Cette interrogation vertigineuse, présente en filigrane
dans les articles de ce dossier, nous renvoie
à un questionnement existentiel fondamental, qui
captive les philosophes depuis l’Antiquité, divise
les religions, hante tout être humain et remplit les
cabinets de thérapeutes : nos vies sont-elles toutes
tracées à l’aune d’une destinée prédéterminée... et,
partant de là, qu’en est-il de notre libre arbitre ? En
anglais, libre arbitre se dit
free will, rendant explicite
la notion de
« libre volonté ». Autrement dit,
cette liberté personnelle d’être, d’agir et de penser,
capable d’infléchir le destin ; ce fameux fatum
(
« fatalisme »,
« fatalité ») ou cette
« force de ce qui
arrive et qui semble nous être imposé sans qu’aucune de
nos actions n’y puisse rien changer », dixit Michel Blay
dans son Dictionnaire des concepts philosophiques.
Escape Game
Un film italien récent évoque symboliquement, à
travers une permission de 48 heures accordée à des
prisonniers(1), la toile d’araignée de la destinée. En
quête de rédemption, ces cabossés mettent toute
leur volonté pour changer de vie et sortir de cet
« enfermement », au propre comme au figuré, mais
quasiment tous sont rattrapés par leur histoire,
ancrée dans le passé familial, le contexte social, l’ossature
culturelle. Et la réalité dépasse bien souvent
la fiction... Au-delà de ce scénario, nous sommes
en effet tous, à des degrés divers, «
prisonniers » de
l’étau d’une histoire personnelle, transgénérationnelle
et collective, que l’on cherche à transcender.
«
On rencontre sa destinée souvent par des chemins
qu’on prend pour l’éviter », ironisait Jean de La Fontaine...
Électron libre dans une famille «
cadenassée
» (sic), Simon(2) a ainsi pris la tangente pour fuir
un destin écrit d’avance, où il n’avait d’autre choix
que de reprendre le cabinet médical, transmis de
père en fils. Diplôme de médecine en poche, il a
tout quitté, «
non sans douleur, mais par instinct de
survie ». Ce baroudeur est parti se chercher ailleurs.
«
À travers le chamanisme et les pratiques yogiques,
j’ai expérimenté des états modifiés de conscience qui
m’ont fait découvrir que j’appartenais à un courant
de vie bien plus vaste que le petit moi étriqué promis
par ma destinée, mais aussi que la vision matérialiste
enseignée en médecine. » Ce «
détour » par lui-même
lui a permis de (se) trouver ; devenu enseignant de
yoga et énergéticien, Simon a finalement repris le
cabinet familial, à la mort prématurée de son père.
«
Mais, là, ce fut mon choix ! J’ai à présent le champ
libre d’être pleinement moi-même, tout en m’inscrivant
dans l’histoire familiale », conclut-il.
La trame de notre vie est
donc tissée de fils mystérieux,
dont nous ne sommes pas
toujours maîtres...
Sous influence
La trame de notre vie est donc tissée de fils mystérieux,
dont nous ne sommes pas toujours maîtres...
Certaines influences sont tangibles, comme les carcans
culturels plus ou moins prégnants selon les
pays (je pense à cet ami népalais entré à la Légion
étrangère pour échapper au mariage arrangé et qui
avait fait sa vie ici ; à force de pression, il a fini par
se marier au pays par loyauté familiale et séculaire).
Mais d’autres influences plus subtiles nous impacteraient
sur différents plans, à l’image de l’empreinte
de notre prénom ou des nombres sur notre chemin
de vie, de la position des planètes lors de notre
naissance ou encore du karma au gré des réincarnations...
