L’histoire contemporaine reste marquée par les événements
du 11 septembre 2001. Ce spectacle de
l’horreur dans la démesure a sidéré des centaines de
millions de personnes et produit une vague d’émotion
planétaire considérable. Plus rien ne serait
comme avant. Beaucoup d’entre nous ont ressenti
une communion à l’issue de cette tragédie, la sensation
que l’humanité est Une et qu’une poignée de
fous ne pourront jamais anéantir cette réalité. Il se
passe la même chose, à des échelles plus ou moins
réduites, lors d’autres événements tragiques comme
le tsunami dans l’océan Indien en 2004, les attentats
terroristes en France, et malheureusement la liste est
longue. Se pourrait-il que cette communion, cette
émotion partagée, soit « captée », voire anticipée, par
certains dispositifs technologiques ? C’est la thèse
centrale défendue par les chercheurs du « Projet
Conscience Globale », un programme lancé à la fin
des années 1990, qui n’a cessé de produire des données
défiant la vision matérialiste de la conscience,
et dont la portée scientifique et philosophique est
immense.
Une interaction
« esprit-machine »
Le dispositif dont il est question dans ce programme
se compose d’un réseau de machines réparties à la
surface de la planète. Ces machines sont des « générateurs
de nombres aléatoires » (GNA) qui simulent
plusieurs centaines de lancers à pile ou face par
seconde et produisent des séries de 0 et de 1 au
hasard, de sorte que leur répartition sera équivalente
sur une durée suffisamment longue.
Comment comprendre,
alors, que la ligne qui traduit cette répartition
à 50/50 ait dévié de façon nette pendant toute
la durée des événements du 11 septembre 2001 ? Et
même, qu’elle ait commencé à dévier juste avant,
produisant finalement une courbe dont les statistiques
nous disent qu’elle a une chance sur plusieurs
milliards de milliards d’être due au hasard ? Les analyses
montrent que la déviation a commencé juste
avant et a persisté pendant 50 heures après le début
des attaques, avant de reprendre une allure normale.
C’est l’événement qui a produit la plus forte déviation
sur l’ensemble du réseau, et il est tentant d’estimer
que c’est aussi celui qui a suscité la plus forte vague
d’émotion dans l’histoire récente. Ainsi, la corrélation
entre les deux révélerait une logique sous-jacente,
bien que les débats restent ouverts sur la façon d’interpréter
ces observations. Est-ce la manifestation
d’une conscience collective, d’un inconscient collectif,
ou encore un effet de l’intention des chercheurs… ?
Il faut remonter à l’origine de ces recherches pour
tenter de comprendre ce qui se passe ici et quelles en
sont les implications. Au début des années 1990, les
chercheurs américains Brenda Dunne, Robert Jahn
et Roger Nelson ont tiré profit des progrès technologiques
qui permettaient de miniaturiser les GNA de
l’époque, pour les sortir de leur laboratoire de
l’Université de Princeton. Des travaux préliminaires
avaient en effet permis de montrer une interaction
« esprit-machine » dans des expériences qui
consistaient pour des volontaires à tenter de dévier la
ligne du hasard produite par des GNA.
Effets de « conscience de
groupe »
«
Nous avions une mission d’ingénierie, explique
Roger Nelson,
qui consistait à montrer si la conscience
humaine, dans certains états particuliers, pouvait affecter
des équipements électroniques sensibles. » Il faut préciser
ici que les générateurs aléatoires vrais reposent sur des
processus de désintégration d’atomes, un phénomène
quantique purement imprévisible. «
Compte tenu de
ce contexte, poursuit Roger Nelson,
nous faisions un
travail de précision et d’évaluation extrêmement rigoureux.
Finalement, nous avons conçu plusieurs expériences
uniques qui portaient sur les mêmes questions
en utilisant des systèmes électroniques, mécaniques,
hydrodynamiques et thermodynamiques. Certaines de
ces expériences étaient si belles qu’elles mériteraient une
place dans des musées, mais cet aspect visait à créer les
conditions favorables aux tâches “impossibles” que nous
demandions à nos sujets. Nous voulions créer le cadre
pour l’expression d’une conscience créative et montrer
les subtilités des interactions entre l’intention et ses effets
dans le monde matériel. » Quand ces machines ont pu
être sorties du laboratoire, les chercheurs ont voulu
tester les effets d’une « conscience de groupe ». La
question était de savoir si les GNA pouvaient être
influencés par la seule attention et non par l’intention,
et s’il pouvait y avoir un effet de groupe, comme
s’il existait un champ de conscience collective au sein
d’une assemblée donnée. Ils ont alors emmené leurs
machines dans des concerts, des cérémonies religieuses,
des événements sportifs, etc. «
Le protocole
était simple, précise Roger Nelson.
