Le mythe de l’Hyperborée est une tradition dont on retrouve la trace chez de
nombreux auteurs de l’Antiquité grecque.
Cette civilisation centrée autour d’un
peuple mythique aurait vécu au-delà des terres glacées, sur une île appelée « Hyperborée » – terme signifiant littéralement « au-delà de Borée », le dieu du vent du nord – souvent identifiée à des régions du Grand Nord, comme la Scythie ou même au-delà de la mer de l’Arctique. «
Pourtant, à en croire le Grec Pindare, on ne peut se rendre “ni par terre ni par mer” au pays des Hyperboréens », écrit Magali Cazottes dans son essai
(1). L’Hyperborée ne serait peut-être alors accessible qu’au prix de voyages intérieurs ou, comme l’île d’Avalon, après avoir reçu des initiations secrètes, car elle ne serait réservée qu’à des êtres d’exception. Ainsi, le mythe de l’Hyperborée peut être interprété comme une métaphore de la quête du bonheur parfait et inaccessible, un lieu symbolique où règneraient l’harmonie, l’abondance et la paix. Parce que cette civilisation symbolise le lieu de la pureté, de la perfection et l’éloignement des troubles du monde « barbare », et que les Hyperboréens seraient des êtres diaphanes et parfaits, le mythe a inspiré le philosophe Nietzsche. Des bribes de son concept du surhomme, souvent très mal compris, auraient sous-tendu l’idéologie nazie. Depuis lors, l’Hyperborée a écopé d’une très mauvaise réputation, bien loin de la réalité de son histoire.
En effet, des avancées technologiques qui semblent appuyer l’hypothèse de l’existence d’une ancienne civilisation prospère au nord de notre planète laissent penser qu’il ne s’agit pas d’une simple légende. Comme le souligne Nathalie Limauge, alchimiste et historienne, «
des analyses de carottes glaciaires extraites de la calotte polaire du Groenland ont révélé des indices surprenants. Le terme Groenland signifie d’ailleurs green-land, “terre verte”, ce qui suggère qu’il fut un temps où cette région abritait une végétation luxuriante. » Alors, mythe ou réalité historique ? Tout comme l’Atlantide, Avalon ou encore Ultima Thulé, terres avec lesquelles elle aurait des points communs, l’Hyperborée revient aujourd’hui pour mieux nous inspirer.
Les Hyperboréens vivaient sans vieillesse et sans souffrance, dans une terre bénie. -
Platon
Une inspiration
philosophique et littéraire
À l’origine, les Hyperboréens ont influencé les anciens Grecs par leur mode de vie idéal et leur connexion avec les dieux. Platon a beaucoup écrit sur cette île, dont le peuple jouissait d’un bonheur éternel : «
Les Hyperboréens vivaient sans vieillesse et sans souffrance, dans une terre bénie », affirme-t-il dans ses
Dialogues, illustrant une vision utopique d’un monde idyllique. «
Il y eut aussi Pythagore qui prétendait que toute sa science des mathématiques lui venait d’Hyperborée, parce que son maître était descendant de cette île particulière d’où est issu le plus charismatique des dieux grecs, Apollon. Sa mère, Léto, et Artémis, sa sœur, aussi. Apollon, lors des grands mystères d’Éleusis, retournait à Hyperborée et laissait sa place à Delphes à Dionysos, ce dieu un peu fou qui était un initié », explique la spécialiste Nathalie Limauge. Apollon, le dieu de la lumière, de la musique et de la poésie, passait ainsi l’hiver chez les Hyperboréens pour se ressourcer, dans ce lieu d’une beauté divine et idéale, loin des conflits de l’Olympe et du monde des hommes. Le dieu y recevait des offrandes et des chants des habitants, et revenait ensuite rayonner pleinement de sa lumière sur la Grèce.
