Le 1er janvier 2019, à l’aube, un objet en
forme de cacahuète, comme deux boules
de glace soudées, de la taille de la région
parisienne, est survolé par la sonde de
la Nasa New Horizons. Nous sommes à
44 UA de la Terre (l’unité astronomique
est la distance Soleil-Terre), presque sept
milliards de kilomètres. Après avoir fourni des
images de Pluton et Charon en 2015, New Horizons
nous fait remonter le temps, puisque Ultima-Thule,
cet
« objet de la ceinture de Kuiper » nous montre
comment se formèrent les planètes : par agglomération
de planétésimaux et effet boule de neige, dans
un disque de gaz et de poussière tourbillonnant. New
Horizons va poursuivre son odyssée vers les confins
du système solaire, dans des contrées mal connues,
que seules les sondes Pioneer et Voyager ont traversées
jusqu’ici. Il leur faudra des siècles pour parvenir
au nuage d’Oort, ce vaste réservoir de comètes, qui
commence à 1000 UA. Croiseront-elles en chemin
un astre inconnu de notre système solaire ?
Mondes en collision
Dans les années 1940, le psychiatre et écrivain Immanuel
Velikovsky, en comparant les mythes du
monde, découvre qu’ils décrivent tous les événements
de l’Ancien Testament comme des interventions
divines. Il émet la théorie selon laquelle une comète aurait frôlé la Terre 1 500 ans avant J.-C.
Son livre
Mondes en collision(1) , qui paraît en 1950,
connaît un vrai succès populaire, même si les astronomes
jugent sa thèse scientifiquement impossible.
Après sa mort, certaines propositions de Velikovsky
s’avèrent pourtant exactes, comme la présence de
matière organique dans les comètes.
En 1976, tandis que l’astronome Carl Sagan réfute
point par point la thèse de Velikovsky, un autre auteur
reprend une thèse similaire : Zecharia Sitchin,
linguiste et archéologue américain né en Azerbaïdjan.
Il présente dans
La 12e planète (2) son interprétation
des tablettes d’argile trouvées en grand nombre
sur les rives du Tigre à partir de 1840.
« Le déchiffrage
des tablettes a fait prendre conscience que des récits bibliques
de la création existaient des millénaires avant la
rédaction de l’Ancien Testament. Ils s’accordaient, parfois
mot pour mot, avec ceux de la Genèse. »(3) Sitchin
affirme que les
« batailles célestes » entre divinités
racontent des événements cosmiques réels. Les Sumériens
connaissaient déjà l’existence des planètes
Uranus, Neptune, Pluton, et mentionnaient une
planète Nibiru (renommée Mardouk en babylonien).
De la taille de Neptune, selon Sitchin, elle
aurait une orbite très elliptique, avec une période de
3 600 ans. Nibiru serait responsable de la formation
de la Terre et de la Lune. Tiamat, une planète tellurique
grosse comme deux fois la Terre, située entre
Mars et Jupiter, se serait brisée en deux lors d’un passage
de Nibiru : une moitié serait devenue la Terre,
les débris de l’autre formant une
« ceinture martelée
» d’astéroïdes. Kingu, lune de Tiamat, aurait été
capturée par la Terre pour devenir notre Lune.
Nibiru
remplace la comète de Velikovsky dans son rôle d’agent de catastrophes cosmiques...
Mais Sitchin ne se contente pas de refaire la genèse
du système solaire : il refait celle de l’humanité.
« Les
Sumériens, écrit-il, affirment que la vie fut véhiculée
dans le système solaire par Nibiru. Que Nibiru transmit
la “semence de vie” à la Terre au cours de la bataille
céleste contre Tiamat. » Par ailleurs, Nibiru aurait des
habitants, les Annunaki. Environ 400 000 ans avant
J.-C., ils auraient colonisé la Terre et se seraient intimement
mêlés de l’histoire humaine.
