Je m’en veux de m’être emportée et d’avoir accusé Christophe à tort. Bien sûr qu’il n’y est pour rien dans la panne de la chaudière ! Mais Tom m’en a mis plein la tête avec ces signes qu’il faudrait voir partout !
Et si je ne les voyais pas ? Je me fais la promesse d’être plus attentive à toutes ces manifestations dont il m’a parlé.
Il fait vraiment froid… J’appellerais bien Tom pour lui demander l’hospitalité mais l’idée de reprendre la route de nuit me stresse déjà.
Non, je vais procéder par ordre de priorité. D’abord, aller chercher du bois pour allumer le feu dans la cheminée. La cheminée, c’est bien pour l’ambiance, mais ça ne chauffe pas une maison. Bon, ça devrait quand même faire l’affaire pour cette nuit.
Le petit appentis est heureusement rempli de bûches coupées à la dimension du foyer ; il faudra que je pense à remercier Tom pour son travail parce que je serais bien embêtée à cette heure-ci sans bois de chauffage. Je suis incapable de manier une hache et encore plus de couper un morceau de bois en deux, et dans les bonnes dimensions qui plus est. Je tente de repérer la brouette pour transporter le bois. Je n’ai aucune idée de l’endroit où elle se trouve. Mince, je me rends compte que j’ai laissé Tom gérer beaucoup de choses à la maison sous prétexte que j’étais en deuil. Deuxième bonne résolution de début d’année : devenir autonome… et laisser Tom tranquille.
Le feu prend enfin et une chaleur bienfaisante se diffuse dans le salon. Deuxième étape, ouvrir le canapé-lit et aller chercher des draps pour la nuit. Je m’active, et mon petit coin prend forme. Au-delà d’un périmètre de quelques mètres carrés, on ne sent plus la chaleur, je pousse donc le canapé le plus près de la cheminée. J’étale le plaid et enfile mon pyjama en pilou.
J’espère que le chauffagiste va pouvoir me dépanner demain parce que ça va être compliqué sans eau chaude ni chauffage. Il est hors de question que je quitte la maison de toute façon. J’ai habité ici toute ma vie et c’est là que je retrouve Christophe. En fait, dès que je franchis le pas de la porte, il envahit de nouveau mes pensées. La maison est imprégnée de sa présence.
Et puis, si je pars, il va me chercher partout ! Non mais, écoute-toi, ma vieille, tu radotes ! Christophe n’est plus là et il n’est sûrement pas un fantôme qui hante cette maison. Continue comme ça et je te garantis que tu vas passer une nuit d’enfer !
Je prends mon livre sur l’étagère et viens m’enfouir sous le gros plaid. Je suis en train de lire
L’Alchimiste de Paulo Coelho, que m’a conseillé Tom il y a quelque temps. J’aime bien et je prends beaucoup de plaisir à recopier certaines citations. Mais je dois reconnaître que parfois je ne comprends pas toujours la dimension spirituelle qui se cache derrière chaque phrase.
Cette fois, je sens une présence. J’ai l’impression que le canapé s’est affaissé comme si quelqu’un venait de s’allonger à mes côtés. Il me parle… J’ai du mal à distinguer ses paroles. C’est comme un murmure dans ma tête, c’est comme si j’entendais des paroles mais pas avec mes oreilles, plutôt avec… mon cœur… Je sens la chaleur envahir tout mon corps, comme si l’on venait de déposer un châle sur mes épaules et que des bras bienveillants m’enlaçaient tendrement. Je n’ai jamais vécu ça avant, j’en ai les larmes aux yeux. Une onde de plénitude se répand en moi et le murmure de nouveau… un train ? Il me parle d’un train… bizarre !
Je me réveille en sursaut. Quelque chose vient de tomber de l’étagère…
Quand un homme marche vers son destin, il est bien souvent forcé de changer de direction. – Paulo Coelho
Je suis perdue, cette présence, ces paroles murmurées à mon oreille, tout me semblait tellement réel et pourtant je suis bien seule. La cheminée est éteinte et il règne un froid glacial dans la maison. Je me lève pour ramasser l’objet au sol. J’allume la petite lampe pour voir de quoi il s’agit. C’est un livre de Paulo Coelho,
Aleph. Le livre est ouvert et, sur la page de droite, une phrase a été surlignée, probablement par Tom. Je m’approche et découvre la citation : « Notre vie est un voyage constant, de la naissance à la mort. Le paysage change, les gens changent, les besoins se transforment, mais le train continue. La vie, c’est le train, ce n’est pas la gare. »
Le train… Est-ce que ce sont les signes dont Tom me parlait hier ? Je l’ai dit, je ne suis pas très habile à découvrir le sens caché de ces citations, je tente néanmoins d’en saisir le message.
