«
J’avais l’impression de ne plus être dans la matière mais de faire un tout avec l’eau, je me sentais comme une grande algue accrochée à un rocher. C’est l’une des expériences les plus agréables que j’ai vécue », décrit Mona en parlant de sa première séance de janzu, ce soin de relaxation aquatique créé dans les années 1980 par le Mexicain Juan Villatoro Garza. Allongée à la surface de l’eau, équipée de flotteurs aux chevilles et d’un pince-nez, Mona, comme tout receveur de soin janzu, se laisse aller au rythme des mouvements de surface et d’immersion fluides et doux induits par le donneur. Nulle nécessité de savoir nager, mais l’eau doit être suffisamment chaude pour la personne qui le reçoit (28 degrés en milieu naturel, entre 30 et 34 degrés en piscine). La portance de l’élément décuple les sensations de détente physique et musculaire, le corps se relâche, voire se réharmonise. Il n’y a pas d’acupression dans le janzu, seulement un flot de mouvements codifiés et adaptés en réponse à la personne, en surface et en immersions plus ou moins longues de la bouche, du visage et du corps tout entier invitant à un total lâcher-prise, sans contrainte. Telle une danse, le donneur entraîne l’autre dans une communion née dans l’instant.
Un espace de silence
Stéphanie Vautey, spécialiste du janzu, formatrice et fondatrice de l’École française de janzu, créée en 2012, explique : «
C’est une équation entre l’eau qui nous reçoit, la personne qui reçoit le soin et celui qui le donne. J’écoute la personne et je rentre dans son rythme avec la respiration, il y a une synchronisation des souffles et une communion à chercher, rien d’autre, c’est une approche très méditative. » Avant de commencer le soin, Stéphanie invite le receveur à formuler une intention, un souhait à l’élément, car «
l’eau a une mémoire », dit-elle en faisant référence aux travaux de chercheurs parmi lesquels le Français Jacques Benveniste (voir encadré). Voyage, danse, relaxation, méditation aquatique, chacun vit l’expérience à sa façon. «
Les immersions sous l’eau induisent des effets au niveau physiologique, car de nombreuses terminaisons nerveuses se trouvent sur le visage, l’espace-temps se dissout et s’ouvre différemment, exprime la formatrice.
Les receveurs atteignent un endroit où beaucoup ne vont pas, un état intermédiaire, un espace de silence et de paix à l’intérieur d’eux-mêmes. Chacun développe une connexion à son être profond, une capacité à créer son propre refuge. » Lors du premier janzu qu’elle a reçu, Stéphanie dit avoir tout oublié : «
C’est comme si je partais de la première cellule de vie créée dans l’eau pour devenir mollusque, puis poisson, avant de récupérer mon corps d’humain. En sortant de l’eau, je suis restée en silence pendant une heure. »
Cousin du janzu, le watsu (contraction de « water shiatsu ») est une technique corporelle aquatique tirée du shiatsu, mise au point au début des années 1980 par l’Américain Harold Dull. Le receveur est également en position horizontale dans les bras du praticien, son visage est cependant maintenu constamment à la surface de l’eau. «
La personne doit toujours pouvoir respirer. Je place son occiput au niveau de mon coude, comme si j’allais embrasser un arbre, je suis extrêmement ancrée au fond de la piscine, décrit Sabrina Delage, praticienne en watsu.
Dans un premier temps, les respirations vont chercher à s’accorder dans des bercements et l’écoute. Au fur et à mesure du soin, on va aller dans des étirements, des acupressions, du massage. » Plus lent et plus statique que le janzu, le watsu travaille sur les points d’acupuncture pour faire circuler l’énergie le long des méridiens, canaux de circulation de l’énergie vitale selon la médecine traditionnelle chinoise. Dans une eau chaude à 34-35 degrés s’installe d’emblée une détente musculaire, psychologique et psychique, un relâchement. «
Avec l’eau comme support, on mobilise plus facilement le corps, il y a moins de résistance, plus de souplesse, plus d’ampleur articulaire, les étirements sont facilités, la respiration est ample, fluide, poursuit Sabrina.
