Qui était Jiddu Krishnamurti, ce grand penseur dont les enseignements éclairés et l’ouverture de cœur ont frappé l’humanité ? D’une jeunesse colorée par un rôle d’ « instructeur du monde », à 60 années consacrées à l’enseignement, toute l’existence de Krishnamurti fut jalonnée de phénomènes mystérieux. Retour sur une vie frappée d’extraordinaire...
Une allure distinguée, de grands yeux noirs, Jiddu Krishnamurti grandit à la croisée de l’Orient et de l’Occident. Il déclarait ne pas se souvenir de l’époque de sa jeunesse, expliquant qu’
« aucune pensée ne pénétrait mon esprit. Observer et écouter, rien d’autre ». Ce manque de mémoire et cette totale disponibilité à l'instant présent constituent l’un des aspects les plus insaisissables et complexes de la personnalité de celui qui allait devenir un sage adulé. Sa disposition d'esprit se reflète dans son enseignement de liberté intérieure : Krishnamurti considérait les conditionnements psychologiques, qu'ils soient éducatifs, religieux, culturels ou politiques, comme néfastes et une entrave à la pureté de perception du moment et de la vie en général. Son message était simple :
« La vérité est un pays sans chemin ». Comment cet homme, généralement considéré comme l’un des plus grands penseurs et maîtres spirituels de tous les temps, était-il parvenu à saisir cette réalité profonde ?
Désigné « instructeur du monde »
La jeunesse de Krishnamurti, né en 1895 dans le sud de l’Inde, avait déjà commencé de manière peu banale. Sa mère, à qui on prêtait des dons occultes tels que la lecture des auras, avait eu la prémonition du destin spécial de son fils. Elle choisit ainsi de lui donner le jour dans une salle de
puja, réservée à la méditation et aux prières des familles brahmaniques indiennes. A la mort de sa mère, son père partit vivre à Adyar sur la côte est de l’Inde, un choix qui allait faire basculer la vie de Krishnamurti.
Clairvoyant, charismatique, une barbe blanche imposante et des yeux perçants, Charles Leadbeater comptait parmi les patriarches de la puissante Société de Théosophie, une association ésotérique établie en Inde et qui vivait son âge d’or entre la fin du XIX
e siècle et les années 1920. Cet homme allait avoir un rôle clé dans l’incroyable avenir de Krishnamurti. Alors que les théosophes avaient prédit la venue d’un « Instructeur du monde » dont la mission serait de diffuser une nouvelle énergie et un nouveau message à l’humanité, Leadbeater découvre le jeune Krishnamurti, alors âgé de quatorze ans, se promenant sur la plage jouxtant l’enceinte de la Société de Théosophie. Le medium dirait plus tard qu’il avait vu autour de l’enfant
« l’aura la plus magnifique qu’il lui ait été donné de voir, sans la moindre trace d’égoïsme ».
Adopté avec son frère Nitya par la Présidente de la Société, Annie Besant, qui le proclame « Instructeur du monde », Krishnamurti commence une jeunesse de voyages entre l’Europe, la Californie et l’Australie, pour le préparer à endosser ce rôle. Pour la Société, la destinée de Krishnamurti n’est autre que de devenir le véhicule d’une entité spirituelle, dans la lignée de ceux qu’elle appelait les grands initiés, tels que Moise, le Christ, Bouddha ou Zarathoustra. Les années passant, Krishnamurti devient beau, charmant, tout en développant un vif esprit d’indépendance, et est mis à la tête d’une institution mondiale, l’Ordre de l’Etoile, créée pour préparer le monde à son « avènement ».
Une expérience mystique foudroyante
C’est en Californie à Ojai, dans une villa baptisée « Pine Cottage », qu’une expérience va inexorablement changer le cours de la vie de Krishnamurti, alors qu’il n’est âgé que de 27 ans. Il subit ce qu’il appellera le « processus » : une intense expérience intérieure qui l’emporte vers des sommets de souffrance et d’extase. Alors qu'il se trouve en méditation, une pratique matinale quotidienne pour le jeune homme, il ressent de vives chaleurs et des douleurs dans la nuque. Le phénomène se reproduit chaque jour, jusqu'à la traversée d'une expérience qu'il qualifie lui-même d' « extraordinaire » : il vit un sentiment d'unité avec le grand Tout. Le moindre élément constitutif du monde fait partie de lui, il ressent par exemple les pensées et les sensations d'un homme qui répare la route au loin, s'identifie même à la pioche que le cantonnier utilise. Plus rien ne sera jamais comme avant pour lui, comme si le « processus » l'avait dépouillé de sa conscience personnelle.