Beaucoup considèrent aujourd’hui Sitchin comme
un affabulateur. L’auteur français Anton Parks, par
exemple, affirme que Nibiru n’est mentionnée sur
aucune tablette d’astronomie sumérienne et relève
des erreurs de traduction. Sitchin indique une
période de 3 600 ans, mais 3 600 est une unité de
mesure courante appelée le SAR (Specific Absorption
Rate soit en français DAS, débit d’absorption spécifique). Rappelons que les Mésopotamiens comptaient
en base 60. Une durée de « 3 600 » pourrait
juste signifier « de nombreuses » années.
Dans les années 1970, l’idée d’une planète géante
inconnue, avec une orbite de comète, paraissait risible.
Pourtant, depuis un siècle, une
« planète X »
est recherchée par les astronomes. Celle-ci ressemble
de plus en plus à Nibiru.
Infographie : Inexploré mag.
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Découvrir notre odysséeJeu de billard
Dans un article datant de 1995, l’astronome Alan
Boss écrit qu’aucune planète géante ne peut naître
à moins de quatre ou cinq UA de son étoile. Pourtant,
quelques jours plus tard, deux astronomes de l’Observatoire de Genève annoncent la première découverte d’une exoplanète ; or 51 Pegasi B est
une géante gazeuse six fois plus proche de son étoile
que Mercure du Soleil ! Par la suite, nombre de systèmes
planétaires ont montré de similaires
« Jupiter
chauds », jouant à se faire rôtir. On comprend que
les planètes géantes naissent loin de leur étoile, puis
migrent, parce qu’elles interagissent avec le disque
de gaz protoplanétaire.
De la taille de Neptune, elle
aurait une orbite très elliptique,
avec une période de 3 600 ans.
Depuis les années 1980 et grâce aux simulations
informatiques, les experts de mécanique céleste ont
montré que les orbites planétaires sont rarement
stables. Les planètes ne restent pas sagement sur
leur lieu de naissance. Dans les premiers millions
d’années, notre système solaire a joué au billard cosmique.
Des protoplanètes sont entrées en collision
pour former les planètes géantes. Uranus et Neptune
ont échangé leur place. Jupiter a migré vers le Soleil,
jusqu’à l’orbite de Mars environ, puis, dans un pas
de deux avec Saturne, aurait reculé jusqu’à son orbite
actuelle. Les planètes géantes ont fait un grand
« nettoyage ». La plupart des petits corps furent
catapultés hors du système solaire. Seule une fraction
est restée liée au Soleil, constituant la ceinture
de Kuiper et le nuage d’Oort.
« D’après les modèles,
deux à quatre planètes comme Uranus ont pu être éjectées
», dit Alessandro Morbidelli, de l’Observatoire
de Nice, auteur du
« modèle de Nice » qui fait autorité
pour décrire la formation du système solaire.
En 2013, on détecte une exoplanète
« orpheline »,
errant seule, chassée de son système d’origine.
Infographie : Inexploré mag.
Transneptunia
L’orbite de Neptune, c’est le Mississippi du système
solaire, la frontière au-delà de laquelle se dessine
depuis une quinzaine d’années, détection après détection,
un
« paysage » qui commence à la ceinture
de Kuiper et s’étend jusqu’au nuage d’Oort. Certains
objets de la ceinture de Kuiper ont des orbites
très allongées et inclinées par rapport à l’écliptique
(le plan des orbites planétaires). Certains vont se
promener dans l’intérieur du système solaire (les
Centaures), d’autres vers le nuage d’Oort (objets
« transneptuniens » ).
En 2005, Michael Brown,
de Caltech, annonce la détection d’une
« dixième
planète » : Eris, qui ressemble à Pluton par sa taille
et son orbite elliptique et inclinée, mais qui s’éloigne bien plus du Soleil. Un an plus
tard, l’Union astronomique internationale ôte à
Pluton son titre de
« neuvième planète », la déclarant
« planète naine », comme Eris. Une autre planète
naine, Sedna, est découverte en 2003, à trois
fois la distance d’Uranus, sur une orbite très allongée.
Mais Sedna est une banlieusarde : elle vient du
nuage d’Oort.
