« Il est des gens qui prétendent que les planètes par leurs mouvements produisent non seulement la pauvreté et la richesse, la santé et la maladie, mais encore la beauté ou la laideur, bien plus, les vices et les vertus. Selon eux, ces astres à chaque instant, comme s’ils étaient irrités contre les hommes, leur font faire des actes dans lesquels ceux-ci n’ont rien à se reprocher, puisque c’est par l’influence des planètes qu’ils sont portés à ces actes. » Lorsqu’il écrit ces lignes dans la deuxième Ennéade, le philosophe Plotin semble donner des arguments aux adversaires de l’astrologie. Il fit pourtant partie de ses défenseurs aux côtés de grands noms comme Aristote, Thomas d’Aquin et même le fondateur de l’astronomie moderne, Johannes Kepler, qui affirmait :
« Nul ne devrait tenir pour incroyable que des sottises et des blasphèmes des astrologues puisse sortir un savoir utile et sain. » Cette constante ambivalence n’a pas disparu de nos jours et l’impossible dialogue entre astrologie et science a toujours ses partisans comme ses contempteurs.
Les astres ont un corps et une âme
Impossible, vraiment ? C’est qu’à l’origine, astrologie et astronomie partagent la même base empirique, l’observation du ciel, et les deux domaines ne sont pas clairement disjoints jusqu’à Kepler et Copernic, au début du XVIIe siècle. À partir de là, c’est l’astrologie elle-même qui va se scinder en deux courants, entre ceux qui considèrent qu’astrologie et science relèvent de deux représentations du monde différentes, et ceux qui estiment au contraire que non seulement l’astrologie est elle-même une science, mais que la science peut en démontrer le bien-fondé. Il est frappant de constater que cette controverse ne s’est pas éteinte jusqu’à aujourd’hui. Pour Plotin, les « astres » étaient des êtres vivants qui avaient un corps et une âme. Le corps exerçait une influence physique et l’âme, composée d’une partie supérieure « raisonnable » et d’une partie inférieure « irraisonnable », agissait via cette dernière sur l’âme des individus en vertu d’un principe de « sympathie ».
L’astrologie symbolique a retenu ce principe de similitude entre macrocosme et microcosme.
Le courant d’une astrologie scientifique s’en est tenu à l’action des corps célestes sur les corps humains, alors que celui d’une astrologie symbolique a retenu ce principe de similitude entre macrocosme et microcosme. Cette correspondance est fameusement exprimée dans l’hermétisme alexandrin ‒ « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas » ‒, et par Paracelse au XVIe siècle
:
« Le firmament est à l’intérieur de l’homme, tout le firmament, avec les grands mouvements des planètes et des étoiles, qui entraînent des exaltations, des conjonctions, des oppositions et d’autres phénomènes semblables. » Alors qu’on évoque une « foi astrologique » dans un ouvrage dirigé par Edgar Morin en 1981 et intitulé La croyance astrologique moderne, les partisans d’une astrologie scientifique sont encore aujourd’hui les plus virulents adversaires du recours à des notions comme le « symbolisme », les « archétypes » ou même les « synchronicités ».
Quand les « stats » s’emmêlent
C’est la biologiste et directrice de recherche honoraire au CNRS Suzel Fuzeau-Braesch qui s’est faite la championne de cette critique dès la fin des années 1980, et jusqu’à sa disparition en 2008. En cofondant le groupe RAMS (Recherche en astrologie par des méthodes scientifiques) en 1992, elle a encouragé la production de travaux scientifiques reposant largement sur la statistique et sur la conviction que l’action des planètes sur l’être humain est de nature physico-biologique. Selon elle, cette astrologie déterministe ou « causale » était celle également retenue par Ptolémée dès le IIe siècle de notre ère dans son texte fameux, le
Tetrabiblos (La Tétrabible).
Le premier livre de Suzel FuzeauBraesch,
L’astrologie, une preuve par deux, était une étude expérimentale menée auprès de 238 paires de jumeaux, constituant à elle seule une preuve éclatante de la validité de l’astrologie, selon ses partisans, car les différences entre jumeaux s’expliquaient par l’écart de naissance, de deux minutes à une heure trente. Les grands précurseurs d’une démarche visant à valider l’astrologie par le recours à la statistique furent Paul Choisnard puis, à partir des années 1950, les époux Michel et Françoise Gauquelin. Au sein du Laboratoire d’étude des relations entre rythmes cosmiques et psychophysiologiques, les Gauquelin ont notamment établi des corrélations entre les thèmes astraux et les profils des sportifs (sous l’influence de Mars), des scientifiques (sous l’influence de Saturne), des acteurs (sous l’influence de Jupiter), etc. Largement critiqués, ces travaux ont finalement eu davantage d’écho aux États-Unis.
« Une étude célèbre conduite par l’université de Berkeley a d’ailleurs été publiée dans “Nature” en 1985, rappelle Denis Bédat, neuroscientifique et physicien.
Ils ont fait appel au National Council for Geocosmic Research, qui n’est qu’un nom pompeux pour une association d’astrologie. Mais les conclusions ont été que les thèmes astraux n’étaient pas supérieurs au hasard pour prédire les traits de la personnalité. »
L’influence objective des planètes et luminaires
A l’époque, Suzel Fuzeau-Braesch a vertement critiqué cette publication due au physicien Shawn Carlson, sur la base d’arguments méthodologiques et notamment de taille d’échantillon. Sur le versant strictement scientifique cette fois, on en sait aujourd’hui beaucoup plus sur l’influence objective des planètes et des luminaires sur la biologie des êtres vivants.
« On peut remarquer par exemple que Jupiter étant énorme, elle a une influence gravitationnelle, mais son influence électromagnétique est faible compte tenu du bouclier qui entoure la Terre, souligne Denis Bédat.
