Notre prochain vol pour Montréal nous emmènera-t-il à Novossibirsk ? Au-delà
de la boutade, c’est le nord magnétique qui se promène du Canada à la Sibérie, et
son déplacement s’accélère ces dernières années, au point qu’il a fallu d’urgence
mettre à jour le modèle de référence des systèmes de navigation aérienne
et maritime. Ces bouleversements ont des impacts scientifiques, mais aussi,
possiblement, sur la vie et son évolution.
Avons-nous perdu le Nord ? À ne pas
confondre avec le pôle Nord géographique,
qui est l’axe de rotation de la
Terre – là où convergent les méridiens
d’une carte –, le nord magnétique est
l’endroit où le champ magnétique terrestre
est attiré vers le bas. Contrairement
au premier, qui est fixe, le second est fuyant. Il
se déplace, du Canada vers la Sibérie, et de plus en
plus vite ces dernières années. Il permet d’établir les
cartes de navigation aérienne et maritime, et sert de
repère aux oiseaux migrateurs ainsi qu’aux boussoles,
y compris dans nos smartphones. Tous les cinq ans,
le modèle magnétique mondial est mis à jour. Mais,
fin 2018, on s’est aperçu que le décalage était très
important avec le modèle établi en 2015. La vitesse
de déplacement du nord magnétique, qui était d’environ
15 km/an, est passée à 40 km/an en 2003, puis
55 km/an au cours des dernières années. Une mise
à jour du modèle magnétique mondial a dû être effectuée
en urgence en janvier 2019. Scientifiques
et explorateurs se fascinent pour ces mouvements
erratiques du nord magnétique, depuis sa découverte
en 1831 par James Clark Ross dans l’archipel
Arctique du Canada. La revue scientifique
Nature
explique que la vitesse de déplacement a commencé
à augmenter au milieu des années 1990. En 2001, le
nord magnétique entrait dans l’océan Arctique. Une
équipe s’est posée sur la banquise en 2007 pour le
localiser précisément. En 2018, le pôle magnétique
a franchi la « ligne de changement de date », autour
du 180e méridien.
Les effets de ces grands
bouleversements magnétiques
ne sont pas neutres.
Tir à la corde
Une équipe de chercheurs britanniques pense avoir
découvert récemment la raison de ce déplacement accéléré.
Le Dr Phil Livermore, de l’université de Leeds,
explique que «
la position du pôle nord magnétique est
contrôlée par deux points du champ magnétique, un qui
se trouve sous le Canada, et l’autre sous la Sibérie, et ils se
comportent comme dans un jeu de tir à la corde ». Historiquement,
poursuit-il, «
le point canadien était le plus
fort, et c’est pourquoi le pôle était centré au niveau du
Canada, mais au cours des dernières décennies, le point
canadien s’est affaibli et le point sibérien s’est notablement
renforcé ». Mais pourquoi ces deux endroits du champ
magnétique terrestre gagnent ou perdent-ils en intensité
? C’est profondément sous la croûte terrestre que se
trouve l’explication. Le champ est, en effet, généré par
le mouvement du fer liquide qui compose l’essentiel
du noyau terrestre. Ce noyau occupe 17 % du volume
de la Terre et représente 33 % de sa masse, à 2 900 kilomètres
de profondeur. On distingue le noyau externe,
qui est liquide, et le noyau interne (graine), solide.
Le champ magnétique de la planète est donc généré
par un mécanisme de dynamo auto-entretenu qui
reste en partie mystérieux. Un phénomène d’induction
électromagnétique est produit par les mouvements rapides des alliages de fer et de nickel
en fusion dans la partie liquide du noyau. En résumé,
le noyau liquide se comporte comme un aimant, un
dipôle magnétique. Ce déplacement accéléré du nord
magnétique serait donc corrélé à une modification des
flux de métal en fusion très loin sous nos pieds. La
modélisation réalisée par l’équipe du Dr Livermore indique
que le pôle nord magnétique va continuer à se
déplacer vers la Russie, mais il est impossible de prédire
s’il reviendra au Canada. (...)