Parmi ce qui pèse silencieusement sur notre
destinée, la mémoire transgénérationnelle est l’un
des phénomènes les plus étudiés. «
Notre vie à chacun
est un roman. Vous, moi, nous vivons prisonniers
d’une invisible toile d’araignée dont nous sommes aussi
l’un des maîtres d’oeuvre », avait coutume de dire
Anne Ancelin Schützenberger (décédée en 2018),
créatrice de la psychogénéalogie, qui nous a si bien
éclairés sur les fantômes familiaux qui brouillent
notre identité. «
Si on ne comprend pas son histoire
et dans quoi elle s’inscrit, on n’est pas libre de faire des
choix à soi », confiait-elle.
Destins intriqués
D’inconscient à inconscient, nous recevons ainsi
en transmission «
silencieuse » les tragédies, trahisons
et autres secrets qui ont ébranlé l’arbre généalogique
(mais aussi des potentiels positifs). «
Nous
sommes moins libres que nous le croyons, mais nous
avons la possibilité de conquérir notre liberté et de
sortir du destin familial répétitif de notre histoire en
comprenant les liens complexes qui se sont tissés dans
notre famille, et en éclairant les drames secrets, les
non-dits et deuils inachevés », postulait Anne Ancelin.
Un mouvement essentiel, car un arbre généalogique
«
pétrifié » ne laisse plus circuler la sève de
vie. Nous nous retrouvons alors englués dans une
destinée qui nous échappe. «
Le rapport au réel est
faussé ; on vit sur des certitudes mensongères, mortifères, qui font obstacle au libre arbitre
et à l’expression de soi. Le mouvement vital est arrêté,
la créativité inhibée. On se sclérose en s’accrochant au
connu, parfois sur plusieurs générations. J’invite les
personnes qui viennent me consulter à renouer avec
leur créativité, à développer leurs talents en germe afin
que chacun puisse devenir “qui” il est. Par cet acte
créatif, on relance le mouvement de la vie », partage
Élisabeth Horowitz, thérapeute spécialisée dans
l’analyse transgénérationnelle.
L’épigénétique, qui
étudie l’influence de l’environnement sur l’expression
des gènes, apporte un début de réponse à cette
étrange transmission qui traverse la barrière des
générations et contamine notre destin individuel.
Virginie Tyou en est la preuve vivante ! Assiégée
d’insoutenables douleurs pelviennes après l’accouchement
de son premier enfant, elle a la sensation
de ne plus être à la barre de sa vie... Dans «
Voyage
en mer intérieure », elle livre le récit de la reconquête
de soi. Grâce à l’hypnose, elle assemble les pièces
d’un mystérieux puzzle familial, révélant le secret
de sa naissance. En découvrant que son père n’est
pas son père, la vérité apaise ses énigmatiques douleurs
et la ramène sur son (propre) chemin de vie.
Après sa troisième séance d’hypnose, elle se met
étonnamment à écouter de la musique raï et sent
poindre l’envie de découvrir la Tunisie... Plus tard,
elle apprendra que le père de son père biologique,
son grand-père donc, était peintre orientaliste et
a vécu à Tunis. Cette vie, dont elle ignorait tout,
l’avait imprégnée. «
Nous portons en nous l’histoire
de notre famille. Cette musique en est le plus bel
exemple ; elle a traversé mes cellules ! », écrit-elle.
Les guides attendent
de nous une certaine autonomie,
cette faculté à nous rendre acteurs
et maîtres de notre vie.
De l’antique destinée
à la vie quantique
Dans la vision antique, le destin est une divinité
aveugle, implacable, issue de la nuit et du chaos ;
toutes les autres divinités lui sont assujetties. Par
extension, le destin est cette fatalité par laquelle
tout arrive dans le monde. Les oracles seuls pouvaient
entrevoir et révéler ici-bas ce qui était écrit
au livre du destin.