Il est concevable que des objets venus d’autres
systèmes solaires traversent le nôtre, et même le
squattent. Une exoplanète a pu s’inviter chez nous
quand les étoiles de l’amas étaient encore proches,
estime Morbidelli.
Infographie : Inexploré mag.
Cinq fois la Terre
On peut découvrir une planète de deux façons : en
remarquant sur des séries de clichés qu’un point se
déplace sur le fond d’étoiles, ou en déduisant son
existence d’irrégularités dans les orbites de planètes
connues. C’est à partir d’anomalies dans l’orbite
d’Uranus qu’on découvrit Neptune.
C’est aussi ce raisonnement qui
persuade Percival Lowell,
au début du siècle, de rechercher
une « neuvième
planète ». Mais Clyde
Tombaugh, qui découvre
Pluton en 1930, pense
que sa masse ne suffirait
pas à a affecter Neptune et
il continue à chercher une
« dixième planète ». Au
début des années 1980,
John Anderson, du Jet
Propulsion Lab, reprend
cette quête de la
« dixième
planète ».
La presse reparle de la planète
X en 1983, quand le satellite
d’astronomie infrarouge IRAS repère
un
« objet géant aux allures de comète » dans le
système solaire. Sitchin écrit à la Planetary Society
en suggérant que cette planète soit nommée Nibiru,
puisque
« les Sumériens la connaissaient déjà ». Mais
c’est une fausse alerte : IRAS a détecté une galaxie
lointaine. En 1987, Anderson conclut que la planète X
doit avoir cinq fois la masse de la Terre et qu’elle
doit décrire une rotation d’environ mille ans sur
une orbite inclinée. Son confrère du U.S. Naval
Observatory, Robert Harrington, publie un portrait-robot assez similaire.
Une planète sur une telle orbite pourrait jouer
un rôle de
« berger » gravitationnel, donnant à la
ceinture de Kuiper son aspect tronqué à 48 UA.
Mais
« cette troncature ne me gêne plus, reconnaît
Morbidelli, auteur de l’hypothèse en 2003. Elle peut
refléter la composition de la nébuleuse au moment de
la formation de planétésimaux. »
Dans les premiers
millions d’années, notre
système solaire a joué au
billard cosmique.
Le 20 janvier 2016, Brown et son collègue Konstantin
Batygin annoncent des
« indices d’une planète géante
lointaine dans le système solaire » – dix à quinze fois
plus massive que la Terre, sur une orbite inclinée
entre 200 et 1 200 UA. Il ne s’agit pas d’une détection,
mais du résultat de l’analyse des orbites des
objets transneptuniens connus. Plusieurs équipes
ont affiné ces travaux depuis. On a découvert
des dizaines d’autres objets
transneptuniens aux orbites allongées
(allant au-delà de 500 UA),
parfois très inclinées et parfois
rétrogrades. Il semble qu’une
perturbation gravitationnelle
autre que Neptune les ait sortis
de la ceinture de Kuiper
en leur donnant ces caractéristiques
orbitales. Les 23-24 mai 2018, un
workshop organisé par Caltech/
JPL réunit les chercheurs
travaillant sur l’hypothèse
d’une neuvième planète (4). Dans un article à paraître
dans Physics Reports (5), les
auteurs concluent :
« L’origine dynamique
de la structure anormale de la ceinture de
Kuiper nécessite une perturbation supérieure à ce que
peuvent faire les planètes géantes du système solaire. »
Quant au hasard, il aurait moins d’une chance sur
500 d’en être la cause. Autrement dit, l’existence
d’une neuvième planète semble aujourd’hui la meilleure
explication des caractéristiques dynamiques
des objets transneptuniens. La responsable serait
une planète de cinq à sept masses terrestres, sur
orbite elliptique inclinée à 15-25°. Son périgée serait
à 300 UA et son apogée à 1 000, dans le nuage
d’Oort.