Nous notions les
moments ou périodes pendant lesquels nous estimions
que des pensées ou des émotions cohérentes, en résonance,
pouvaient se produire parmi les personnes présentes,
et nous regardions ensuite les données pour les
analyser. » L’idée était qu’une déviation serait observée
pendant ces périodes, sans intention particulière de la
part des participants.
Les chercheurs ont
voulu tester les effets
d’une « conscience de
groupe »
Une influence « non locale »
De fait, les dizaines d’expériences réalisées dans ces
contextes ont permis de montrer qu’une déviation
apparaissait, comme sous l’effet d’une conscience de
groupe. Les résultats les plus significatifs correspondaient
à des situations dans lesquelles un élément
rituel ou sacré était présent, comme des cérémonies
religieuses, des méditations collectives ou des rassemblements
sur des sites sacrés. Ce point n’est pas sans
évoquer la puissance de la prière et de l’intention...
Il faut souligner que cette « confiance » dans le fait
qu’un effet est bien présent repose sur l’utilisation
d’outils statistiques standard. Une étape supplémentaire
a été franchie quand il a été supposé que les
machines n’avaient pas besoin d’être à proximité des
groupes étudiés, puisqu’on envisageait un effet « non
local ». Ainsi, au cours du verdict du procès d’O.J.
Simpson en octobre 1995, le chercheur Dean Radin
a examiné les données de cinq GNA répartis en différents
endroits des États-Unis, et Roger Nelson a de
son côté étudié les résultats de douze appareils répartis
en Europe lors des funérailles de Lady Diana en
septembre 1997.
Les deux événements mobilisaient
en effet l’attention de dizaines de millions de personnes
et il se trouve que la déviation cumulée des
courbes des GNA a atteint son maximum lors des
instants jugés comme étant les « climax » respectifs
des deux événements. Il a alors été décidé d’installer
un réseau de GNA répartis en plusieurs endroits de
la planète pour enregistrer en continu les données
afin de tester l’hypothèse d’une « conscience globale
» réagissant aux événements planétaires comme
le faisaient les « consciences de groupe » lors d’événements
plus ciblés. C’est ainsi qu’est né le Global
Consciousness Project (GCP ou Projet Conscience
Globale) à la fin de l’année 1997. Le réseau Internet
permettait alors de rapatrier les données produites et
de les centraliser sur un serveur de Princeton en vue
d’une analyse globale.
Plus de 500 événements
planétaires
Chaque seconde, deux cents bits d’information
sont produits par chaque GNA au sein d’un réseau
constitué de soixante-dix machines permettant d’enregistrer,
selon les chercheurs, un véritable « électro-gaïa-gramme » de la planète. Deux de ces
dispositifs se trouvent en France : un à Paris, hébergé
par l’Institut Métapsychique International, et un
autre à Toulouse. Lors de l’attentat du Bataclan en
novembre 2015, le GNA de Paris était inactif, en
maintenance, mais celui de Toulouse a montré une
forte déviation, de même que celui qui était le plus
proche de l’événement, au Royaume-Uni. L’interprétation
du chercheur Bryan William souligne donc
qu’un effet de conscience de groupe peut être plus
marqué localement. Quelques mois auparavant, Paris
avait été endeuillé par l’attaque meurtrière à la rédaction
de
Charlie Hebdo. Le GCP a analysé les données
en les groupant avec celles d’une attaque terroriste au
Yémen quelques heures plus tôt. Là aussi, la déviation
est marquée et significative. Les commentaires des
analystes précisent : «
On note pour les deux événements
un écart significatif semblant indiquer une influence de
ces deux attentats sur la conscience mondiale, avec toutefois
un décalage entre le moment où l’événement se
produit et le moment où il impacte la conscience mondiale,
ceci étant sans doute dû au temps de propagation
de l’émotion dans la conscience. »
L’expérience formelle a été close en 2016, mais le
recueil de données se poursuit, alimentant une gigantesque
base de données. Plus de 500 événements
planétaires ont été étudiés pendant ces 18 années et
la déviation cumulée, bien que faible en amplitude
(20 % contre 5 % attendus par le seul hasard), correspond
à moins d’une chance sur un billion(1) qu’elle
soit due au hasard. «
Il est essentiel de comprendre que
nous ne cherchons pas des “pics” dans les données pour
tenter ensuite de les relier à un événement, souligne
Roger Nelson.
Au contraire, nous identifions d’abord
un événement et analysons ensuite les données en déterminant
une période précise au cours de laquelle nous
faisons l’hypothèse que les données devraient montrer
une variation par rapport au hasard. » En résumé,
l’expérience consiste à identifier un signal dans du
bruit, mais si le signal semble bien présent, une autre
question est de savoir quelle est sa véritable origine.
