Savez-vous que passer le balai de nuit porte malheur... et que dire si un chat noir pointe le bout de son museau ?! De ses ombres portées, la nuit projette ses mythes et ses mystères sur la toile de nos vies. Loups-garous, somnambules et autres nyctalopes, lumière sur la magie nocturne !
La nuit, portail ouvrant sur d’invisibles dimensions, l’ombre mystérieuse inspire de sinistres légendes et superstitions. «
Pour peu que le spectateur nocturne, [...] revenant d’une veillée tardive, soit naïf ou peureux, il se sentira anéanti, dans le désert noir aux silhouettes fantastiques, [...] par cette force occulte qui l’envahit comme un fluide, [...] la Nuit. Il croira qu’une vie surnaturelle, [...] née dans l’ombre, pénètre de toutes parts le monde réel. Et c’est alors que les faits les plus ordinaires, le passage d’un chien, la tombée des feuilles, [...] un soupir de vent, mal définis dans la nuit qui fausse les distances, grandit les bruits, estompe les formes, prendront dans l’esprit de l’homme superstitieux les caractères de phénomènes extraordinaires [...] : ce seront des âmes en peine, [...] des bêtes immondes, des garous farouches », écrit Edmond Bocquier dans
Les Légendes de la nuit en Vendée (éd. BnF). Prêts pour le grand frisson nocturne ?
Esprit, es-tu là ?
«
La nuit, le plus souvent : l’obscurité a quelque chose de grand », écrivait Euripide dans
Les Bacchantes. Incontestablement, la nuit a de l’esprit ! Elle est un esprit. Réceptacle du sommeil, elle est éveil à travers la puissance transformatrice des rêves. Elle nous laisse dans le noir et, par un curieux effet de loupe, grossit démesurément nos angoisses... a fortiori dans l’atmosphère anxiogène de cette fin d’un monde. Traversée de troubles du sommeil plus ou moins étranges qui nous mettent dans de beaux draps, la nuit peut vite devenir notre bête noire. Peuplée de revenants, elle est le siège de toute une vie surnaturelle que les sagesses traditionnelles d’ici et d’ailleurs ont conjurée au travers de rituels et autres légendes. «
[La nuit] est l’empire des horreurs et des ensorcellements ; ce sont les heures farouches des crimes mystérieux, les heures horribles des expiations qui n’ont rien de commun avec les condamnations humaines, c’est l’heure du Garou », s’embrase Edmond Bocquier. Très ancrées dans le terroir, quel qu’il soit, ces légendes sont néanmoins universelles. Peu importe leurs noms, en résonance avec les cultures locales, ces monstres, fantômes, vampires, gnomes enténébrés et obscures déités qui ont fait de la nuit leur alliée ne font que personnifier et exorciser nos démons intérieurs, nos peurs... qui quelquefois prennent corps.
Le conteur et écrivain Henri Gougaud partage ainsi dans sa biographie
J’ai pas fini mon rêve (éd. Albin Michel) un souvenir d’enfance qui le hante : «
Je vois des fantômes, parfois. [...] Je me souviens qu’une nuit, j’entends des bruits de voix. [...] Par la fente entre les volets j’aperçois des gens qui parlotent, sauf que ce ne sont pas des gens mais plutôt des êtres brumeux aux visages sans traits. [...] Une autre nuit, je vois des têtes aux coins du plafond, impassibles. Elles me regardent. Elles m’épouvantent. Elles ne sont pas laides pourtant mais leur regard sans expression me fascine et me désespère. » Au-delà de ça, le silence dont la nuit enveloppe le monde déchire le voile qui recouvre la conscience et provoque de lumineux
insights, terreau de bien des créations. «
J’aime la nuit, j’ai les idées plus claires dans le noir », aimait à dire Serge Gainsbourg, personnage noctambule par excellence. Si ce qualificatif renvoie métaphoriquement aux noceurs nocturnes, dont les nuits sont plus belles que les jours, celui de nyctalope désigne surtout les hiboux et autres créatures qui voient dans l’obscurité. Un jeune Chinois, Nong Yousui, à l’étonnant regard bleu azur, serait réellement nyctalope – ses yeux de chat lui offrent une parfaite vision de nuit... un don qui n’a pas été prouvé scientifiquement.
Démons et merveilles du sommeil
Voici quelques éléments clés pour rendre compte des bizarreries de nos nuits. Le plus incroyable : à 75 ans, nous aurons dormi... 25 ans, selon l’Institut national du sommeil et de la vigilance. À moins que nous ne fassions partie des 20 % d’adultes qui se plaignent d’insomnie
(10 % en insomnie sévère). Mais l’insomnie est pavée de fausses croyances... Quelques nuits de mauvais sommeil suffisent à déclencher une « maudite » autohypnose. Ainsi, se dire : « Je suis certain(e) que je ne dormirai pas ce soir » est « une formidable prescription autoréalisatrice, extrêmement efficace », observe Benjamin Lubszynski, l’hypnothérapeute qui « endort » d’innombrables personnes grâce à sa chaîne en ligne, auteur de Bien dormir, ça s’apprend (éd. du Rocher). En outre, un insomniaque dort mal, pas forcément peu. « Son sommeil, fragmenté, objectivé à la polysomnographie, l’étude électrophysiologique du sommeil, diffère en moyenne seulement d’une demi-heure par rapport à un bon dormeur », précise Roland Pec, somnologue. Parmi les 88 troubles qui perturbent nos nuits (apnées du sommeil, syndrome des jambes sans repos, terreurs...), le somnambulisme figure en haut de l’affiche ! Même si la science explique son fonctionnement (pointant du doigt les apnées du sommeil ou éveils brutaux d’un sommeil lent profond), ce trouble demeure énigmatique. Il a longtemps été associé à de la possession, où d’obscures forces s’empareraient de l’endormi. Célèbre exemple, Lady Macbeth, immortalisée par Shakespeare, est hantée par les esprits de ses victimes et revit, lors de ses accès de somnambulisme, les crimes dont elle est l’instigatrice. Mais la magie nocturne ne serait pas complète sans le rêve qui émerveille et parfois terrifie nos nuits. Extravagant, lucide, prémonitoire, générateur d’insights ou éveilleur de perceptions extrasensorielles, il y a du génie dans le rêve qui nous affranchit des limitations de notre corps et de notre mental !
Histoires à dormir debout
Alors que la nature s’ensommeille, que la vie semble se ralentir, plane le spectre de la mort... Dormir, n’est-ce pas mourir un peu ? On retrouve cette sombre analogie, somme toute naturelle, dans la mythologie grecque, incarnée par une sacrée lignée ! Imaginez : Hypnos, dieu du sommeil (Somnus, chez les Romains) n’est autre que le fils de Nyx, déesse qui symbolise la nuit, et le frère jumeau de... Thanatos, personnification de la mort. (...)