Le karma, nouvel argument de vente de l’industrie du bien-être, est en passe de devenir un mot d’usage courant en Occident. « C’est mon karma », entend-on pour résumer une situation désagréable sur laquelle aucune force ne peut agir. Une notion si profondément détournée qu’elle deviendrait presque synonyme de chance. Si l’infortune s’abat, c’est que le hasard ne joue pas en la faveur de celui qui se cache derrière ce malheureux karma. Or, l’étude de ce concept révèle une connaissance diamétralement opposée. « L’ignorance de la loi du karma, de sa nature exacte, de ses tenants et aboutissants est l’un des grands fléaux de l’époque moderne. Elle ouvre toute grande la porte à une conception primaire, voire sauvage de la liberté ; elle développe l’arrogance et la volonté de puissance chez l’être humain et le conduit à arpenter le chemin scabreux du prométhéisme », propose Gérard Chinrei Pilet, moine bouddhiste de la tradition zen Sôtô, professeur de philosophie et auteur. Loin d’être la première réappropriation culturelle fantasmée par certains courants néospirituels, cette tendance détournée peut être recadrée par la pratique d’une voie spirituelle encadrée. Alors, pourquoi le karma revisité rencontre-t-il un si grand succès ? Quelles confusions et illusions nourrit-il ? Comment se prémunir d’une telle incompréhension ?

Les dealers de libération karmique fixent leur prix

Consultations miracles ou programmes collectifs, la libération du karma a rejoint la très florissante industrie du bien-être. Mais à la différence de la voie spirituelle, cette libération est survolée et monnayée, à prix fort parfois ! « Un astrologue m’avait parlé d’une rétribution karmique liée à un mauvais usage que j’aurais fait de l’argent, sans pour autant me proposer de solutions. Et puis, un jour, j’ai vu une proposition de guérison karmique. La personne disait intervenir sur le corps causal, celui qui porte l’ensemble du réservoir karmique », témoigne Léonie, 36 ans, professeure de fitness à Lyon. « J’ai donc payé trois consultations à 90 euros, censées me libérer de mon bagage karmique, puis j’ai acheté plusieurs programmes en ligne visant à me libérer moi-même en écoutant des enregistrements audio. J’ai dépensé plusieurs centaines d’euros, mais je n’ai pas vu de résultats », poursuit-elle. Un cas parmi tant d’autres sur le marché du bien-être, qui appose à la libération karmique les valeurs mercantiles de l’économie libérale. Si la démarche consistant à se faire aider est louable, et certainement porteuse d’un karma positif, le manque de discernement devant l’ampleur des propositions est inquiétant.

« On peut considérer le karma comme une maladie existentielle, et donc qui dit maladie, dit guérison, mais pour autant, on ne peut pas consommer la guérison karmique comme on peut consommer les autres formes de guérison holistique aujourd’hui en Occident », explique Sandy Hinzelin, docteure en philosophie, auteure et spécialiste du bouddhisme tibétain. La thérapie karmique reste donc un domaine encore très flou. Elle précise que « des guérisseurs sont toutefois en mesure d’agir sur les mémoires transgénérationnelles et les blocages énergétiques, aidant à la libération de nœuds karmiques », mais ils ne peuvent pas avoir la prise de conscience et l’action juste propres à la résolution karmique à la place de leur client. La confusion s’accentue quand il s’agit d’interagir avec des enseignants spirituels. « C’est difficile de faire la part des choses quand on souffre beaucoup. Alors, quand un enseignant spirituel nous propose de faire des offrandes d’argent à des divinités pour alléger un karma, suggérant que la libération sera à la hauteur du montant donné, peu importe le prix, peu importe que cela nous mette en danger financier, on le fait, quitte à donner mille ou même deux mille euros », raconte Samir, 45 ans, kinésithérapeute en Île-de-France. À la source de ce marché du karma : l’ignorance de ce qu’il est vraiment.

« Avoir » un karma, dites-vous ?

Avoir ou être un karma, c’est une réflexion que propose Sandy Hinzelin dans son ouvrage Les 12 lois du karma. Elle ouvre la porte à l’une des grandes méprises contribuant à distordre la notion de karma.