longue agonie, et d’autres s’essoufflent
en douceur, jusqu’à s’éteindre. Contrairement à une idée
reçue, mort ne signifie pas morphine. Toutes les morts
n’ont pas lieu sous sédatif.
Dans le schéma général, on distingue quatre paliers du
processus du mourir, depuis la mort apparente – l’arrêt
respiratoire, activités cardiaques et circulatoires affaiblies
– jusqu’à la mort totale – la disparition des cellules
vivantes. Mais la mort reste un phénomène difficile à cerner.
Autrefois, on prenait le pouls pour constater le décès ;
aujourd’hui, légalement, il faut un tracé plat de deux électroencéphalogrammes
de trente minutes chacun à quatre
heures d’intervalle. Ce qui fait dire au professeur Léon
Schwartzenberg que la définition de la mort est non pas
physique, mais métaphysique :
« On définit la mort d’un
être humain à partir du moment où sa conscience est morte ;
on le déclare mort non parce que ses organes ont arrêté de vivre,
mais parce qu’il est mort à l’espèce humaine. On établit une
différence entre l’espèce humaine et toutes les autres espèces
vivantes. Cette différence s’appelle la conscience. »
Certains témoignages troublants ne cadrent pas avec l’hypothèse d’hallucinations.
La conscience au moment de la mort
Précisément, qu’advient-il de la conscience durant le processus
du mourir ? Comment se comporte-t-elle ? Que
vit-elle ? Disparaît-elle avec l’arrêt des fonctions cérébrales ?
Que désigne-t-on par « conscience » d’ailleurs ? Il existe
aujourd’hui un consensus implicite selon lequel ce processus
du mourir implique l’extinction progressive de la
conscience, l’arrêt des fonctions cérébrales marquant le
point final. Le cerveau marchant de moins en moins bien,
notre conscience serait de plus en plus confuse, jusqu’à
disparaître avec la mort du cerveau. Dès lors, tout ce qui
survient durant ce processus, et jusqu’au décès final et définitif,
a tendance à être qualifié d’hallucination ou de délire
accompagnant la régression des fonctions cérébrales.
« Nous ne doutons pas, loin de là, que nombre d’expériences
vécues par les mourants aillent dans le sens de cette hypothèse,
celle du corps médical, pour qui la mort constitue le point
final de l’expérience humaine », notaient les psychologues
Karlis Osis et Erlendur Haraldsson. Mais ils estimaient
que certains témoignages troublants ne cadraient pas avec
l’hypothèse d’hallucinations incohérentes liées à la dégénérescence
de la conscience. C’est la raison pour laquelle
ils menèrent sur ces hallucinations au moment de la mort
une étude ambitieuse. Fondée sur plusieurs centaines de
cas aux États-Unis et en Inde, elle distingue trois catégories
d’hallucinations observées : 1) confuses et incohérentes ;
2) cohérentes et exprimant des préoccupations liées à la vie
du patient ; 3) cohérentes et exprimant des préoccupations
relatives à l’ici-et-maintenant et au processus de mourir en
tant que transition.
Dans le livre paru en 1977,
Ce qu’ils ont vu... au seuil
de la mort, qui relate ces travaux, ils exposent le cas d’un
Américain de 65 ans,
« souffrant d’un cancer, mais qui semblait
avoir l’esprit tout à fait lucide […]. Il vit des gens qui
lui semblaient très réels et il dit “Bonjour !”
et “Voici ma
mère”.
Quand ce fut fini, il fit quelques gestes, les bras tendus.
Il ferma les yeux et parut apaisé. Avant l’hallucination, il était
très malade et avait des nausées ; après, il se montra paisible
et serein. » (...)