La Terre est-elle vivante ? S’il semble que nos instances gouvernementales soient loin de le concevoir, c’est une vision que partage l’ensemble des peuples indigènes. Au cours des siècles, notre humanité plurielle a identifié des lieux naturels telluriques utilisés pour des cérémonies ou pour créer des centres névralgiques civilisationnels… Quels secrets se cachent derrière ces sanctuaires et en quoi est-il de notre responsabilité d’en prendre soin aujourd’hui ?
Il y a quelques années, le « Sommet international sur la philosophie environnementale indigène » (International Summit on Indigenous Environmental Philosophy) s’est conclu par la déclaration de Redstone : «
La Terre mère est un être vivant et dynamique, qui possède une valeur intrinsèque, ses principes doivent être activement incorporés afin de rester en harmonie et en équilibre. » Lors de la conférence Psychedelic Science 2023 organisée à Denver, aux États-Unis, le leader autochtone Nixiwaka Yawanawa, venu du Brésil, s’est adressé aux acteurs de la renaissance psychédélique : «
La forêt est mon école, mon laboratoire. Mes maîtres y résident, et nos musiciens… C’est une grande civilisation. » Au-delà du sujet des plantes visionnaires, c’est ainsi l’intrication de toutes les connaissances traditionnelles amazoniennes qui devrait être étudiée, selon lui, afin d’approcher l’ensemble de la nature comme une surprenante intelligence matricielle. La Terre aurait-elle donc la capacité de nous soigner, et quels sont ses pouvoirs ?
Un nombre croissant de praticiens et d’organismes s’intéressent sérieusement à la « thérapie par la nature », et l’on voit même l’idée érigée au rang de politique publique dans de nombreux pays. Après les démarches pionnières du Japon et de la Corée en faveur des « bains de forêt », par exemple, l’« Alliance
internationale de thérapie par la nature et la forêt » (International Nature and Forest Therapy Alliance) est fondée en 2017. Des programmes de formation et de certification de chemins forestiers thérapeutiques viennent renforcer un élan global d’éducation et de recherche, partout dans le monde. Évidemment, différents environnements, dont la qualité joue un rôle prépondérant dans l’expérience thérapeutique, produiront différents effets… En Europe, Francis Hallé plaide d’ailleurs pour la renaissance d’une forêt primaire. Il affirme que notre recherche sur ce type d’écosystème originel n’en est qu’à ses débuts. Le courageux botaniste nous convie tous à comparer la qualité de nos forêts et de nos environnements : «
Il ne faut pas croire qu’il faille être un spécialiste pour distinguer une forêt secondaire d’une forêt primaire… c’est du premier coup d’œil, et c’est la beauté qui marque immédiatement. »
(1) De l’Amazonie aux dernières forêts primaires d’Europe, existe-t-il des lieux de « pouvoir » particuliers qui méritent notre attention ?
Un véritable réseau de vie
Une perspective importante quant au rôle que ces sanctuaires peuvent jouer tient à l’aspect systémique du vivant dans lequel ils s’imbriquent. Lorsque les Amérindiens nous parlent des rivières comme du « sang » de la Terre, ils considèrent tous les éléments de la toile de vie, des plus apparents aux plus subtils, comme interconnectés et nécessaires au bon fonctionnement du tout. «
Le sang de la Terre mère est la rivière sacrée. Son sang s’écoule, donnant vie aux animaux, aux plantes, aux montagnes et à l’humanité » (conseil maya). La déclaration de Redstone nous familiarise avec cette vision systémique, prépondérante chez tous les peuples racines, dans l’espoir qu’elle nourrisse les mécanismes mondiaux nécessaires à la restauration de l’équilibre planétaire : «
La philosophie environnementale indigène respecte un réseau constitué d’entités physiques et spirituelles, interconnectées également au passé ancestral et au futur distant. »
Justement, il semble que la pensée aborigène ait une capacité singulière à appréhender le monde naturel de manière interconnectée. Selon Barbara Glowczewski, directrice de recherche au CNRS, il s’agit bien d’un trait naturel du cerveau, retrouvé dans ses structures synaptiques et dans ses principes d’association onirique : «
Dans mes travaux, je montre que le paradigme technologique des Aborigènes, qui ont construit leur cosmologie d’une manière réticulaire, n’a pu vraiment être perçu par l’Occident que lorsque la vision en réseau est devenue familière, c’est-à-dire avec l’émergence d’Internet. »
(2)
Suivant le fil de cette perspective réticulaire, les sanctuaires du passé, et peut-être ceux de notre futur, seraient donc des espaces de mise en réseau optimaux, tant en interne qu’en externe. Ils seraient des centres vitaux pour le bon fonctionnement du reste de la planète, agissant notamment comme des banques génétiques, voire informationnelles et vibratoires… Ils permettraient un maximum d’interactions humaines et non humaines, grâce à la présence d’une biodiversité exacerbée.