Ensuite, le mythe de l’Hyperborée a connu une véritable résurgence au cours de la Renaissance, lorsque les philosophes et penseurs européens se sont tournés vers l’Antiquité pour y puiser des symboles et des modèles. Par exemple, l’astronome et kabbaliste Jean Pic de la Mirandole faisait référence à l’Hyperborée pour désigner l’état spirituel d’un individu accompli, qui aurait transcendé les souffrances et les limites humaines. L’auteur
De la dignité de l’Homme affirmait que l’être humain, lorsqu’il atteignait la sagesse, s’approchait de cette condition idéale, semblable à celle des Hyperboréens. Le philosophe hermétique italien Marsile Ficin, qui fut l’un des plus grands représentants de la pensée néoplatonicienne, évoque lui aussi
l’Hyperborée comme un reflet de la quête de pureté dont les sages auraient su concilier l’esprit humain avec la perfection divine.
Au-delà de la Renaissance, l’Hyperborée continue de nourrir l’imaginaire collectif. À la fin du XIX
e siècle et au début du XX
e siècle, l’idée d’Hyperborée réapparaît sous forme de référence dans plusieurs mouvements culturels et littéraires, notamment dans la poésie symboliste. Arthur Rimbaud, par exemple, en fait une métaphore dans
Une saison en Enfer, où il décrit la quête du poète pour atteindre un lieu parfait, un «
pays d’Hyperborée ». Le poète y voit un idéal inaccessible, une terre qui incarne la pureté et l’authenticité, loin des contingences de la réalité. Dans
Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline évoque l’Hyperborée comme un rêve lointain de tranquillité,
coupé de l’agitation et des horreurs du monde moderne : «
Là-bas, c’était l’Hyperborée, la terre des élus, loin des bruits du monde. » Cette référence à une île hors du temps et de la violence fait écho à une époque marquée par les révolutions industrielles, où l’idéal d’Hyperborée devient un symbole d’évasion face aux souffrances humaines.
La maîtrise du temps circulaire,
c’est pouvoir être
à tous les niveaux et à tous les temps.
Un rapport différent au temps
Les Hyperboréens ont été décrits comme formant un peuple extrêmement chanceux, vivant dans une région d’abondance, où les hivers étaient doux et où les habitants jouissaient d’une vie longue et sans douleur. «
Il pourrait s’agir d’une civilisation de géants ayant coexisté avec celle de leur époque, avant de disparaître lors de la glaciation, peut-être en partant vers un ailleurs inconnu », précise Nathalie Limauge. Guidée par des rêves, des runes et un cristal porteur d’une vibration unique, cette alchimiste aurait au fil des années établi un dialogue direct avec les géants d’Hyperborée. Ces êtres, gardiens du temps qu’ils disent « circulaire », lui auraient confié leurs clés pour éveiller un plein potentiel et réintégrer ses facettes multidimensionnelles. «
Je pense qu’avec la fonte des glaces et les transformations actuelles, il émerge une sorte de “rêve hyperboréen” longtemps emprisonné dans la glace, qui se libère aujourd’hui et résonne chez ceux qui sont réceptifs. C’est quelque chose qui attire, qui interpelle et pousse les gens à se demander : “Qu’est-ce que c’est ?” Cela semble réveiller en nous un lointain souvenir, peut-être celui d’un monde oublié qui aurait existé autrefois », ajoute Nathalie Limauge. Cette « mémoire » enfouie résonne en nous, car elle est profondément ancrée dans notre culture.