L’eau est aussi un conducteur exceptionnel qui améliore la conscience de son corps, amène un lâcher-prise et permet d’entrer en résonance avec son intériorité, des endroits sousestimés ou méconnus. »
L’apesanteur permettrait de réveiller la trace mémorielle de la vie intra-utérine.
Régression, retour à la vie intra-utérine
Signifiant « rivière pacifique » en chinois, le janzu est l’héritier de techniques de guérison chamaniques mexicaines qui visaient à provoquer une régression par le mouvement dans l’eau associé à des pressions de points très précis du haut du corps.
Les chamanes les utilisaient pour ramener la personne à un état fœtal et embryonnaire afin de libérer des blocages, des traumas liés à l’enfance, à la grossesse, etc. «
J’y allais sans attentes, simplement pour passer un bon moment dans l’eau, et plus le soin avançait, plus j’avais des pensées liées à ma naissance et plus je me crispais, je sentais que mes mains se déformaient, raconte la sophrologue Mona, à propos de sa séance.
J’avais la sensation de ne pas vouloir retourner dans le ventre de ma mère. Je me suis recroquevillée en position fœtale dans les bras de la thérapeute et j’ai pleuré pendant je ne sais plus combien de temps. C’était comme si je renaissais, j’avais un sentiment de solitude, une sensation de froid avant de me sentir apaisée. À la fin du soin, je me sentais bien. » En effet, l’apesanteur permettrait de réveiller la trace mémorielle de la vie intra-utérine et ouvrirait les portes de notre subconscient pour agir plus profondément, comme le fait l’hypnose par exemple. Ainsi, le janzu, comme d’autres soins aquatiques, offre la possibilité de trouver son propre lieu de guérison. La praticienne Sabrina Delage raconte aussi avoir contacté sa vie intra-utérine. «
Le watsu va chercher les mémoires de la gestation. Lors d’un soin, j’ai eu une vision, j’ai senti le bébé qui n’était pas voulu, le moment était fort. Je ne m’y attendais pas. »
Pour Sarah, l’une des patientes de Sabrina, le watsu a ouvert une porte d’exploration et de libération. «
Le contact avec l’eau et les mouvements produisent des petits courants qui amènent des sensations physiques et intérieures profondes et recréent d’une certaine manière le cocon intra-utérin. Cela amène beaucoup d’émotions que l’on peut laisser sortir sans même comprendre d’où elles viennent exactement, c’est fantastique ! » Outre les divers problèmes physiques et psychologiques que ces soins peuvent contribuer à soigner (douleurs articulaires bénignes ou sévères, sommeil, stress et dépression…), ils agiraient donc sur des plans plus subtils et profonds. «
Je me suis sentie flotter dans une sorte de vide, soutenue puis comme désintégrée et à la fois intégrée à cet espace, confie Marine, équithérapeute de 32 ans.
Je me suis dit à un moment que si c’était ça la mort, alors je pouvais mourir maintenant. J’ai été ramenée dans une sorte de cocon, comme dans le ventre de ma mère ! Puis je me suis sentie être prise dans les bras pour mieux renaître. C’était un voyage vraiment intense. » D’autres témoignages recueillis par Stéphanie Vautey vont dans le sens d’une expérience unique et mémorable, voire mystique : la perte de références et de repères spatiotemporels, l’impression de voler dans le ciel, la sensation d’être un embryon, une décorporation, la réception de visions, d’images, de couleurs, etc. «
Certaines personnes se sentent simplement relaxées, légères, d’autres vivent des réminiscences, une régression ou un voyage initiatique de retour au cœur de la première cellule de vie », développe la formatrice.
Avec l’eau comme support, on mobilise plus facilement le corps.
Faire sauter des verrous, révéler un potentiel
Janzu, watsu, méditation subaquatique, ostéopathie aquatique, Wata, etc., il existe aujourd’hui de nombreuses pratiques qui utilisent l’eau pour ses vertus thérapeutiques.
