Deux êtres faits l’un pour l’autre, voués à se chercher éperdument et connaître par leur union une bienheureuse plénitude. Jamais ces histoires n’auraient connu un tel succès si elles n’avaient été porteuses d’une aspiration universelle, parfaitement incarnée dans la littérature rabbinique. D’après l’histoire biblique de David et Bethsabée, tirée du Talmud de Babylone, les couples seraient constitués par Dieu avant qu’ils ne se forment ici-bas.

Le récit démarre ainsi : « Bethsabée était destinée à David depuis les six jours de la Genèse, mais il la consomma avant terme. » Le roi David était en guerre contre les Ammonites et assiégeait leur ville. Un soir, alors qu’il se reposait chez lui à Jérusalem, il sortit sur la terrasse au crépuscule et aperçut une femme qui se baignait. Elle était si belle qu’il la voulut sur-le-champ. Il apprit qu’il s’agissait de Bethsabée, épouse d’Urie le Hittite, qui s’avérait être l’un des meilleurs officiers de l’armée de David. Malgré tout, David fit mander la belle, et ils s’aimèrent toute la nuit. Épris d’elle, il usa de son pouvoir pour se débarrasser du mari. Le roi exigea de son chef d’armée qu’il plaçât Urie là où le combat était le plus violent, et une fois en pleine bataille, qu’on l’abandonnât seul afin qu’il fût tué par l’ennemi. Le général s’exécuta à la lettre, et Urie périt sous les remparts. Bethsabée pleura son mari comme il se doit, accomplit ses devoirs de veuve, et lorsque le deuil prit fin, David l’emmena dans sa demeure et la prit pour épouse. En guise de châtiment, Dieu lui annonça que le premier enfant qu’il aurait de Bethsabée, un fils, périrait à son septième jour. Depuis lors, les Juifs ne cessent de commenter le comportement inouï de leur roi le plus sacré. Comment l’homme désigné par Dieu pour diriger son peuple aurait-il sans hésiter fait assassiner son rival pour lui ravir sa femme ? À la lecture du texte biblique, on devine que si un récit aussi défavorable au héros y a figuré et a survécu au temps et aux censures, c’est qu’il contient une vérité fondamentale.

L’épouse infidèle était en fait destinée à David bien avant qu’elle n’épouse Urie, en réalité depuis le début des temps, puisque leurs âmes créées par Dieu ne faisaient qu’un à l’origine. L’être humain ne serait pas un individu, une totalité, nous dit Tobie Nathan, psychologue et écrivain : « On comprend bien que l’examen auquel Dieu le soumettait était une épreuve de type initiatique. Il lui présentait son double et sa moitié, l’autre face de lui-même qui se révélait être son complément. L’attraction que ressentait David était comme une loi de la nature, autant dire irrésistible : il vint directement se coller à Bethsabée, comme le recto à un verso. Peut-on détacher les deux faces d’une même feuille ? » Cette théorie de l’âme sœur va ensuite se diffuser dans le monde musulman et chrétien, jusqu’à nos modernes blockbusters. On pourrait la résumer ainsi : « Les hommes et femmes ne sont que des demi-êtres, leur inquiétude à vivre provient de leur incomplétude primordiale. »