« L’étude des exoplanètes montre que les planètes
du type “super-Terre” sont les plus nombreuses,
et que de telles orbites allongées sont courantes chez les
planètes à longue période », précise Batygin. Voici ce
qu’il imagine :
« Je pense que c’est une planète glacée avec une certaine atmosphère d’hydrogène et d’hélium,
mais rien n’est sûr. »
Des programmes sont en cours pour chercher la
planète X sur l’orbite prédite. Bien que la tâche soit
ardue, si elle existe, elle sera trouvée avant dix ans.
Planète messie
La planète traquée ressemble par certains côtés à la
Nibiru de Sitchin et à la comète de Velikovsky. Toutefois,
elle reste un objet transneptunien distant ¬; à
moins que son périgée fût beaucoup plus proche
autrefois, elle ne peut avoir causé des séismes sur
Terre, donné naissance à la Lune ou à la ceinture
d’astéroïdes. Cette dernière, d’ailleurs, ne résulte sans
doute pas d’une collision cosmique comme on l’a
longtemps supposé. Cette idée est née au XIXe siècle,
la découverte des gros astéroïdes (Cérès, Vesta…)
laissant imaginer qu’ils étaient les débris d’une
« cinquième
planète », Phaeton, que les astronomes se seraient
attendus à trouver là, d’après la loi empirique
de Titius-Bode.
En revanche, la théorie officielle pour expliquer la formation
de la Lune implique une collision titanesque
entre la Terre et une planète de la taille de Mars. Ce
scénario du
« grand impact » rappelle la
« bataille céleste
¬» ayant cassé Tiamat en deux. La région proche
de la Terre n’a pas toujours été calme, et le fait que
Vénus tourne dans le sens rétrograde suggère qu’elle a
connu une importante collision. Le discernement doit nous guider doublement ¬: pour
ne pas accepter béatement des affirmations audacieuses
ni pour les rejeter d’emblée. Car des pépites
de vérité se trouvent parfois au coeur de thèses peu
fondées scientifiquement ; les auteurs passionnés par
un sujet, jusqu’à l’obsession d’une vie, sont parfois
porteurs de grandes intuitions.
La science nous dit ce qui est
« vrai », mais la mythologie
nous transmet des
« vérités » universelles. Joseph
Campbell disait que les mythes sont les rêves communs
à l’humanité. Qu’elle fût une planète connue
des Sumériens ou non, Nibiru est un mythe. Chez
certains, qui en ont fait un astre-messie dont on attend
le retour, l’accusant même d’être responsable du
changement climatique, du basculement des pôles et
d’autres dangers, Nibiru est devenue la métaphore
d’un monde inquiet pour son avenir. Chez les astronomes,
son avatar, la planète X, incarne le changement
de paradigme relatif à notre système solaire,
notre maison. Qu’une telle planète soit découverte
ou non dans les prochaines années, sa quête s’inscrit
dans une
« nostalgie des origines » partagée de tous ;
sa réalité est d’ores et déjà celle du miroir dans lequel
nous nous cherchons.
Les dieux venus du Ciel
Selon l’auteur Zecharia Sitchin, réinterprétant les grands mythes
sumériens, les Annunaki, venus de la planète Nibiru, auraient créé
la race humaine. Cette thèse et ses avatars sont devenus viraux dans
certains milieux ésotériques ou conspirationnistes. Fantasmagorie
ou réalité ?
Durant des millénaires, les scribes assyriens ont fidèlement recopié
les textes selon les mêmes méthodes, comme au Moyen Âge les
moines recopiaient les livres. Mais l’argile a cet avantage sur le
parchemin : il ne brûle pas. Les incendies ont même cuit les tablettes
crues et les ont rendues durables.
Lorsqu’il publie La 12e planète en 1976, l’écrivain Zecharia Sitchin
prétend décrypter le contenu des tablettes...
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(1) I. Velikovsky,
Mondes en collision, Éd. Le Jardin des livres, 2003.
(2) Z. Sitchin,
La 12e planète, Éd. Louise Courteau, 2002.
(3) Z. Sitchin,
Cosmo Genèse, le secret à l'origine de l'humanité, Macro Éditions, 2002.
(4)
Pour plus d’informations
(5) K. Batygin et al.,
The planet 9 hypothesis, Physics Report,
à paraître en 2019.