L’apnéiste Frédéric Chotard, fondateur de Sea Dolphin, encadre des stages d’apnée delphinienne, concept qu’il a inventé après de nombreuses années passées à observer les dauphins en milieu naturel. L’apnée delphinienne consiste à exécuter des mouvements seul ou à deux en apnée sous l’eau, dans une nage qui s’inspire du mammifère marin. L’objectif est de le faire entrer en soi, d’aller chercher son dauphin intérieur, de recevoir son enseignement.
Elle inclut parfois des exercices de Wata (abréviation de l’allemand
Wasser Tanzen, danse de l’eau en français) qui est une danse subaquatique dans l’eau. «
L’apnée delphinienne n’est pas une thérapie, mais cela peut être thérapeutique, précise Frédéric Chotard.
L’eau suscite beaucoup de peurs auxquelles nous confronte le grand bleu, où l’on ne voit pas le fond. Quand il y a une résistance, on va chercher à la dépasser en tournant son regard vers l’intérieur et en travaillant sur cette peur. » La conception chinoise révèle clairement pourquoi l’eau est associée à la peur. Lorsqu’elle n’est pas soumise à une autre force que la gravité, l’eau se dirige toujours vers le bas en s’immisçant dans les passages, en épousant toutes les formes qu’elle rencontre et en imprégnant tout ce qu’elle peut. En cela, elle est comparable à la peur. «
L’eau provoque parfois des réactions très puissantes, des tremblements, des sanglots, de fortes secousses… On peut réveiller des traumas et des émotions bloqués à l’intérieur depuis très longtemps. Certaines personnes font sauter des verrous et, au bout de quelques jours, sont capables d’aller à 20 mètres sous l’eau.
« L’apnée delphinienne ne recherche pas la performance, mais à révéler le potentiel de chacun. Tout comme le janzu, le watsu ou encore le Wata, elle permet d’atteindre des états régressifs, des états modifiés de conscience, du fait notamment de la distorsion du temps et de l’espace ressentie dans l’eau. «
Il arrive d’avoir l’impression de partir dans l’espace, de faire un voyage intérieur ou de vivre un rebirth. Des gens ont un potentiel qu’ils ne soupçonnent pas et qu’ils découvrent grâce à l’élément et à la pratique. C’est très souvent une renaissance. » Quand on sait que le corps humain est composé majoritairement d’eau (95% d’eau chez l’embryon de trois jours, 75% chez le nouveau-né, 60 à 70% chez l’adulte), on comprend que le contact à l’élément puisse avoir un impact sur les mémoires, les blessures dont il est porteur. «
Mère et mer sont des homonymes, l’eau peut faire penser au liquide amniotique et on pleure des larmes d’eau salée, fait remarquer Stéphanie.
Toutes les mémoires de la première apparition de la vie sont dans l’eau, c’est pourquoi on parle de renaissance, de reset avec les thérapies aquatiques. Au retour du soin, c’est comme si on revoyait le monde pour la première fois, on récupère notre identité. »
La mémoire de l’eau
Soutenue par le médecin et immunologiste français Jacques Benveniste, la découverte de « la mémoire de l’eau » fut l’une des grandes controverses scientifiques du XXe siècle. En 1988, cet ancien directeur de l’Inserm et treize confrères biologistes français et étrangers cosignent l’incroyable expérience sur « La dégranulation des basophiles humains, induite par de très hautes dilutions d’un antisérum anti-IgE ». En clair, le chercheur affirme être parvenu à activer une cellule sanguine avec une solution d’eau contenant un anticorps totalement dilué. Ce qui signifie que l’information biologique s’est conservée dans le liquide. « L’eau a donc une mémoire », en conclut-il. S’appuyant
sur ces travaux, le biologiste Luc Montagnier, colauréat du prix Nobel de médecine 2008 pour sa découverte en 1983 du VIH, a poursuivi dans les années 2000 les recherches dans ce domaine.