En fait, Jupiter est tellement loin que le blender de la cuisine a probablement plus d’effet sur nous au plan physique ! » S’il est avéré que la Lune régule les saisons, affecte l’amplitude des marées et exerce diverses influences sur les entités biologiques, des animaux marins jusqu’aux mammifères en passant par les plantes, son impact sur la psychologie humaine reste non démontré. Quelques études, dont une réalisée en Suisse en 2013, ont établi un lien entre la Pleine Lune et la réduction du temps de sommeil, confirmant la croyance populaire. L’impact sur notre psyché serait alors indirect, mais bien réel. Les études sur les accès de violence ou de « folie » liés à la Pleine Lune ont pour leur part été jugées non concluantes...
Le psychologue Suitbert Ertel est connu pour avoir confirmé la présence de Mars dans le thème natal des sportifs.
« Le plus grand influenceur de la biologie terrestre reste le Soleil, observe Denis Bédat.
L’influence est gravitationnelle, mais surtout électromagnétique avec les vents solaires qui nous amènent des particules hautement énergétiques issues d’explosions à la surface de l’astre. Elles provoquent des aurores boréales, mais aussi des mutations dans l’ADN des cellules. Les animaux migrateurs en sont perturbés à cause de la magnétite présente dans certaines cellules. Plus étonnant, le biophysicien russe Alexander Chizhevsky avait prétendument mis en évidence une corrélation entre l’activité solaire et les grands événements de civilisations comme les révolutions par exemple. »
Le cosmos a quelque chose à nous dire
Avancées dans les années 1950, ces corrélations entre l’activité solaire et la psychologie des masses ont par la suite été confirmées par d’autres chercheurs comme le psychologue allemand Suitbert Ertel ou l’astronome polonais Adam Michalec. Ertel est par ailleurs connu pour avoir confirmé également le fameux « effet Mars » ‒ soit la présence de Mars dans le thème natal des sportifs ‒ mis en évidence par Michel Gauquelin, alors qu’il était initialement sceptique sur sa réalité. Pour la majorité des astrologues contemporains cependant, l’astrologie est à des années-lumière de cette espèce de concordisme qui vise à la confirmer par la science. Cette position est ainsi résumée par Catherine Gestas, astrologue et psychothérapeute :
« L’astrologie et la science relèvent de deux paradigmes différents, deux représentations du monde différentes. Pour un scientifique, une planète ou un astre est un corps céleste, alors que pour un astrologue, c’est un symbole. Pour l’astrologue, nous sommes reliés au cosmos et celui-ci a quelque chose à nous dire. » (1) De ce point de vue, estime Luc Bigé, à la fois astrologue et titulaire d’un doctorat en biochimie,
« l’astrologie serait plus proche de l’alchimie ou d’autres disciplines dites ésotériques qui reposent sur des modèles analogiques qui mettent en forme le monde du sens, qui essaient de comprendre comment il fonctionne, quelles sont ses lois et son système de cohérence. » En outre, ajoute-t-il,
« le symbole est polysémique, il a plusieurs significations, alors que les lois physiques n’ont qu’une forme de manifestation. On a donc un paradoxe culturel puisque les scientifiques défendent la liberté humaine, mais travaillent sur des lois déterministes, alors que l’astrologie, que l’on taxe de déterministe, en tant qu’elle est fondée et organisée sur des symboles, est un outil de liberté. » Au final, ce dialogue entre science et astrologie n’est pas près de s’éteindre, car la science elle-même continue d’avancer et pourrait très bien en venir à confirmer le bien-fondé de cette lecture analogique et symbolique du réel. Pour l’heure, c’est le courant d’Aristote qui l’emporte sur celui de Platon, mais les travaux de Rupert Sheldrake sur les champs morphiques, ceux de René Thom sur la théorie des catastrophes, ou encore ceux de Régis Dutheil sur la relativité superlumineuse, nous décrivent selon Luc Bigé
« une réalité néguentropique », créatrice d’ordre, dans laquelle l’astrologie serait une sorte de « système de synchronicités permanent ». À ce titre, c’est le fait même que l’astrologie « fonctionne » qui devrait conduire à s’interroger sur la validité des modèles scientifiques actuels, à l’instar de tant d’autres phénomènes qui restent pour l’heure inexpliqués, bien que dûment constatés.
Le pendule de Foucault :
L’astrophysicien Trinh Xuan Thuan a souvent attiré notre attention sur une expérience mythique qui suggère, de façon poétique et métaphorique en tout cas, que l’univers tout entier influence l’existence à l’échelle humaine. Cette expérience manifeste une certaine interdépendance, mais « sur le plan cosmique ».
« Pour démontrer la rotation de la Terre, Léon Foucault suspend un poids au bout d’une corde au sommet de la voûte du Panthéon en 1851. Au fil du temps, le plan d’oscillation du pendule pivote. Foucault explique qu’en fait, le plan reste fixe et que c’est la Terre “au-dessous” qui tourne. Mais fixe par rapport à quoi ? La Lune, le Soleil, Proxima du Centaure, l’étoile la plus proche ? Non, c’est par rapport aux amas de galaxies les plus lointains que le plan d’oscillation du pendule reste fixe, comme s’il ajustait son comportement non pas en fonction de son environnement local, mais en fonction de l’univers dans son ensemble, comme s’il y avait une influence de l’espace tout entier sur chaque portion de l’univers. Ernst Mach pensait que cela résultait de l’influence d’une force mystérieuse qui imprègne tout l’univers, mais on n’a jamais pu l’expliciter. »
(1) Débat sur la web-tv spécialisée Baglis-TV.