Soixante-dix machines
permettant d’enregistrer, un
véritable « électro-gaïa-gramme »
de la planète.
Un « effet expérimentateur » ?
Les observateurs sceptiques ont d’abord cherché
un biais dans la façon dont les données étaient
recueillies et ont reproché aux chercheurs de faire
coller les événements planétaires
a posteriori avec
les déviations observées. Critique à laquelle Roger
Nelson a répondu ci-dessus. Puis la critique a porté
sur les durées de recueil de données en lien avec un
événement donné, disant que si la durée était plus
longue ou plus courte, les déviations seraient moins
importantes. Là aussi, Nelson a répondu que la
« fenêtre temporelle » était choisie avant de regarder
les données et qu’on ne pouvait pas reprocher
aux chercheurs de sélectionner une durée d’analyse
qui favoriserait l’ampleur de la déviation.
L’une des
critiques les plus argumentées a été proposée par
Peter Bancel, un physicien américain qui a rencontré
Roger Nelson lors d’une visite à Princeton et est
devenu co-investigateur du projet. «
Une des premières
choses que j’ai faites a été de voir si je pouvais trouver
des erreurs méthodologiques ou autre dans la façon dont
l’expérience fonctionnait, explique Peter Bancel. Je me
demandais s’il n’y avait pas une erreur fatale à la base
même de tout cela, et je n’en ai trouvé aucune. » Pour
autant, puisque les données sont incontestables, c’est
sur leur interprétation que lui et d’autres chercheurs
divergent. En effet, selon Peter Bancel, l’effet observé
pourrait ne pas être le fruit d’une « conscience globale
», mais serait en fait dû à l’intention même des
chercheurs ! C’est ce qu’on appelle en parapsychologie
« l’effet expérimentateur » (voir encadré).
Puisqu’il
s’agit d’influences subtiles de la conscience sur des dispositifs
très sensibles, la conscience même des investigateurs
pourrait en effet agir dans un sens ou un
autre. Or, l’investigateur en chef du projet est Roger
Nelson depuis l’origine. Et celui-ci ne cache pas son
intérêt depuis son plus jeune âge pour l’hypothèse de
la « noosphère » du paléontologiste et prêtre français
Pierre Teilhard de Chardin (voir article
Les chercheurs
page 72). Dans un livre qu’il a publié récemment,
intitulé
Connected, il défend avec force cette hypothèse
de l’émergence d’une conscience globale, sans
pour autant considérer que les données du GCP
constituent une preuve de ce phénomène. «
Le GCP
est un projet scientifique unique qui a, pendant plus de
dix-sept ans, agrégé des données qui semblent montrer
un vaste esprit terrestre qui vient de naître, ou de s’éveiller,
conclut Roger Nelson.
Il est symbolique de notre
besoin de plus de sagesse quant à notre vivre-ensemble
sur cette belle planète et de la nécessité de la préserver de
nos tendances destructrices. » N’y a-t-il pas urgence à
en prendre conscience, collectivement ? En effet, les
machines ont « crépité » bien davantage ces dernières
années qu’au début du projet.
Une perturbation dans « la Force »
Le chercheur Dean Radin nous confie son point de vue sur cette expérience hors du commun
à laquelle il a participé : « Il n’y a aucun doute sur le fait que quelque chose a été mis en
évidence, la question est quoi ? Est-ce que le système répond en effet à une conscience
globale ou bien est-ce une expérience de précognition à grande échelle au cours de laquelle
Roger Nelson a fait 500 prédictions justes en étant capable de deviner les périodes au cours
desquelles une déviation serait observée ? La première interprétation consiste à dire qu’il y
a un effet de conscience globale à grande échelle qui produit des moments de néguentropie
(création d’ordre dans le chaos) et l’autre dit que c’est un “effet expérimentateur”. J’ai
tendance à penser qu’il y a des éléments des deux théories, car dans les expériences
complexes à analyser, il faut prendre du recul et se dire que peut-être les deux pointent vers
une explication plus globale. Je dirais donc que dans certains cas l’effet est dû à une sélection
fortuite de la fenêtre temporelle, mais dans d’autres cas, nous observons une manifestation
de néguentropie à grande échelle produite par l’attention cohérente de très nombreuses
personnes. Nous utilisons aujourd’hui une nouvelle génération de GNA qui enregistrent un
“bruit de fond quantique” qui n’est pas traduit en bits d’information. Et pour décrire ce que
nous voyons, nous utilisons une métaphore qui vient de Star Wars, quand Obi Wan Kenobi dit
qu’il a senti “une perturbation dans la Force”. Une façon de l’interpréter est de dire que l’on
peut en quelque sorte observer des ondulations ou des plis dans l’espace-temps lui-même ! »
(1) En français, un billion correspond à un million de millions ou
mille milliards.