De nos jours, médiums et
voyants tentent à leur tour de lever le voile sur les
inconnues de notre chemin de vie... et tout ce qui
la déborde. Relais entre le visible et l’invisible, ils
mettent en lumière des «
balises » ou délivrent des
messages en provenance d’autres réalités, mais ils
ne peuvent pas faire le chemin à notre place. Fragilisée
après un burn-out, Caroline(2) en était venue
à ne plus rien faire sans l’éclairage d’un spécialiste
des perceptions. «
Médiums, voyants, numérologues,
astrologues, tarologues, j’avais tout un annuaire pour
m’aiguiller sur ma voie et m’aider à faire des choix.
À la fin, même pour un banal rendez-vous avec
une amie, je consultais plusieurs d’entre eux. Tout
devenait confus, et j’avais perdu la main sur ma vie.
C’est une médium qui m’a ouvert les yeux en refusant
de me recevoir une énième fois », confie-t-elle,
avouant avoir encore du mal à prendre une simple
décision par elle-même. Interroger et investir sa
destinée exige une prise de responsabilité... même
lorsqu’on fait appel au pouvoir des esprits.
«
Les
guides attendent de nous une certaine autonomie,
cette faculté à nous rendre acteurs et maîtres de notre
vie. Ils guident, mais n’agissent pas à notre place.
Leurs interventions s’inscrivent dans un schéma d’ouverture
et d’éclaircissement qui, à terme, facilite la
réalisation de nos souhaits, s’ils sont justes », souligne
la médium Jade Devaux, auteur de «
Ce que
les guides me murmurent ». Plus largement, parler
des enjeux de notre être au monde questionne de
facto notre place (et celle de notre destinée) dans
l’espace-temps... «
Nous vivons un moment privilégié
de l’histoire de la convergence de la science et de
la tradition séculaire. Le destin de notre monde et
notre évolution dépendent de notre détermination
à nous ouvrir aux énergies éternelles de l’univers »,
s’enthousiasme Patrick Drouot, physicien, spécialiste
de l’expérimentation des états d’expansion
de conscience et des thérapies quantiques (voir
encadré). Il devient en tout cas de plus en plus
évident que le corps, lieu de l’éprouvé de notre
destinée, n’est qu’une interface ou une caisse de
résonance, alors que la conscience, elle, est non
localisée ; totale et infinie, elle se trouve partout,
dans une dimension qui n’est liée ni à un temps
ni à un lieu. Une vision quantique qui déploie
sacrément la perspective de notre destinée ! Au
final, pour échapper à une vision trop étriquée du
destin ou au flottement d’un libre arbitre absolu,
et ainsi sortir de l’absurde, la balance est peut-être
à trouver dans cet appel d’Anne Ancelin Schützenberger,
quintessence de sa destinée : «
À la limite,
le seul choix est existentiel : être impliqué ou ne pas
être impliqué. »
La voie du cœur
Et si, face au vertige existentiel, la réponse était à aller chercher du côté du coeur ?
C’est ce que propose le médium et thérapeute Christophe Jacob dans son
ouvrage Le coeur quantique. Les psys, les chamanes, mais aussi le monde
des esprits (s’exprimant par la voix des médiums), s’accordent à dire que la
perte de sens et le mal-être actuels proviennent du fait que nous sommes
« fragmentés ». À travers « un processus de connexion à tous les univers utilisant
l’intuition et la médiumnité comme supports, via des méditations guidées
», précise Christophe Jacob, nous passons d’un champ de conscience
purement neuronal à un nouveau paradigme qui ouvre la voie à l’intelligence
du coeur, nous permettant d’accéder à des paliers plus élevés de la réalité
et de la vie.
« En devenant coeur quantique, cette nouvelle architecture
de perception nous mène vers une meilleure manière d’embrasser le monde
dans toute sa complexité pour retrouver notre être, notre origine perdue et
notre devenir, afin de nous déployer dans une existence et un monde plus
équitables, justes, prospères et durables. À la clé, la découverte de ce qui
constitue notre être profond : notre âme immortelle », explique, en préface,
le physicien Patrick Drouot, spécialiste des thérapies quantiques.