Les signes… Tom a dit d’y être attentif… Est-ce que cette phrase signifie qu’il va y avoir des changements dans ma vie ? Des rencontres ? Le train continue… La vie continue… Tom a raison… Christophe me fait passer un message, mais pourquoi maintenant ?
J’ai dû m’assoupir… Je suis réveillée par un message de Nicole.
« Je t’attends en début d’après-midi, tu viendras prendre le café ? Tu n’as pas oublié que tu te mets en marche aujourd’hui ? »
« J’ai un problème à régler et je t’appelle. »
« Il est arrivé quelque chose ? »
« Rien de grave, je t’expliquerai. »
La priorité ce matin c’est d’appeler le chauffagiste.
– Ma p’tite dame, c’est que j’suis complet jusqu’à la semaine prochaine !
– Ah, non, ce n’est pas possible ! Je ne peux pas attendre jusque-là !
– J’peux pas m’couper en quatre, comme disait ma mère.
Ça le fait rire. Mais je n’ai aucune envie de plaisanter !
– Je fais comment, moi ? Vous ne pouvez pas venir au moins jeter un coup d’œil et voir de quoi il retourne ?
– Bah non… J’suis en déplacement toute la semaine… Un chantier de dernière minute que j’ai accepté hier. Même que j’ai dit à ma femme, c’est bizarre, c’truc, le gars y voulait que ce soit moi et personne d’autre qui fasse le chantier. J’sais pas comment il a eu mon numéro.
Je me contrefiche de sa vie, je veux rester chez moi et je sens que je vais être obligée de partir quelque temps.
– Vous pouvez venir quand alors ?
– Quel jour qu’on est ?
– Le 7 janvier.
– Disons dans une semaine, le 14, ça vous va ?
– Ai-je le choix ?
– J’y peux rien, moi, ma p’tite dame !
Je réalise que je suis injuste envers lui.
– Je suis désolée, monsieur Caldera, simplement, je n’avais pas prévu de partir…
Une semaine ! Bon, je dois trouver une solution, je ne peux pas rester ici, c’est hors de question… J’en ai les jambes coupées. Je m’assieds un instant pour reprendre mes esprits et réfléchir sérieusement. Je ne peux pas m’installer chez Tom, ils n’ont qu’une chambre et je ne veux pas les gêner en dormant sur le canapé, d’autant que, le connaissant, Tom me laisserait sa chambre… Il me reste l’abbaye. Nicole a des chambres qu’elle loue lorsqu’elle a des randonneurs qui tombent sous le charme de l’abbaye et souhaitent prolonger leur marche par une nuit sur place. Le mieux est encore de lui demander.
– Mais bien sûr que j’ai une chambre pour toi ! Tu t’installeras dans l’une de celles qui donnent sur le cloître, ce sont de loin les plus agréables.
– Je suis désolée du dérangement mais je n’ai pas le choix. Je t’assure que je paierais cher pour rester chez moi.
– Peut-être que tu as besoin de changer d’air ; tu sais, les choses arrivent toujours pour une bonne raison. Vois le côté positif de la situation, nous avons une semaine ensemble, ça ne nous est jamais arrivé. C’est l’occasion de nous connaître davantage.
– J’ai du mal à voir le côté positif de la chose mais si tu le dis…
– J’ai un locataire pour le moment, il s’appelle Luc, c’est un monsieur très sympathique. Il est venu expérimenter la vie ici, je crois qu’il écrit des articles ou un truc comme ça.
Je n’ai pas spécialement envie de voir qui que ce soit mais je ne vais pas me plaindre…
– Je vide mon frigo, je fais ma valise et je monte. Merci encore, Nicole.
– De rien, ma belle. Sois prudente avec la neige… Je t’attends et Gérard me fait dire qu’il est ravi de t’avoir à la maison.
– Embrasse-le pour moi.
Et voilà, la vie nous réserve parfois des surprises dont on se passerait bien, mais Nicolas a raison, je vais me concentrer sur le positif ; de toute façon, je n’ai pas le choix…
Nathalie Garnier,
Ton ange te guidera, 2022, éd. Jouvence, p. 41 à 47.