L’expérience vécue par Krishnamurti à Ojai s’apparente à certains vécus mystiques de dissolution de l’ego, et il vivra ensuite des moments de paix profonde. Dans son ouvrage
Krishnamurti, figure de liberté, l’auteur Isabelle Clerc rapporte un extrait d'une lettre écrite par Krishnamurti à sa mère adoptive, Annie Besant, durant la période de cette expérience mystique :
« Devant moi était mon corps et je vis au-dessus de sa tête l'Etoile, brillante et lumineuse. Je perçus alors la vibration du Seigneur Bouddha, je vis le Seigneur Maitreya. J'étais si heureux, calme, paisible... Je voyais toujours mon corps, je planais et en moi était une paix pareille à celle qui règne au fond d'un lac profond (...) j'ai vu la lumière; je me suis tenu au sommet de la montagne et j'ai contemplé les Etres tout-puissants (...) j'ai bu à la fontaine de la joie et de la Beauté éternelle ».
Pendant des années, Krishnamurti laisse se produire le phénomène et les douleurs physiques qui s'y associent, refusant tout recours médical ; il pressent en effet que l’expérience le prépare à une évolution vers un état de vibration supérieur, totalement inconnu, et que les aléas physiques sont inévitables. Plus tard, une de ses publications portera d’ailleurs le titre :
Se libérer du connu.
La deuxième vie de Krishnamurti
Cinq ans plus tard, la mort de son frère, très malade, marque un tournant dans l’évolution spirituelle de Krishnamurti. Les membres supérieurs de la Société de Théosophie avaient été unanimes : Nitya survivrait ; ils en détenaient l’information de la hiérarchie occulte des maîtres. Alors quand son frère décède malgré cette assurance inébranlable, Krishnamurti est terrassé. L’épreuve l’ouvre à une compréhension nouvelle et iconoclaste : celle qu’aucune image, aucun symbole, credo, prêtre, dogme ou rituel, ne peut apporter la connaissance de la vérité. Cette prise de conscience foudroyante l’amène à déclarer en 1929 devant 30 000 théosophes en Hollande :
« surmontant tout, connaissant tout, détaché, sans tache, non entravé, totalement libéré par l’anéantissement du désir : qui appellerai-je Maître ? J’ai moi-même trouvé le chemin ». Il déclare alors ne pas être l’ « Instructeur du monde » attendu, renonce aux biens offerts par ses disciples, et ordonne la dissolution de « l'Ordre de l'Etoile ». Ainsi ouvre-t-il son propre sentier vers la liberté, et une nouvelle vie.
Cet homme remarquable passera le reste de sa vie, jusqu’à sa mort en 1986, à voyager de par le monde pour proposer des enseignements sur le fonctionnement de l’esprit humain et l’urgence pour l’humanité de se transformer. L’essence de son message se reflète dans l’une de ses réflexions, de toute beauté :
« Vous êtes le monde, vous n’êtes pas séparés du monde. Vous n’êtes pas américain, russe, hindou ou musulman. A part les mots et les étiquettes, vous êtes le reste de l’humanité parce que votre conscience, vos réactions sont identiques à celles des autres. Vous parlez peut-être une autre langue, vous suivez des coutumes différentes, ceci est de la culture superficielle – toutes les cultures semblent assez superficielles – mais votre conscience, vos réactions, votre foi, vos croyances, vos idéologies, vos peurs, vos angoisses, votre solitude, votre souffrance et votre plaisir sont les mêmes que ceux du reste de l’humanité. Si vous changez, cela affectera l’ensemble de l’humanité. » D’une sagesse et d’une bienveillance exceptionnelles, les enseignements de Krishnamurti demeurent intemporels.
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