Héritiers des Grecs et des civilisations nordiques, nous vivons une époque où la quête d’un monde spirituel traditionnel et authentique, alliée à une liberté de pratique et à un retour à la nature, prend tout son sens. Raviver l’histoire de l’Hyperborée et en comprendre la philosophie pourrait nous offrir de précieuses leçons. Peut-être n’avons-nous pas besoin de chercher des traditions chamaniques aux confins du monde, alors que notre culture occidentale recèle des trésors millénaires et sacrés ? Cette civilisation, qui exaltait la beauté, valorisait ainsi l’autonomie individuelle dans le cheminement spirituel, invitant chacun à puiser dans ses multiples potentialités pour cocréer sa réalité en se connectant à la conscience. Nathalie Limauge évoque ce concept essentiel qu’est « le temps circulaire », dont la maîtrise permet de retrouver l’essence de ce que nous sommes : des émanations de lumière faisant l’expérience d’un monde linéaire. Elle nous libérerait de la limitation apparente du corps pour nous connecter à une réalité plus vaste où toutes les potentialités coexistent. En accédant à ce temps circulaire, nous pourrions choisir une autre expérience, alignée avec nos aspirations profondes, comme celle d’activer le « bouton Abondance ». Cela nous offrirait le pouvoir de créer notre réalité, en puisant dans une conscience supérieure et en embrassant la beauté de cette expérience que nous avons choisi de vivre. «
La maîtrise du temps circulaire, c’est pouvoir être à tous les niveaux et à tous les temps. Et quelque part, c’est retrouver, si on peut dire, ce pouvoir. On n’est plus des fétus de paille, on est dans la pleine puissance de ce que l’on est et on est en train de faire une expérience, une expérience à l’intérieur », s’émerveille l’alchimiste.
L’Hyperborée aujourd’hui :
réveiller l’utopie
Dans un contexte de réchauffement climatique, d’inégalités sociales et de déconnexion avec la nature, l’Hyperborée incarne une « utopie verte » où l’humanité pourrait renouer avec des valeurs durables. Inspirant un modèle de régénération écologique et spirituelle, elle représente un idéal d’unité collective, un appel à la transformation sociale et spirituelle. Le mythe de l’Hyperborée peut prendre une nouvelle dimension, devenant une source d’inspiration pour l’écologie. Arne Næss, fondateur de l’écologie profonde, y voit une quête d’équilibre entre l’homme et la nature, une harmonie essentielle à retrouver. Plus qu’un lieu géographique, l’Hyperborée devient un état d’esprit, la métaphore d’une nature idéale et d’une vie authentique. Ce mythe alimente l’imaginaire collectif, particulièrement face aux défis contemporains. Mais ce qui est intéressant dans cette interprétation, c’est la dimension de responsabilité.
«
L’expérience que nous vivons a pour but de révéler le meilleur de ce que nous sommes. Chacun en est responsable, car il existe une connexion à la conscience, cette partie immense de nous-mêmes que nous avons oubliée, mais qui reste liée à nous. Il n’y a pas de guides pour nous prendre par la main : nous sommes tous responsables et capables de nous connecter à ce niveau de conscience, qui est une émanation de notre être. Si nous choisissons de nous brancher à cette conscience, qui nous appartient pleinement, nous avons accès à tout son potentiel. Cependant, cela implique de prendre la responsabilité de notre parcours, d’accepter notre chemin et de s’engager pleinement dans cette exploration », prévient Nathalie Limauge. Si cet idéal semble parfois irréalisable, il demeure un symbole puissant, nous guidant vers une réconciliation entre nature, spiritualité et progrès. L’Hyperborée moderne nous rappelle que l’équilibre, bien qu’utopique, reste une quête essentielle face aux défis de notre époque.
Le symbolisme de la pomme
Selon l’auteure Magali Cazottes, un lien symbolique profond semble unir l’Hyperborée et Avalon, deux îles légendaires au caractère secret et mystique. Ce lien est notamment illustré par la symbolique de
la pomme : le nom « Avalon » provient du mot breton aval, qui signifie « pomme », désignant ainsi « l’île aux pommes ». De manière similaire, Apollon, le dieu solaire, partage une étymologie avec apple (pomme en anglais), renforçant cette association. De plus, comme l’Atlantide, l’Hyperborée aurait connu deux moissons par an, signe d’une terre exceptionnellement fertile. Diodore de Sicile écrivait à son sujet : « L’île était à la fois fertile et productrice de toute culture, et s’il arrive que le climat soit tempéré, elle produit deux récoltes chaque année. » Ces parallèles tissent une trame fascinante entre mythes, symboles et récits anciens.
(1)
L’Hyperborée, son mythe, ses origines et son mystère, Magali Cazottes, JMG éditions, 201.