Des sanctuaires ancestraux
Penchons-nous de plus près sur les sites qui ont été sacralisés dans le passé. Les sanctuaires ancestraux sont d’abord perçus comme des espaces imprégnés des mémoires des peuples les ayant reconnus comme tels. Lorsque les sites présentent des constructions massives, comme au Pérou, au Mexique ou en Égypte, ils laissent transparaître l’avancement de systèmes de connaissance qui peuvent aujourd’hui nous laisser envieux. Quand les sites patrimoines révèlent moins de traces de la présence humaine, ils peuvent néanmoins contenir des peintures rupestres, comme en Australie, ou être simplement honorés dans la tradition orale des populations alentour, ne laissant aucun doute quant aux nombres de rituels dont ils ont pu être l’objet au fil des millénaires.
Ainsi, les rituels effectués au fil des âges semblent aussi avoir laissé une charge énergétique en ces lieux, et une hypothèse commune rassemble les esprits : ces sanctuaires ancestraux auraient une fonction de catalyseur énergétique permettant d’harmoniser la nature. Une chargée de recherche au CNRS, Jessica De Largy Healy, rappelle que, selon les traditions natives d’Australie, ces sanctuaires correspondent à des points de contact avec la force originelle d’ancêtres totémiques ayant parcouru le continent. Leur pouvoir est «
canalisé durant les cérémonies faites par les Aborigènes pour permettre le renouvellement de la vie »
(3) et favoriser le cycle de l’environnement. Cela correspond à la lecture du géobiologue Dominique Susani quant à la fonctionnalité des menhirs, puisqu’il affirme que le menhir de Pergat en France est, «
comme tous les temples », construit sur des courants d’eau souterraine. Ces « veines d’eau » sont conductrices d’une marée terrestre pouvant atteindre une amplitude d’un mètre. «
Cela fait que la terre vibre, les pierres se chargent. Et quand il y a trop de charge, l’énergie est expulsée vers le haut, ce qui stabilise l’énergie de l’endroit. »
(4) Petris Terres, activiste aborigène de la région de Broome en Australie, propose une analogie. Les sites sacrés sont comme des chakras à l’intérieur de la Terre, des centres énergétiques de la Terre mère qui peuvent être ouverts ou fermés, alignés ou encombrés.
Collaborer et protéger
Les destructions relatives aux sites sacrés ancestraux pourraient ainsi avoir un impact encore mal compris par nos sociétés au passif matérialiste. «
La nature ne restera jamais inactive alors que sa planète est en danger. […] Prenez conscience de sa puissance et de sa majesté », confie Parvati, fondatrice de l’écovillage Bhrugu Aranya, en Pologne. Elle nous met ainsi en garde contre un manque d’humilité vis-à-vis de mère Nature, comme le chef iroquois Oren Lyons qui insiste : les lois du vivant ne sont pas miséricordieuses, «
mais nous ne pouvons pas les enfreindre, elles prévalent toujours »
(1).
Comment la récente destruction de près de quarante menhirs à Carnac, en France, par une société de bricolage a-t-elle été rendue possible ? Et l’endommagement de l’observatoire central du Machu Picchu, par une entreprise de bière autorisée à y tourner une publicité ? De toute évidence, les sites sacrés ne sont pas protégés comme ils le devraient, devenant trop souvent une affaire d’argent plus que d’écologie planétaire… Peut-être le moment est-il venu de collaborer davantage, afin de protéger les sanctuaires de la Terre ? En changeant nos comportements de consommateurs, en détoxifiant nos corps et nos habitudes, nous ne participons plus aux mécanismes qui détruisent la beauté planétaire innée. Alors, chacun de nous compte dans l’émergence d’une grande alliance en faveur du vivant et de ses points privilégiés pour son homéostasie. N’oublions pas notre propre pouvoir, celui de la nature qui vit en nous !
(1)
Faire renaître une forêt primaire en Europe, projet utopique, Francis Hallé, TEDx Poitiers.
(2)
Oren Lyons on the Indigenous View of the World.
(3)
Au cœur du soleil ardent : la catastrophe selon les Aborigènes, Barbara Glowczewski, dans
Communications 2015/1 (n° 96), pages 53 à 65.
(4) Documentaire
The Primordial Code.